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  • Le cinéma algérien des femmes : L?Envers du miroir (1)

     

    e cinéma algérien des femmes : L’Envers du miroir (1)

    NADIA CHERABI (ALGÉRIE, 2007)

    dimanche 13 juillet 2008

    Une nuit, Kamel, chauffeur de taxi occasionnel, charge une jeune femme et son bébé. Prétextant une course, elle abandonne le nouveau-né sur le siège arrière de la voiture. Commence alors, en parallèle, une quête de soi de chacun des deux personnages. Pour Kamel, qui retourne chez lui avec le bébé et parvient à convaincre sa mère de le garder pour une nuit, avant de se mettre à la recherche de la mère de l’enfant. Pour la jeune femme qui est à la rue et se trouve livrée à toutes les violences.

    Un script dépouillé pour ce film de fiction, une histoire de gens ordinaires… Mais celle-ci se déroule en Algérie et les thèmes abordés par la cinéaste documentariste révèlent les blessures et les tabous d’une société sous tension. L’Envers du miroir, [1] réalisé par Nadia Cherabi, [2]ne s’arrête pas à la surface ou au simple reflet des sentiments ou des faits, mais soulève de graves problèmes de société. [3]

    Le film traite en effet plusieurs questions tabous : le viol, l’inceste et être mère hors du mariage dans une société qui ne reconnaît pas les mères célibataires. C’est le film d’une femme sur les femmes, leurs droits, leur rôle social, leur statut dans la famille, leurs choix. Les femmes peuvent-elles être sujets dans une société régie par un code de la famille qui fait d’elles, depuis 1984, des mineures à vie ?

    Dans cet entretien, Nadia Cherabi s’explique sur la violence politique vécue au quotidien en Algérie durant la décennie noire de même qu’elle souligne une autre violence, diffuse et occultée, qui a permis de dissimuler le délabrement social qui marque les aspects quotidiens et majeurs du pays. Elle évoque aussi la place du cinéma en Algérie et dans les pays du Maghreb.

    Construit comme un « conte moderne » situé dans une société prise entre les traditions et la logique libérale, le film de Nadia Cherabi est simple et inattendu. C’est un Envers du miroir qui en dit long sur la fragilité du modèle social algérien et une fiction « filmée de l’intérieur » comme le revendique son auteure.

    Raffaele Cattedra : Avez-vous rencontré des problèmes, notamment de censure, pour tourner ce film ?

    Nadia Cherabi : Cela peut paraître paradoxal, mais en réalité il n’y a pas de censure en Algérie. On présente un scénario au comité de lecture. Les films sont acceptés, parfois avec des remarques. Mais généralement les remarques ne sont ni impératives ni dissuasives pour le réalisateur ou la réalisatrice. En revanche, il existe quelque chose de plus pernicieux que la censure officielle, c’est l’autocensure du ou de la cinéaste qui ne sait jusqu’où aller avec le public. Moi-même, j’avais peur de susciter la colère avec L’Envers du miroir, par l’intrusion que j’opérais dans le milieu familial, qui est une institution sacrée. Si le public algérien est modeste — les gens ont perdu l’habitude d’aller au cinéma —, les manifestations de sympathie ou d’antipathies sont très directes. Le public peut réagir très violemment. Autant ce même public accepte toutes les fictions qui viennent de l’étranger par le truchement de la télévision, autant il attend beaucoup du film algérien et s’arroge un droit de regard plus critique. On attend beaucoup du film car on a l’impression qu’il représente l’Algérie. Et c’est ici que joue l’autocensure. Le ou la cinéaste met des lignes rouges à ne pas dépasser. Or, je me suis posé la question sur cette ligne et je craignais les reproches du public pour avoir traité ce sujet.

    Il est vrai que je n’ai pas abordé l’inceste de manière frontale. Le chef de famille n’est pas le père biologique. D’ailleurs, je n’aurais pas pu et j’ai préféré qu’il soit un substitut du père, ce qui demeure une faute grave et un interdit. J’ai eu l’impression que le public était soulagé que je ne sois pas allée jusque là. Ce qui n’empêche pas les spectateurs de penser : « Ce pourrait être le père ! » J’ai choisi de montrer de manière feutrée une réalité sans l’imposer ; chacun et chacune fait le chemin de la réflexion. Combien d’histoires sont ainsi remontées à la surface ? Les gens disaient : « j’ai entendu parler d’une voisine à qui le même drame est arrivé » Le film a en quelque sorte libéré la parole.

    Récemment, une grande campagne a eu lieu en Algérie à propos du viol. Des chiffres ont été publiés pour les années 2007 et 2007. Des cas d’inceste ont été révélés, des viols sur mineures également. Pendant des années, nous avons vécu dans un trou noir, des décennies d’occultation au quotidien. Le devant de la scène a exclusivement été occupé par des situations horribles, des problèmes politiques et les douleurs familiales secrètes ont été reléguées au second plan.

    Quand nous regardions les actualités à la télévision, on se posait la question : « C’est de nous que l’on parle ? » Alors qu’il y avait des mariages, des deuils, le quotidien… Il semblait que l’Algérie soit suspendue aux faits politiques, aux attentats, aux crimes… Les faits politiques avaient effacé le quotidien, commun aux familles partout ailleurs.

    Pour revenir à la question du début, non la censure n’existe pas sur ces questions. C’est au ou à la cinéaste d’aborder tel ou tel sujet et de prendre ses responsabilités. En réalité, le public est mature, je l’ai découvert à l’occasion de la sortie du film et de sa réception. Cependant, tout dépend aussi de la manière dont on traite le sujet.

    Ce film a ouvert de nombreuses pistes de réflexion, et certaines ne sont pas faciles, mais c’est sans doute cela qui a fait accepter la révélation de la fin. La question de l’abandon de l’enfant est le problème central à mes yeux. Une des choses primordiales que je voulais faire passer est que chaque enfant a le droit de vivre et d’être respecté en tant qu’être humain, quelles que soient les conditions de sa naissance ou de sa conception. Il était pour cela important de montrer le sourire du bébé pour toucher les spectateurs . Il est ensuite impossible de rejeter l’enfant même en apprenant d’où il vient. C’est pourquoi je ne voulais pas dire dès le début que l’enfant était né d’un viol.

    Cet enfant est recueilli par une famille, il aurait pu être laissé au commissariat car si l’on trouve un enfant, on ne peut pas le garder. D’ailleurs, la mère du chauffeur de taxi lui rappelle la loi, on ne peut garder un enfant ainsi, et si c’était un enlèvement ? Je voulais qu’il soit fait mention de l’institution policière. Mais quel aurait été le sort du bébé, une fois remis aux autorités ? C’est la compassion de ce chauffeur de taxi qui est admirable, il ne remet pas l’enfant à la police comme un objet trouvé. Face au problème grave d’abandon d’enfants, j’avais envie que le public se dise : « il ne faut plus que des enfants soient abandonnés et se retrouvent sans famille ». Que l’enfant soit né d’un viol ou d’une histoire d’amour, il ne doit pas aller dans une institution.

    Les spectateurs se retrouvent aussi à la place de Kamel, le chauffeur de taxi, pour comprendre ce qui s’est passé, ce qui a poussé cette jeune femme à abandonner son enfant. Kamel a une histoire déglinguée, la jeune femme une histoire terrible, mais ils peuvent se rencontrer et peut-être s’aimer, tels qu’ils sont, sans masque. Quand elle confie son histoire à Kamel, je voulais qu’il réagisse en méditerranéen et qu’il la pousse à choisir entre deux relations, une manière détournée de lui dire qu’il l’aime. Dans les salles de cinéma où j’ai vu le film incognito au milieu du public, les gens ont applaudi à ce moment car ils voulaient que les deux personnages s’aiment. Ce qui m’importe à présent avec ce film, c’est d’en parler avec les gens. C’est un film simple. On m’a reproché parfois un manque de dimension cinématographique… Je ne voulais pas qu’il ressemble à d’autres films.

     

     

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