• Merzak Allouache : "Je ne fais pas de films pour les autorités algériennes"

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    Par Le Matin DZ/Afrik.com | 23/05/2012 08:21:00 | 4734 lecture(s) | Réactions (4)

    Le Repenti de Merzak Allouache relance le débat autour de la loi de la concorde nationale qui a permis aux islamistes algériens, responsables de la décennie noire, de devenir des "repentis".

    Merzak Allouache et l'équipe du film "Le Repenti"Merzak Allouache et l'équipe du film "Le Repenti"

    Le cinéaste algérien se fait l’écho du malaise social généré par cette mesure, notamment parmi les victimes et les familles de ces années de terrorisme. Rencontre cannoise. Le dernier long métrage du réalisateur algérien Merzak Allouache a été présenté ce samedi à la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes. La loi de la concorde civile a été mise en place en 1999 pour mettre fin à la violence de la décennie noire en Algérie. Amnistiés, les islamistes à l’origine de cette guerre civile, se voyaient accorder une deuxième chance au nom de la paix mais au détriment de leurs victimes. C’est ce que rappelle Le Repenti que l’on pourra voir à Paris, le 1er juin prochain, et à Marseille dans le cadre de la démarche de décentralisation de la Quinzaine des réalisateurs.

    Le constat qui est à l’origine de votre film Le Repenti date de 1999. C’est un film qui vous taraudait ?

    Quand on vit une longue période d’amnésie sur ce qui s’est passé, on finit par oublier. Moi aussi, j’étais dans autre chose mais j’avais depuis 1999 le squelette du scénario. Il m’est revenu au moment des révolutions arabes, à partir du moment où les pays autour de l’Algérie ont commencé à bouger. Pour se démarquer, même s’il n’y a pas d’étude qui le démontre, les Algériens se sont remis à parler du passé. C’était très nouveau d’autant que la population est très jeune. Octobre 1988 - ses grande émeutes, le moment où on est passé du parti unique au multipartisme - a refait surface comme une réponse, une façon de dire : "Nous, on a déjà fait notre révolution et on ne veut pas d’instabilité parce qu’on sait ce que c’est. On a eu une décennie noire". A cause de ce qui se passait ailleurs, ce problème a refait surface. J’ai trouvé que c’était le moment de faire ce film. D’autant qu’en Algérie, jusqu’à présent, des associations de victimes et des familles de disparus continuent d’organiser des manifestations. Ces gens ne sont bien évidemment pas pour la poursuite des violences. Moi-même, j’étais heureux quand il y a eu la concorde civile, parce que c’était l’arrêt des violences. Mais ça n’excluait pas le débat. Dans d’autres pays, quand il y a quelque chose de grave, on en parle parce qu’il y a des victimes, leurs familles, des gens qui sont certainement dans des hôpitaux psychiatriques parce qu’il y a eu des traumatismes.

    Vous dites que la rédemption ne relève pas de l’automatisme, elle ne se décide pas...

    Complètement. La rédemption, le pardon et la vengeance sont des démarches individuelles. Quand on vit un drame, on ne sait pas quelle va être notre réaction.

    La narration du Repenti est assez particulière. L’idée du scénario est partie d’un article...

    C’est un courrier envoyé par un lecteur à un journal algérien. L’histoire racontée n’est pas exactement celle du film mais j’avais été stupéfait qu’on en arrive à cette horreur. Dans toutes les cultures, la mort est quelque chose de sacré. C’était cela le canevas de mon film.

    Quel message souhaitez-vous faire passer aux Algériens et aux autorités algériennes à travers ce film ?

    Je ne fais pas de films pour les autorités algériennes. Je suis cinéaste, je raconte des histoires. J’essaie de parler de la société algérienne avec ses soubresauts et ses problèmes. Aujourd’hui, je sens que que la société algérienne n’est pas apaisée. On a toutes les possibilités financières, sociales, le dynamisme pour être apaisé et avoir un projet. Cependant, je ne sens ni le projet ni l’apaisement. Aujourd’hui, je lis dans la presse que plusieurs partis politiques ont boycotté le Parlement. On est encore dans une période de soubresauts. Je suis un cinéaste qui pense qu’on a un devoir d’engagement du fait de la situation politique de notre pays. Il y a des gens en Algérie à qui ça ne plaît pas et qui mettent en place un système de dénigrement. Sur ce dernier long métrage, une partie de la presse algérienne me dénigre sur le fait que ce film a bénéficié de financements qui ne sont pas algériens. Mais ils n’analysent pas le film ou ne veulent pas le faire. C’est un film qui a été tourné rapidement avec des petits moyens. Je continue mon travail avec les moyens que j’ai.

    La révolution, c’est pour bientôt en Algérie ?

    Je ne sais pas ! Il faut demander à Lénine !

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  • <h51 style="margin: 0px 0px 4px; padding: 0px; font-size: 1.1em; font-family: Verdana, sans-serif; color: rgb(164, 164, 160);">ENTRETIEN AVEC LE CINEASTE BACHIR DRAISS</h51>


    «Des pseudo-producteurs et réalisateurs parasitent le paysage audiovisuel»

    Le réalisateur et producteur Bachir Draïss nous fait part, dans cet entretien, de son avis sur les nouvelles dispositions mises en place par les autorités publiques pour relancer le cinéma algérien. Il y dénonce la «médiocrité» de l’ENTV et l’absence de stratégie et de vision de fonds sur le champ audiovisuel, lequel, selon lui, doit impérativement être ouvert afin de libérer les initiatives et susciter l’émulation en symbiose avec les critères de compétitivité et de professionnalisme.

    Alger Hebdo : Comment avez-vous réagi à la nouvelle loi sur le cinéma ?

    Bachir Draïss : Il ne s’agit pas de faire des lois. Je suis anticonformiste et ne crois pas trop aux lois. Je pense que le problème du cinéma est celui du financement et de la liberté. Il faut laisser les gens travailler et donner plus d’argent. Si on a envie que le cinéma se relance et se développe, il faut mettre les moyens et élaborer une politique franche et volontaire. Il faut savoir que pour faire un film, on a besoin d’environ dix milliards de centimes. Le FDATIC et la télévision réunis donnent actuellement 2, 5 milliards de centimes. Vous voyez que l’équation est presque impossible. Les cinéastes sont obligés de galérer pour trouver le montant qui manque. Pour relancer le cinéma, qui est un art de liberté et de création, mais qui aussi une industrie, il faut mettre des mécanismes pour l’instauration d’un marché. Ce qui n’existe pas en Algérie. On n’a pas de marché. Quand on produit un film, on ne peut pas le vendre, on ne peut pas le diffuser hormis dans quelques salles. Quant au DVD, avec le piratage, c’est quasiment impossible. Il faut dire ce qui en est, et j’assume mes propos. La vérité est que nous n’avons pas de cinéma. Il y a des films par ci par là, mais cela demeure le fruit de coproductions franco-algériennes. Il n’y pas de films algériens à proprement parler. Cela fait très longtemps que nous n’avons pas produit de films à 100 % algérien. Aujourd’hui, on ne peut pas réaliser des films algériens avec de l’argent algérien.

    Si je comprends bien, vous ne croyez pas qu’il puisse y avoir une relance du cinéma algérien ? 
    Si, mais pas dans l’immédiat, car l’environnement n’existe pas pour favoriser cette relance. Le cinéma est dans un état de léthargie depuis plus de vingt ans. On ne voit plus de nouveaux films algériens à la télé. Beaucoup de salles de cinéma ont été fermées, et l’argent débloqué pour les films est insuffisant. C’est à tout cela qu’il faut remédier, mais cela prendra, à mon avis, beaucoup de temps. On sera encore obligé de recourir au système D pour produire un film. C’est une perte de temps et d’énergie considérables.

     La formation des scénaristes est totalement négligée alors qu’un bon film, c’est d’abord une belle histoire, bien structurée, écrite selon des techniques déterminées, en somme le socle. Pourquoi le métier de scénariste n’est-il pas pris en charge ? 
    Effectivement ! Le problème du scénario se pose avec acuité, il est impératif de former dans ce métier qui reste très négligé par l’Etat. Comme vous le dites, ça reste la charpente d’un bon film, et il est vrai que sans un bon scénario, on ne peut prétendre à faire un bon film. Beaucoup de réalisateurs algériens écrivent euxmêmes leur scénarios. Le scénariste est un métier à part entière. Aux Etats-Unis, par exemple, il y a peu de réalisateurs qui écrivent des scénarios où peuvent écrire une histoire ; ils font appel à des scénaristes pour mettre en place la structure. Le scénariste est d’abord un créatif, il doit avoir un don et du talent, mais une formation est nécessaire dans les techniques de l’écriture audiovisuelle. Mais pour que ce métier puisse s’épanouir, il faut injecter de l’argent. Il faut signaler qu’on est le seul pays qui n’accorde pas d’aide à l’écriture et où il n y a pas de résidence pour l’écriture, alors que c’est le seul moyen à même de garantir un intérêt pour cette profession. Il y a sûrement des auteurs qui écrivent bien, mais ils ont besoin d’être encouragés et soutenus financièrement.

    Vous avez produit plusieurs films. Comment arrivez-vous à trouver les financements ? 
    On galère ! Tout ce que j’ai fait au jour d’aujourd’hui, c’est surtout des co-productions, on cherche l’argent ici et là, mais c’est très difficile, et souvent, on n’arrive pas à les vendre.

    Et que pensez-vous des films dont l’appartenance est attribuée à l’Algérie alors qu’en réalité elle ne l’est pas ? 
    C’est un autre problème. On dit voilà on a un cinéma, alors qu’il n’en est rien. Prenant le cas du film «Hors la loi» de Rachid Bouchareb, il est vrai qu’il raconte une histoire sur l’Algérie, mais cela reste un film français parce que la partie française y est très majoritaire; les acteurs sont des Français et les techniciens sont aussi français. A part le sujet, rien n’est algérien. L’Algérie a contribué à son financement, mais qu’a-t-elle gagné ? Rien ! Les acteurs algériens n’ont pas joué dans ce film et nos techniciens n’y ont pas participé. Ce que je ne comprends pas, c’est le fait que l’Algérie donne de l’argent sans exiger une contrepartie, à savoir prendre des stagiaires dans ces films, pour qu’il ait une formation de terrain. Cela reste une aberration. On vient en Algérie, on prend l’argent pour faire des films et on s’en va : c’est inadmissible ! Bouchareb a pris l’un des plus grands techniciens français, les autorités algériennes auraient pu exiger de la production qui a géré ce film de prendre des stagiaires algériens pour les former sur le tas. Idem pour le film d’Albert Camus. C’est cet amateurisme que je dénonce. Il y a aussi des pseudo-producteurs et pseudo-réalisateurs qui parasitent le paysage audiovisuel, qui créent des boites de production pour prendre l’argent et faire des films d’amateurs. Vous n’avez qu’à voir la médiocrité de l’ENTV.

    Quels sont vos projets ? 
    On essaie de préparer pour Cannes 2012 le film du réalisateur d’Alexandre Arcady, adapté du roman «Ce que le jour doit à la nuit» de Yasmine Khadra. Il y a aussi un biopic sur le chanteur Matoub Lounès et un autre sur le symbole de la révolution algérienne : Larbi Ben M’hidi.

     

    Prp. Fatma Haouar

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  • <h51 style="margin: 0px 0px 4px; padding: 0px; font-size: 1.1em; font-family: Verdana, sans-serif; color: rgb(164, 164, 160);">CINEMA, AMINE KAIS, CINEASTE</h51>


    Nous sommes le seul pays au monde où on s'improvise réalisateur

    Amine Kais fait partie de la jeune génération de réalisateurs qui veulent donner une dimension universelle au cinéma algérien en adaptant les nouvelles techniques et normes du 7e art. Il est le réalisateur du premier film algérien totalement fabriqué aux Etats-Unis. Dans cet entretien, il revient sur son parcours et nous parle de ses projets, dont un film sur la personnalité historique de l’Emir Abdelkader.

     

    Alger Hebdo : Parlez-nous de votre parcours au cinéma ?
    Amine Kais : 
    J'ai étudié à Toulouse à l'ESAV (France). Une excellente Ecole où on apprend à être un indépendant et pertinent. Maintenant il s'agit de la personnalité de chacun. Le cinéma est un métier lourd et il faut être très fort pour être dans le monde du 7e Art ! Et la notoriété est une donne avec laquelle on ne triche pas.

     

    Vous avez réalisé Les rues d’Alger et Affaires d’hommes, premier film algérien réalisé aux USA. Vous semblez affectionner les films d’action. Est-ce un choix ou juste un concours de circonstance ?
    J'aime les films d'action bien confectionnés, mais je m’arrange toujours pour y mettre des messages politiques et sociaux. C'est le cas pour ces deux films ! La politique, on l'a vit au quotidien, elle est fortement liée à notre vie de tous les jours. Faire l'autruche dans le cinéma ne sert à rien, il y a mille façon de raconter une histoire avec subtilité et élégance, l'image en ellemême montre les silences justifiés et les expressions des humains, les dialogues renforcent ce qu'on ne voit pas et ce que l'on doit entendre. Il faut se rappeler du cinéma soviétique des années 1950/1980 où l'on racontait presque tout avec une métaphore et des images iconoclastes. Malgré le système en place de l'époque, c'est ce qui a fait la force de beaucoup de réalisateurs comme Eiseinstein, Nikita Mikhalkov, Konchalovsky et bien d'autres. Je pense que ce sont les plus beaux films du monde avec aujourd'hui les films sud et nordcoréens, ainsi que la Chine et le Japon sans aucun doute.Je garde en mémoire Quand passent les cigognes ou La ballade du soldatAdieu ma concubine et l'incontournableRashomon. Le cinéma américain était de taille dans la période des années 1970 : John Schlesinger, Sydney Lumet, Arthur Penn et FF. Coppola et bien sûr Scorsese.

     

    Il y a un déficit de formation en Algérie dans les métiers liés au cinéma, à commencer par les scénaristes. Orson Wells disait que le succès d’un film, c’est l’histoire, l’histoire et puis l’histoire. Partagez-vous son point de vue ?
    Bien entendu que je partage l'avis du grand maître, Orson Welles. Il a été censuré par Joseph Kennedy et sa carrière a été pénible, mais aujourd'hui quand je revois All about true, un documentaire tourné sans son qui raconte la naissance d'un village brésilien, là encore le talent de l'inégalable Welles dévoile que le cinéma a ses secrets et que l'artiste existe plus que tout.Les formations sont nécessaires, je le répète depuis toujours.

     

    1 500 agences de communication et sociétés de production audiovisuelles ont cessé leur activité. Quel commentaire en faites-vous ?
    C’est tout simplement dramatique !

    Dans le discours officiel, on parle ces dernières années, notamment avec l’élaboration de la loi sur le cinéma, de relance du 7art. Or, il n’y a pas d’industrie qui suppose des financements adéquats, des structures comme des labos, des studios, du matériel et surtout des salles de cinéma dont on ne dispose pas en Algérie. Votre commentaire ?
    Je pense que nous sommes loin du compte ! Le cinéma est lucratif et a besoin de réelles structures de production. Les grands groupes industriels privés devraient s'y mettre, comme à l'origine du cinéma. Rappelons- nous que les inventeurs essentiels du cinéma furent les Frères Lumières, c'étaient aussi des inventeurs. Il faut penser aux retours sur investissements. Quand je vois certaines productions aux budgets effarants, je répond au plus profond de moi-même qu'avec la moitié j'aurais fais mille fois mieux ! Nous sommes le seul pays au monde où on s'improvise réalisateur et on passe directement à la réalisation d'un long métrage sans passer par le court-métrage. Il faut se poser la question. Pourquoi les productions et les films à gros budgets ne sont pas distribués ailleurs, dans les grandes salles !!? Les critères de distribution sont stricts par rapport au contenu, au sujet et à la force du film. C'est pour cela qu'il y a ce qu'on appelle le Box Office qui est le résultat d'un film réussi. J'ai pour exemple un cinéma riche de sens et faible en financement mais qui reste vivant ! C'est le cinéma iranien, un exemple inégalable.

    Est-ce vrai que vous voulez faire un film sur l’Emir Abdelkader ?
    Oui ! je vais le faire même si on en fera 2 avant (rires) ! C'est une histoire de famille, un film personnel et je veux retranscrire l'exil de ce grand homme, sa souffrance, la trahison de certaines familles et son sacrifice pour l'Algérie. L'Emir AbdelKader est un exemple, pour ceux qui ont compris qui il était réellement ! Même si c'est le dernier film de ma vie, je le ferais coûte que coûte. J'y travaille depuis 4 années.

     

    Des projets en cours ?
    Oui, je travaille sur des projets qui méritent d'être racontés de notre histoire peu connue. J'ai juste un proverbe à dire et qui résume mon engagement sans équivoque : «L'amour, c'est d’être toujours inquiet pour l’être qu'on aime.» Mon Algérie pour toujours.

    Prp. Fatma Haouari

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  • Interview de François Ozon pour le film Jeune et Jolie. Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
    Écrit par Quotidien Cinéma   
    16-08-2013

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    "Jeune et Jolie". Un film de François Ozon avec Marine Vacth, Géraldine Pailhas, Frédéric Pierrot, Charlotte Rampling.

    Sortie le 21 août 2013.

    Crédits photographiques : Mars Distribution.

    INTERVIEW DE FRANCOIS OZON POUR

     

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    Quel est le point de départ de JEUNE & JOLIE ?

    Après DANS LA MAISON, et le plaisir que j’ai eu à diriger Ernst Umhauer et Bastien Ughetto, j’ai eu envie de retravailler avec de jeunes acteurs. Mes premiers films et courts métrages parlaient beaucoup de l’adolescence, mais à partir de SOUS LE SABLE, j’ai essentiellement travaillé avec des acteurs plus âgés. Le premier désir de JEUNE & JOLIE vient de là, de cette envie de filmer la jeunesse d’aujourd’hui. Et comme je venais de filmer des garçons, j’ai eu envie de filmer une jeune fille. Isabelle n’est pas n’importe quelle fille : elle se prostitue… Le sujet du film est avant tout : qu’est-ce que c’est que d’avoir 17 ans et de sentir son corps se transformer ? L’adolescence est souvent très idéalisée dans les films. Pour moi, c’était une période de souffrance et de transition compliquée, dont je n’ai pas de nostalgie. Je ne voulais pas montrer l’adolescence juste comme un moment sentimental mais plutôt comme un moment quasi hormonal : quelque chose de fort physiologiquement se passe en nous, et en même temps, on est comme anesthésié. Du coup, on violente son corps pour le ressentir et pousser ses limites. La prostitution était un moyen comme un autre d’exacerber cet aspect, de montrer que l’adolescence pose avant tout des questions d’identité et de sexualité. Une sexualité pas encore connectée aux sentiments.

     

    Isabelle vient d’un milieu aisé, elle ne se prostitue pas pour des impératifs financiers…

    Elle ne se prostitue pas pour survivre ou payer ses études mais parce qu’elle en ressent un besoin viscéral. Elle aurait pu aussi bien se droguer ou être anorexique, l’essentiel était que ce soit secret, clandestin, interdit. L’adolescence est une période de friche où tout est possible. C’est ça qui est aussi exaltant, et que l’on ressent dans le poème de Rimbaud On n’est pas sérieux quand on a 17 ans. Il y a une ouverture au monde, sans considérations morales. En se prostituant, Isabelle fait une expérience, un voyage, qui n’est pas pour autant une perversion.

     

    Plus qu’explorer le plaisir, Isabelle se heurte à son absence de ressenti, notamment au moment où elle perd sa virginité…

    C’est en parlant avec Marina de Van que j’ai eu l’idée d’un dédoublement au moment si crucial de son dépucelage. C’est une sensation que l’on peut éprouver, aussi bien garçon que fille, quand on découvre sa sexualité : on est là, et en même temps ailleurs, comme un observateur. Cette scène permet de préparer le spectateur à la double vie d’Isabelle.

     

    Le film commence sur Isabelle qui est regardée à travers des jumelles par son petit frère… D’emblée, elle est chosifiée par ce regard qui «viole» son intimité…

    Absolument. Le comportement d’Isabelle suscite les regards et a des répercussions fortes sur son entourage. L’idée était que chaque saison démarre par le point de vue d’un des personnages. L’été du point de vue du petit frère, l’automne du point de vue du client, l’hiver de la mère et le début du printemps, de celui du beau-père, même si on bifurque très vite à chaque fois sur Isabelle. Je voulais avancer dans le film par circonvolutions, structurées autour de quatre saisons. Un peu comme dans 5X2, je me concentre sur des moments précis pour essayer de comprendre ce qui s’y joue.

     

    Il y a aussi une chanson de Françoise Hardy pour chaque saison…

    Oui, j’aime installer un cadre formel à l’intérieur duquel j’ai ensuite une totale liberté. J’ai tenu à ce que la temporalité de l’histoire se déroule sur une année scolaire. Et les chansons arrivent comme des ponctuations, des moments de suspension. C’est la troisième fois que j’utilise des chansons de Françoise Hardy après Traüme dans GOUTTES D’EAU SUR PIERRES BRÛLANTES et Message personnel dans 8 FEMMES. Ce que j’aime particulièrement dans ses chansons c’est qu’elle retranscrit l’essence de l’amour adolescent : un amour malheureux, de désillusion, romantique… Je trouvais intéressant de synchroniser cette vision iconique sur un portrait plus cru de cette adolescente. Au fond d’elle, Isabelle a aussi envie de coller au modèle d’une adolescence sentimentale et idéalisée, que ses parents souhaitent pour elle, mais elle a d’abord besoin de se trouver elle, de se confronter aux désirs conflictuels qui la traversent pour pouvoir tomber amoureuse.

     

    Les escalators du métro, le couloir de l’hôtel… Vous jouez sur la récurrence des lieux, les trajets qui conduisent Isabelle à ses clients…

    Comme toute expérience clandestine, cela devient un rituel, avec un costume, des lieux récurrents. Et c’est justement ce qu’aime Isabelle : entrer en contact sur internet, réfléchir à qui elle va voir, le temps du trajet, fixer le tarif… Elle le dit chez le psychanalyste : elle ne sent presque rien mais ce qui l’excite, c’est le côté aventureux de la prostitution, l’exaltation d’une expérience interdite qui casse la routine de sa vie adolescente. En cela, on rejoint d’autres de mes films où les personnages ont ce désir de s’évader de la réalité. À la fin, certains spectateurs pensent d’ailleurs qu’elle va recommencer à se prostituer, que c’est une addiction, comme une drogue. La prostitution adolescente est un phénomène de société actuel.

     

    Comment aborder cette histoire sans tomber dans le sociologique ?

    J’ai mené mon enquête, forcément, car les choses ont changé depuis ma propre adolescence, notamment les moyens de communication, très actifs dans la découverte de la sexualité : portables, internet… À mon époque, c’était le minitel ! Je me suis donc renseigné, j’ai rencontré des policiers de la brigade des mineurs, d’autres spécialisés sur les nouvelles prostitutions et le psychanalyste Serge Hefez, habitué à rencontrer des adolescents en mal-être. J’avais besoin de cette matière-là pour confirmer mes hypothèses et nourrir le film. Mais après, il a fallu m’en éloigner, et introduire des enjeux de fiction.

     

    Le père d’Isabelle est absent mais vous n’en faites pas un motif d’explication psychologique de son comportement…

    Non, je pose juste des jalons auxquels les gens peuvent s’attacher, ou pas. Les raisons du comportement d’Isabelle sont multiples, chacun peut les interpréter comme il veut, j’aime que le spectateur ait cette liberté. Moi-même, j’aborde cette fille comme un mystère. Je ne suis pas en avance sur elle, je me contente de la suivre, comme un entomologiste qui tomberait amoureux petit à petit de sa créature. Elle même dit très peu de choses. La seule fois où elle parle, c’est lors de sa deuxième visite chez le psy. L’idée était d’être dans l’accompagnement et l’identification. On peut se reconnaître dans beaucoup des questions qui traversent aussi bien Isabelle que ses parents, sans doute parce qu’elles sont nourries de réel et incarnées fortement par des acteurs justes. Chaque personnage est déstabilisé par une situation complexe et essaye de faire du mieux qu’il peut dans cette situation difficile.

     

    Comment avez-vous abordé les scènes de sexualité ?

    L’idée était d’être assez réaliste, mais pas dégradant ni sordide. Je ne voulais pas porter de jugement moral. Évidemment, certains clients ont des déviances mais je voulais d’abord montrer comment Isabelle s’y adapte. Isabelle est le réceptacle du désir des autres alors qu’elle-même ne connait pas le sien. D’une certaine manière, ça l’arrange que les autres aient des désirs à sa place. Je ne voulais pas enjoliver la réalité mais en même temps, Isabelle l’enjolive peut-être elle-même.

     

    Un client est un peu à part : Georges…

    Oui, il y a une rencontre entre Isabelle et Georges. C’est possible qu’elle prenne du plaisir avec lui. Il la touche, la regarde, leur rapport est tendre, pas du tout mécanique comme avec les autres clients. Malgré son âge, Georges possède encore une très grande séduction. Et une sexualité possible. C’est pour ça que j’ai choisi Johan Leysen pour l’incarner. Je voulais que l’on puisse croire à sa capacité de plaire à Isabelle. Johan Leysen a un visage buriné très beau, sa voix et son accent sont charmants. Il a le physique d’un acteur américain, un côté Clint Eastwood !

     

    Comment s’est fait le choix de Marine Vacth pour jouer Isabelle ?

    Très vite, comme pour le jeune garçon de DANS LA MAISON, je me suis aperçu que c’était mieux de travailler avec une actrice un peu plus âgée pour le rôle afin qu’il y ait une maturité et une distance avec le personnage. Marine, je l’avais remarquée dans MA PART DU GÂTEAU de Cédric Klapisch. Dès que je l’ai rencontrée, j’ai vu une extrême fragilité et en même temps, une puissance. Et surtout une photogénie qui n’était pas seulement une photogénie de mannequin. J’ai retrouvé avec elle ce que j’avais ressenti en filmant le grain de peau et le visage de Charlotte Rampling pour SOUS LE SABLE : il se passe quelque chose derrière leur apparence. Leur beauté évidente de façade masque un mystère, un secret et suscite une curiosité, une envie de savoir.

     

    C’est son premier grand rôle...

    C’est un rôle lourd, nous avons beaucoup travaillé en amont, fait des lectures, répété avec les autres comédiens. J’ai fait en sorte qu’elle soit très intégrée à la préparation du film, qu’elle participe au choix des costumes, qu’elle suive les transformations du scénario. Il fallait qu’elle me fasse confiance, qu’elle sache où on allait, qu’une complicité s’instaure avec ses partenaires, notamment avec Géraldine Pailhas et Fantin Ravat… Le fait qu’elle soit aussi mannequin lui donne une très grande liberté avec son corps, qui est comme un outil. Elle n’avait pas la pudeur de certaines actrices.

     

    Le personnage de la mère est aussi très important…

    Oui, à un moment, je voulais vraiment basculer sur elle, voir comment elle réagit face à la vie non pas amoureuse de sa fille, mais sexuelle. La prostitution accentue cette question, bien sûr, mais elle se pose pour tous les parents : qu’est-ce que l’arrivée de la sexualité dans la vie de leurs enfants réveille chez eux ? Quelles peurs, quelles angoisses ? Et jusqu’où a-t-on le droit d’être au courant de la vie privée de son enfant, jusqu’où a-t-on le droit d’intervenir ?

     

    Comment avez-vous conçu le couple mère-fille ?

    Je voulais qu’elles soient très proches d’âge, sans pour autant que la mère soit une mère-copine. Et aussi qu’elle soit une mère en apparence «parfaite», qu’on ne prenne pas les raisons de la prostitution d’Isabelle comme des conséquences de leur relation. C’est une femme très moderne, qui ressemble aux mères de ma génération. Je voulais qu’elle soit belle, qu’elle ait une sexualité épanouie et qu’il n’y ait aucune rivalité mère-fille, comme souvent dans les films actuels. L’enjeu de la relation n’est pas là. Même quand elle surprend sa fille avec son beau-père, elle ne se sent pas remise en question dans sa féminité. Je ne voulais pas raconter l’histoire d’une fille qui pique la place de sa mère. En même temps, Isabelle peut avoir un côté diabolique. On comprend que l’amie de sa mère n’ait pas envie que ce soit son mari qui la raccompagne…

     

    La crainte de Nathalie raconte davantage le mécanisme du désir que la psychologie d’Isabelle…

    Absolument. L’idée qu’Isabelle pourrait se comporter comme une «pute» et contaminer tout le monde est avant tout dans le regard de l’entourage. Elle n’y pense pas forcément elle-même, ce sont les autres qui y pensent. Sa beauté et sa sensualité les renvoient à l’hypocrisie de leur désir.

     

    Isabelle reproche à sa mère pas tant d’avoir un amant que de le lui cacher, de ne pas lui faire confiance…

    L’adolescence est une période violente aussi parce que les enfants découvrent que leurs parents ne sont pas les héros qu’ils pensaient, qu’ils leur ont caché des choses et leur ont menti. Les adolescents ont besoin de vérité, de sincérité. Et ils se rendent compte que le monde des adultes est un monde de mensonges, d’hypocrisie. D’où cette agressivité envers ces parents tombés de leur piédestal.

     

    Quand la mère frappe sa fille, on n’est pas tant choqué qu’ému par son geste…

    J’ai beaucoup discuté avec des amies. Je leur ai demandé comment elles réagiraient si, comme la mère d’Isabelle, elles apprenaient que leur fille se prostituait. La plupart m’ont répondu : «C’est affreux je me remets en question, j’essaye de comprendre…» Elles mettaient en avant ce côté positif, compréhensif mais l’une d’elles, dont la fille s’était droguée, m’a avoué que quand elle l’avait appris, elle l’avait tapée. Cela m’a semblé juste. Quand les parents ne savent plus comment agir, quoi dire à leurs ados souvent renfermés, les coups viennent naturellement. Géraldine, en tant que mère, était tout à fait d’accord avec cette réaction mais elle tenait à ce que le personnage se rende compte aussitôt de la nature pulsionnelle de son geste et qu’elle éprouve le besoin de s’excuser.

     

    Et le choix de Géraldine Pailhas pour jouer la mère d’Isabelle ?

    Après avoir choisi Marine, j’ai cherché une actrice qui pouvait physiquement être sa mère. Je voulais une femme chez qui on sente une fibre maternelle, naturelle. Je connaissais Géraldine, on avait déjà travaillé ensemble, elle avait un petit rôle dans 5X2. On a fait des essais, ça s’est tout de suite bien passé, j’ai senti que ce rôle la touchait, qu’elle se projetait dans cette histoire. Elle était très investie dans le film. Elle était très protectrice avec Marine, c’était très beau à voir. Une complicité réelle s’est créée, il n’y avait aucune rivalité entre elles.

     

    Pas de rivalité non plus avec la femme de Georges…

    Non, la femme de Georges peut même se reconnaître en Isabelle. En tant qu’actrice aussi, Charlotte Rampling peut se reconnaître en Marine, comme Géraldine d’ailleurs. Toutes deux ont aussi commencé leur carrière très tôt et ont été très exposées. J’avais envie d’une bienveillance de toutes ces actrices autour de Marine. C’était important pour moi qu’elles incarnent quelque chose de l’ordre de la transmission. Charlotte est arrivée comme une évidence, surtout après avoir choisi Marine. Elle a joué beaucoup de rôles transgressifs, très sexués, elle a souvent été perçue comme l’incarnation du fantasme au cinéma, elle était donc idéale pour incarner cette femme qui comprend Isabelle, qui ne la juge pas. Et quand elle l’emmène dans la chambre, Charlotte continue de véhiculer cette force transgressive et dangereuse…

     

    Cette scène est-elle réelle ou fantasmée par Isabelle ?

    Le dernier plan peut effectivement laisser croire qu’elle l’a fantasmée mais peu importe qu’elle soit rêvée ou réelle, elle a le même poids réparateur pour Isabelle. Tout d’un coup, il y a eu un dialogue, un échange de vérité qu’elle ne pouvait pas avoir avec sa mère. Et qui l’aide sans doute à assumer ce qu’elle a fait.

     

    Et le choix de Serge Hefez pour jouer le psychanalyste ?

    Je l’ai rencontré pendant l’écriture du scénario, pour mon travail d’enquête, puis je lui ai fait lire le scénario, lui ai demandé de réagir sur certains points, notamment sur l’attitude du psy quand Isabelle veut payer les séances avec l’argent de ses clients. À ce moment-là, j’avais des acteurs connus en tête, mais Serge était tellement séduisant et intelligent que je lui ai proposé le rôle et il a accepté. Pour le décor, je me suis aussi inspiré de son propre cabinet, il nous a même prêté ses fauteuils… Aux essais, il était très bien, je trouvais juste qu’il souriait un peu trop. Mais il m’a répondu qu’il était comme ça dans la réalité face aux adolescents. En général, ils viennent à leur corps défendant, obligés par leurs parents. C’est donc important pour lui de créer d’emblée une complicité, d’être dans la séduction, quitte à être en opposition avec les parents. Je m’en suis, du coup, inspiré pour la scène avec la mère et la fille chez le psy, qui prend clairement le parti d’Isabelle

     

    Pourquoi le désir de filmer les lycéens récitant puis commentant le poème de Rimbaud ?

    Pour ce film, je voulais saisir la fragilité et la beauté de l’adolescence. Hormis Marine et les acteurs qui jouent ses amies et son petit copain, les autres n’étaient pas comédiens − certains étaient même des vrais lycéens d’Henri IV. Après avoir récité le poème, je leur ai demandé de l’analyser devant leur prof de français, de dire ce qu’ils ressentaient, comment ils l’analysaient. Rien n’était écrit, j’ai filmé cette scène de manière documentaire. J’avais revu juste avant VIVRE SA VIE, qui parle aussi de la jeunesse et de la prostitution, et dans lequel Godard interviewait des vraies prostituées. Moi aussi, j’avais envie d’un ancrage dans le réel, et d’entendre les voix et les interprétations de ces jeunes d’aujourd’hui. Peut-être pour savoir s’ils avaient les mêmes interprétations que moi à dix-sept ans.

     

     

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  • Interview de Maads Mikkelsen pour le film Michael Koolhaas. Convertir en PDF Version imprimable Suggérer par mail
    Écrit par Christophe Dordain   
    16-08-2013

     Image

    "Michael Koolhaas". Un film d'Arnaud Des Pallières avec Mads Mikkelsen, Delphine Chuillot, Mélusine Mayance.

    Sortie le 14 août 2013.

    Crédits photographiques : Les Films du Losange.

    INTERVIEW DE MAADS MIKKELSEN POUR

     

     Image

     

    Qu'est-ce qui vous a attiré dans ce projet ?

    J’ai senti qu’il y avait laÌ€ quelque chose de radical, d’exigeant. Pas seulement dans le personnage mais aussi dans le scénario. Quelque chose qu’on ne voit pas tous les jours, dans notre métier. Une façon de raconter qui se met entieÌ€rement au service d’une idée. D’un personnage. Lors de ma premieÌ€re rencontre aÌ€ Copenhague avec Arnaud des PallieÌ€res, je ne savais rien de lui. Ni qui il était, ni ce qu’il avait fait. Deux heures plus tard, je ne savais pas plus qui il était mais j’étais curieux de le savoir et de travailler avec lui. Nous nous sommes rencontrés dans un café. La plus grande partie de notre conversation s’est faite en anglais, et la plus grande partie avec Serge Lalou, son producteur, comme interpreÌ€te. Arnaud a ce rapport bizarre et respectueux aux langues qui fait que, même si son anglais est bien au-dessus de la moyenne, il ne souhaite pas trop parler anglais. (rires) Il était pourtant treÌ€s présent lors de la conversation, même s’il n’est pas souvent intervenu directement. Ce qui rendait ses interventions (en français ou en anglais) d’autant plus intenses, quand enfin il disait quelque chose. Il était évident qu’il avait une mission aÌ€ remplir avec ce film.

     

    Qui est Michael Kohlhaas ?

    Kohlhaas est un personnage unique. Il n’est pas comme vous et moi. Kohlhaas demande la chose la plus simple au monde (la justice, l’égalité des droits entre les hommes) et cela déclenche l’extrême autour de lui. Kohlhaas est un homme dont les idéaux sont bien plus grands que lui-même. Bien plus grands que sa propre vie.

     

    Comment vous êtes-vous préparé pour ce rôle ?

    En travaillant sur le scénario, d’abord. Mais la préparation la plus importante est toujours celle qu’on fait avec le metteur en sceÌ€ne. Je lui pose un maximum de questions, j’essaie d’obtenir un maximum de réponses, en acceptant de ne pas les avoir toutes avant de me lancer. J’essaie de me rapprocher des pensées et des sentiments du metteur en sceÌ€ne, de sa vision, et pas seulement du rôle que je vais jouer. Lors de ma premieÌ€re rencontre avec Arnaud, j’étais venu avec des idées pour le personnage, des suggestions pour le scenario. Toutes treÌ€s raisonnables d’ailleurs. Arnaud les a balayées avec une salve de retentissants « Non. Non. Non. ». (rires) Je n’étais pas vraiment habitué aÌ€ ça... (rires) Mais ça ne m’a pas gêné, parce qu’il s’exprimait avec passion et enthousiasme. Et qu’il m’a tout de suite expliqué pourquoi cette histoire devait être racontée comme il avait prévu de le faire, et pas autrement. Pendant la préparation qui a suivie, Arnaud et moi avons beaucoup parlé. On a (presque) tout abordé. Le tournage fut donc beaucoup moins bavard. Une collaboration avec de moins en moins de mots, chaque jour plus intuitive. Tout ayant été déjaÌ€ longuement discuté.

     

    Comment avez-vous travaillé sur le tournage avec Arnaud des Pallières ?

    Avant la premieÌ€re prise, il ne disait rien. Il me laissait faire une proposition. Les indications venaient apreÌ€s. Ça pouvait être soit rien, soit beaucoup. Certaines sceÌ€nes étaient dans la boîte en trois prises, d’autres demandaient une journée. Nous avons par exemple passé une journée entieÌ€re aÌ€ faire la sceÌ€ne ouÌ€ Kohlhaas tente désespérément de sauver sa femme agonisante. Une sceÌ€ne treÌ€s dure physiquement et émotionnellement pour les deux acteurs, en un plan séquence. Et si nous la refaisions autant, ce n’était pas parce que quelque chose n’allait pas. Mais parce qu’au contraire, il y avait tant de possibilités qui semblaient justes, et qu’il était difficile de dire laquelle était la bonne. Dans le déroulement de la sceÌ€ne, les acteurs avaient une grande liberté. Et la fatigue en fin de journée était une bonne fatigue. La façon de travailler d’Arnaud ne m’a pas particulieÌ€rement surpris. On se connaissait maintenant. Chacun savait ce qu’il fallait faire pour que l’autre se sente libre. Le travail variait bien sur en fonction de chaque sceÌ€ne aÌ€ tourner mais il était toujours empreint d’une certaine forme de pureté et d’intransigeance.

     

    Quelle est la scène dont vous avez le souvenir le plus fort ?

    Celle dont je viens de parler : Kohlhaas et sa femme aÌ€ l’agonie. Et aussi ce moment incroyable ouÌ€ je mets un poulain au monde. On ne pouvait préparer la naissance du poulain que jusqu’aÌ€ un certain point. Le faire en vrai, le faire seul, tout en jouant le role d’un homme qui en a l’habitude, dont c’est le quotidien, c’est autre chose. Je n’avais droit qu’aÌ€ une seule prise. Sanabra, le dresseur de chevaux, l’homme qui nous a appris aÌ€ monter correctement sur ce film, se tenait aÌ€ coté de moi, hors champ. Il me soufflait ce que je devais faire, et puis aÌ€ un moment, tout aÌ€ coup, le poulain est venu. Je le tenais dans mes bras. Un moment absolument magique. Difficile de ne pas être submergé par l’émotion... mais c’était la vie quotidienne de Kohlhaas et j’ai dû refouler cette émotion.

     

    En quoi cette expérience de tournage a-t-elle été particulière, pour vous ?

    Les chevaux occupaient la majeure partie de la vie de Kohlhaas, par conséquent pour moi aussi. Pendant la préparation, j’habitais chez Sanabra et sa famille. Chez eux, j’apprenais aÌ€ vivre avec les chevaux, et aÌ€ tout faire pour de vrai. J’étais entouré de chevaux magnifiques, dangereux et fous mais qui se sont comportés jour apreÌ€s jour de mieux en mieux. Je suis devenu plus habile, plus calme. Arnaud était parmi nous. Il nous parlait du film. J’étais entouré d’acteurs qui, comme moi, venaient travailler avec Arnaud et les chevaux. Sanabra m’a appris le français alternatif, le soir, autour d’un verre de vin. C’était une période particulieÌ€rement exigeante pour moi, en terme de travail mais qui évoque aussi les plus heureux souvenirs.

     

    Qu’est-ce qui a été le plus difficile sur ce film ?

    Le plus difficile ? La langue ! (rires) En tant qu’acteur, me sentir vivant dans une autre langue est le plus difficile et le plus important. Pas seulement me faire comprendre lorsque je prononce mes dialogues. Vivre et sentir dans la langue du film. Bien sûr, ça n’est pas suffisant. Il faut AUSSI que mon texte soit compréhensible. Alors l’équilibre entre me sentir libre de jouer sans être obsédé par ma diction et être compréhensible lorsque je disais mon texte n’a pas toujours été facile aÌ€ trouver. Arnaud et moi avons cherché et inventé une façon de travailler. Et surtout, nous n’avons jamais baissé les bras. Je crois... (rires)

     

    Que pensez-vous que l’histoire de Kohlhaas peut nous apprendre sur nous-mêmes ?

    Je ne crois pas qu’un film doive forcément nous apprendre quelque chose. Tant mieux si c’est le cas mais ce n’est pas ma premieÌ€re préoccupation. Sinon je serais politicien ou pédagogue, pas acteur. Bien sûr, le film raconte une histoire. Il montre comment l’obsession de la justice peut produire l’injustice et l’aveuglement. Il montre un homme qui perd tout, aÌ€ cause d’un idéal. Mais pour l’essentiel, et j’espeÌ€re que ce sera le cas pour beaucoup de gens, l’histoire de Michael Kohlhaas est un voyage philosophique dans le cœur de l’homme.
     

     
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