• <header style="margin-bottom: 0.725em; position: relative; padding-right: 75px; color: rgb(63, 62, 62); font-family: 'Gentium Book Basic', 'Times new roman', Times, serif; font-size: 18px; line-height: 26px;">

    "Monsieur Lazhar est dans l'air du temps"

    </header>


    <figure class="ccmcss_cms_figure center" style="margin: 5px auto 0.81563em; max-width: 100%; position: relative; font-size: 1rem; border: 1px solid rgb(218, 218, 218); line-height: 1.3; width: 400px;"><figcaption></figcaption></figure>L'acteur incarne un immigré algérien qui va se reconstruire en enseignant à des élèves touchés par un drame dans "Monsieur Lazhar", en salles le 5 septembre 2012. Rencontre.   <header style="margin-bottom: 0.725em; position: relative; padding-right: 75px;">

    "Mon propre exil m'a beaucoup servi à jouer ce personnage"

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    <figure class="ccmcss_cms_figure ccmcss_cms_figure--right" style="margin: 5px auto 0.81563em 1.63125em; max-width: 100%; position: relative; font-size: 1rem; border: 1px solid rgb(218, 218, 218); line-height: 1.3; float: right; width: 200px;">le canada, un autre climat <figcaption>Le Canada, un autre climat © Ronald Plante / UGC Distribution</figcaption></figure>

    Comment vous êtes-vous retrouvé dans un film canadien ?
    Fellag : A cause du scénario, le personnage principal Bachir Lazhar étant d'origine algérienne. Par ailleurs, lors d'un festival de théâtre, on m'avait proposé de lire la pièce d'Evelyne de la Chenelière dont le film est l'adaptation. Lorsque j'ai reçu le texte, je suis tombé sur le derrière tellement c'était beau. Or c'est très rare les textes qui saisissent tout de suite. Dès les premières phrases, on sent une âme, une émotion. Là, j'ai senti un personnage extrêmement chargé et en même temps assez étrange. J'ai donc fait une lecture publique de la pièce et ce fut un moment très fort à la fois pour le public et pour moi. On y trouve ces si belles émotions que produisent la sincérité, la dignité, la tenue. Pas l'émotion brute de décoffrage qui prend en otage le spectateur en lui disant : "Tu vas pleurer, sinon c'est que tu n'as pas de coeur". En fait, c'est tout ce que le personnage retient qui touche. 
    Avec mon metteur en scène, on a eu l'idée de monter la pièce. Et puis, le temps de trouver un théâtre disponible, etc., j'ai reçu la proposition de Philippe Falardeau pour le film. 

    Votre personnage partage avec vous le fait d'avoir été contraint de s'exiler d'Algérie. Est-ce que ce point commun vous a aidé à vous approprier votre rôle ?
    Bien sûr. J'ai moi aussi fait un exil plus lointain auCanada, mais de façon volontaire, seulement pour trois ans. Et quand même, l'administration, la façon dont ça se passe là-bas, l'hiver, la langue, les gens... Tout ça, c'est comme un exil, on rentre dans une autre société. Et ça m'a beaucoup servi évidemment, mais après il y a l'acteur qui compose. Je pense en effet que, si le personnage était un Iranien, un Chinois ou un Coréen du Nord qui partait au Canada et avait la même histoire, je l'aurais joué avec le même plaisir et j'aurais utilisé aussi cet exil algérien pour l'interpréter.
     

    <figure class="ccmcss_cms_figure ccmcss_cms_figure--left" style="margin: 5px 1.63125em 0.81563em auto; max-width: 100%; position: relative; font-size: 1rem; border: 1px solid rgb(218, 218, 218); line-height: 1.3; float: left; width: 185px;">dans la peau du maître d'école <figcaption>Dans la peau du maître d'école © Ronald Plante / UGC Distribution</figcaption></figure>

    Le réalisateur Philippe Falardeau cite les films deKen Loach ou Mike Leighcomme inspiration, notamment concernant la manière réaliste dont est montrée l'école. Aviez-vous également en tête cet aspect naturaliste lors de la préparation et du tournage ?
    Effectivement, sur le tournage, il demandait à tous les acteurs qu'ils soient les plus réalistes possible, sauf à moi car mon personnage est déjanté. Dans le film, son avocat lui dit d'ailleurs qu'il devrait aller consulter un psychiatre et il lui répond : "Mais non... Je n'ai pas le temps pour ça". Il a pourtant un petit grain et j'ai bien aimé le jouer avec ce petit grain, sans que ça se voit, avec subtilité.

    Avez-vous suivi une préparation particulière pour interpréter un maître d'école à l'écran ?
    Pas du tout. Comme le personnage n'est pas instituteur à la base, il fallait que je laisse la part de maladresse, de gestes mal faits, d'hésitation dans l'échange de regards avec les élèves. C'était important que ce ne soit pas préparé. Par contre, j'ai justifié le jeu de Bachir, qui se dit enseignant, par le fait qu'il a emmagasiné pendant 19 ans toutes les informations que sa femme lui a apportées en tant qu'enseignante. 
    On dit toujours aux acteurs qu'il faut inventer le personnage avant qu'il arrive, pour justifier comment il fait les choses. Alors j'ai imaginé que mon personnage était en admiration devant sa femme, que chaque soir elle lui racontait des anecdotes de sa journée, et qu'il s'est approprié son expérience. Surtout que ce n'est pas une personnalité quelconque. C'est une maîtresse d'école qui est une intellectuelle, qui a une position politique, qui défend des valeurs. Elle a écrit un livre contre la mafia politique et les travers du pouvoir en Algérie, donc c'est quelqu'un d'extrêmement intelligent qui a le courage de défendre ses idées. Si elle a épousé Bachir, c'est qu'il ne peut être qu'un haut-fonctionnaire, très cultivé. 
    Quand il perd sa femme et ses enfants, il lui reste la culture. Il devient maître d'école pour la ressusciter, en quelque sorte. Il enseigne donc certainement comme le faisait sa femme, ainsi qu'à partir des souvenirs qu'il lui reste de son propre passage à l'école.

    <header style="margin-bottom: 0.725em; position: relative; padding-right: 75px;">

    "La langue est un facteur absolu d'intégration"

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    <figure class="ccmcss_cms_figure ccmcss_cms_figure--right" style="margin: 5px auto 0.81563em 1.63125em; max-width: 100%; position: relative; font-size: 1rem; border: 1px solid rgb(218, 218, 218); line-height: 1.3; float: right; width: 250px;">briser le tabou du deuil <figcaption>Briser le tabou du deuil © Ronald Plante / UGC Distribution</figcaption></figure>

    Comment expliquez-vous que votre personnage ne partage pas sa propre souffrance alors qu'il fait tout pour que celle des enfants éclate au grand jour ?
    A part le moment où des agents de l'immigration l'obligent à raconter ce dont il ne veut pas parler parce que ça lui fait trop mal, il est dans une sorte de déni. Il ne veut même pas y penser parce qu'il en souffre trop. Sa femme ne voulait pas partir avant la fin de l'année pour ne pas abandonner ses élèves en cours de route, lui est parti au Canada. Tout ce qui le tient donc à partir de ce moment-là, c'est de sauver les deux élèves de sa classe qui sont en grande souffrance. Alors il joue le rôle de sa femme et il la ressuscite.

    Monsieur Lazhar accorde beaucoup d'importance à la maîtrise de la langue en classe, mais aussi dans sa vie quotidienne puisqu'on le voit souvent lire. Pensez-vous également que c'est un des facteurs principaux d'intégration ? 
    C'est un facteur absolu d'intégration. En dehors du plaisir que nous apportent les mots, de toutes les sensations, les relations avec les choses, avec l'abstrait, le concret, avec les rêves, et de la relation avec l'autre qu'ils rendent possibles. Si on parle 500 mots, on peut faire 1 000 fois plus de choses que si on ne parle que 100 mots. En plus, la langue, c'est beau, c'est sensuel et puis ça permet de parler, de s'ouvrir... Donc les livres, c'est mieux que tout. 
    La lecture, ça permet de connaître les hommes, les pays, de voyager dans l'autre, dans la géographie, mais aussi dans l'âme, dans l'esprit des gens. Moi, j'ai été fabriqué comme ça en tant qu'acteur et en tant qu'homme. Je suis un produit de mes lectures. Et quand on immigre, il faut aimer la langue de l'autre, il faut l'apprendre, l'écouter, et être curieux de toutes les facettes de cette nouvelle culture. C'est la seule façon de tracer des chemins dans l'opacité de l'autre.
     

    <figure class="ccmcss_cms_figure ccmcss_cms_figure--left" style="margin: 5px 1.63125em 0.81563em auto; max-width: 100%; position: relative; font-size: 1rem; border: 1px solid rgb(218, 218, 218); line-height: 1.3; float: left; width: 250px;">combler le fossé culturel <figcaption>Combler le fossé culturel© Ronald Plante / UGC Distribution</figcaption></figure>

    Diriez-vous que le film a une dimension politique ?
    On peut le dire dans le sens où il apporte des éléments de l'individualité. Bachir vient d'une société collectiviste, de tribus, comme le sont l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, où l'individu n'existe pas. Il fait partie de ceux qui se sont détachés du groupe pour prendre la responsabilité de leur vie, ne pas accepter tous les diktats, les règles qui sont imposées par le groupe. Donc il arrive au Canada comme un individu. Il est très peu "Algérien", il ne parle pas de religion. C'est un être universel qui a gagné son individualité. Je ne sais pas si c'est politique, mais en tous cas c'est un point de vue intéressant.

    <header style="margin-bottom: 0.725em; position: relative; padding-right: 75px;">

    "Le cinéma a sa propre magie"

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    <figure class="ccmcss_cms_figure ccmcss_cms_figure--right" style="margin: 5px auto 0.81563em 1.63125em; max-width: 100%; position: relative; font-size: 1rem; border: 1px solid rgb(218, 218, 218); line-height: 1.3; float: right; width: 250px;">photo de classe <figcaption>Photo de classe © Ronald Plante / UGC Distribution</figcaption></figure>

    Avez-vous été surpris par les nombreux prix remportés par le film ?
    Je ne m'y attendais pas du tout etPhilippe Falardeaunon plus. C'est venu comme une cascade depuis le prix de Locarno, ça n'a pas arrêté. Pratiquement tous les vingt jours, un nouveau prix tombait : la nomination au Festival de Toronto, à l'Oscar du Meilleur film étranger... Moi j'étais en tournée dans toute la France et à chaque fois que je lisais le journal, on avait un nouveau prix. J'ai même obtenu le Prix Génie (César canadien) pour mon interprétation de Bachir Lazhar et j'ai été très agréablement surpris. Le cinéma a sa propre magie. On fabrique un film d'une certaine façon, puis on lui colle de la musique, etc. Tout d'un coup il y a une chose qui apparaît et, je ne sais pas pourquoi, parfois ça fonctionne. Monsieur Lazhar est dans l'air du temps et il rentre dans les cœurs. 

    Le 12 septembre, vous serez aussi à l'affiche de Ce que le jour doit à la nuit dans lequel vous interprétez de nouveau un Algérien. Est-ce un choix de votre part ou est-ce qu'on ne vous propose que des rôles liés à votre origine ?
    Ça ne me gêne pas plus que ça. Parfois, on fait appel àGérard Darmon pour jouer un Algérien ou un Italien parce qu'il a un physique de la Méditerranée. Même aux Etats-Unis, il y a beaucoup d'acteurs comme Antonio Banderas, à qui on fait jouer des rôles de Mexicains alors qu'il est espagnol. C'est légitime. Quand on cherche un acteur avec un physique d'Algérien, et bien on va penser à moi. Pour Monsieur Lazhar, Philippe Falardeau a aussi vu des acteurs qui n'étaient pas algériens, mais israéliens, arméniens, marocains... qui ont des physiques proches. C'est aussi valable pour les écrivains. On me demande souvent pourquoi tous mes romans se situent en Algérie. Mais parce que c'est là que j'ai envie de raconter des choses. C'est comme l'écrivain Amin Maalouf. Il est parti il y a presque 40 ans du Liban et pourtant tous ses romans se situent là-bas. C'est l'endroit de notre enfance, de notre jeunesse, où il y a donc tout le terreau de nos émotions, de nos premiers émois. Le pays de l'enfance, c'est un peu la matrice. 
     

    <figure class="ccmcss_cms_figure ccmcss_cms_figure--left" style="margin: 5px 1.63125em 0.81563em auto; max-width: 100%; position: relative; font-size: 1rem; border: 1px solid rgb(218, 218, 218); line-height: 1.3; float: left; width: 200px;">aller de l'avant <figcaption>Aller de l'avant © Ronald Plante / UGC Distribution</figcaption></figure>

    En France, vous avez tourné dans plusieurs films, mais on vous connaît surtout pour vos spectacles comiques. Souhaitez-vous à l'avenir accorder plus d'importance à votre carrière au cinéma ?
    Jusque-là j'ai accordé plus d'importance au théâtre, parce que je suis arrivé en France avec un spectacle qui a eu beaucoup de succès, Djurdjurassique Bled, et que j'ai joué 350 fois. Ensuite, personne n'a fait appel à moi pour jouer dans un film donc j'ai fait un autre spectacle, Un Bateau pour l'Australie. Si on m'avait confié un super rôle, je l'aurais repoussé d'un an, mais comme il n'y avait rien... Je dois bien gagner ma vie et aussi exister artistiquement, alors j'avance ainsi. Après j'ai fait Le Dernier Chameau, mais entre-temps j'ai pu jouer des petits rôles au cinéma qui ne nécessitaient qu'une ou deux semaines de tournage. En ce moment, je suis sur scène avec mon dernier spectacle Petits Chocs des civilisations jusqu'à fin avril, puis j'ai pris un an et demi de vacances parce qu'il y a deux, trois projets très intéressants au cinéma qui sont en train de se mitonner. 

    Un acteur à suivre donc...

    <header style="font-size: 16px; line-height: 23px;">

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    Monsieur Lazhar

     

    <figure class="ccmcss_cms_figure ccmcss_cms_figure--left" style="margin: 0.81563em 1.63125em 0.81563em auto; max-width: 100%; position: relative; font-size: 1rem; border: 1px solid rgb(218, 218, 218); line-height: 1.3; float: left; width: 120px;">l'affiche du film <figcaption>L'affiche du film © UGC Distribution</figcaption></figure>

    Sortie le 5 septembre 2012

    Comédie dramatique de Philippe Falardeau avec Mohamed Fellag, Sophie Nélisse, Émilien Néron, Danielle Proulx, Brigitte Poupart, Louis Champagne, Jules Philip.

    A Montréal, Bachir Lazhar, un immigré algérien, est embauché au pied levé pour remplacer une enseignante de primaire disparue subitement. Il apprend peu à peu à connaître et à s'attacher à ses élèves malgré le fossé culturel qui se manifeste dès la première leçon. Pendant que la classe amorce un lent processus de guérison, personne à l'école ne soupçonne le passé douloureux de Bachir, qui risque l'expulsion du pays à tout moment. 

     

    Voir la bande-annonce du film

     
     
     
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    Ahmed Bejaoui, La Television veut prendre le monopole de tout l'audiovisuel

     
    AHMED BÉJAOUI À LIBERTÉ
    " La Télévision veut prendre le monopole de tout l'audiovisuel "
     
    Après trois années de combat pour la relance du cinéma, Ahmed Béjaoui, chef de projet de la création du Centre national du cinéma (CNC), ne voit toujours pas le fruit de ce travail, même si le texte du Cnca a été adopté par le Conseil du gouvernement le 7 janvier 2004.

    Liberté : Où en est votre projet de création du Centre national de cinéma ? 

    Ahmed Béjaoui : Il faut tout d'abord expliquer les tenants et les aboutissants de cette longue affaire, afin qu'il n'y ait pas de confusion. En 2001, j'ai été chargé par M. Abou, alors ministre de la Communication et de la Culture, du défrichage du dossier de la relance du cinéma. En février 2002, j'ai été nommé au poste de commissaire adjoint à l'Année de l'Algérie en France, ce qui fait que le dossier a été un peu mis en veilleuse. Seulement, pendant les quelques mois où j'étais au ministère pour m'occuper du dossier, j'ai eu beaucoup de freins. À l'époque déjà, il y avait pas mal de réticences. 

    De quel type de réticences s'agissait-il ? 

    À l'époque, je n'avais pas décelé de réticences politiques, à un niveau plus haut que le ministère. Les hostilités existaient au niveau des hommes du ministère. Je suis parti pour l'Année de l'Algérie, que j'ai dû quitter pour les raisons que tout le monde connaît. À son arrivée au ministère, Khalida Toumi m'a appelé pour me dire que le dossier serait relancé, le lui avais fait part de mes craintes dès le début, l'avais expliqué que lorsque M. Abou m'avait chargé du dossier du cinéma, il n'y avait pas une réelle volonté de relance. Seulement, les gens qui s'opposaient et qui faisaient des excès de formalisme avant, n'étaient plus là et on m'a convaincu de reprendre les choses en main. La ministre m'a assuré qu'elle exprimait une volonté réelle de redonner un nouveau souffle au cinéma algérien. 

    Quelle solution avez-vous proposée pour relancer le cinéma ? 

    Le cinéma algérien souffre depuis 1997 d'un vide juridique épouvantable. Mon passage à l'Année de l'Algérie m'avait encore renforcé dans ma conviction de me battre pour le cinéma, avec les cinéastes à mes côtés. Du moins, c'est ce que j'espérais. Pendant l'année de l'Algérie en'France, j'ai vu des gens recevoir de l'argent pour aller louer du matériel dans les pays voisins, alors que le matériel était entreposé au niveau des domaines. Ils développaient leurs films dans des laboratoires étrangers, alors qu'un laboratoire algérien est fermé depuis des années. La moitie de ce laboratoire est toujours sous cellophane, contrairement a ce que l'ont dit. Je l'affirme, il y a une vielle tireuse et une vielle développeuse , mais il y a aussi une nouvelle tireuse et une nouvelle développeuse achetées à l'époque mais qui n'ont jamais été utilisées. Tout cela n'a pas empêché de tirer 103 copies de films, à un coût exorbitant, pour l'Année de l'Algérie. 

    Existe-t-il un autre choix que de tirer ces copies pour que le cinéma algérien puisse s'afficher en France ? 

    Je ne remets pas en cause le tirage de ces copies, qui était nécessaire pour faire connaître le cinéma algérien, et l'impact a été grand, je l'aurais fait si j'étais resté au commissariat. Seulement, on doit tirer des conclusions de tout cela, on a dû aller chercher nos négatifs de laboratoire en laboratoire. On ne savait plus où étaient les négatifs, propriété de tous les Algériens. Un patrimoine national financé par les entrées au cinéma depuis 1962. J'affirme que, techniquement, les frais engagés pour rénover les négatifs et tirer les copies sont largement supérieurs aux frais qu'on aurait engagés pour numériser les laboratoires et les rendre performants à l'échelle internationale. Djazaïr 2003 a permis à de nombreux cinéastes de faire des films et au public français de mieux connaître le cinéma algérien, son histoire et son dynamisme. C'était là une occasion pour ne pas tirer un trait sur ce cinéma, comme l'avaient fait tant de responsables parmi la couche ignorante. Dans les années 1990, il y a eu un compromis historique pour sacrifier le cinéma. 

    Vous accordez une attention particulière aux salles, dont une dizaine a été réhabilitée sur le territoire national ... 

    Cet état des lieux a mis l'accent sur la nécessité de se pencher sur l'état des salles, qui sont le nerf de la guerre pour le cinéma. Il existait 400 salles sur le territoire national. 14% des entrées de ces salles revenaient au fonds d'aide à la création, ce qui couvrait largement le coût des films. Ces salles sont aujourd'hui en déperdition. Il y a un an, on attirait l'attention des autorités locales de la wilaya de Tizi Ouzou sur le risque de transformer le cinéma Le Djurdjura en centre commercial. Aujourd'hui, le cinéma a été détruit et un supermarché y est en construction. Combien d'autres salles ont subi et vont subir le même sort. Il restait environ 150 salles fermées,qu'il fallait réhabiliter et ouvrir au plutôt pour pouvoir relancer l’activité cinématographique et préparer les conditions pour des multisalles. 

    Pour répondre a cette situation, on avait focalisé notre projet de relance sur trois choses : les salles, le matériel et les droits des films qui sont dans des laboratoires étrangers. Un patrimoine qui représente des milliards de DA. Les domaines ne sont pas habilités à prendre en charge toutes ces choses, qui relèvent de la propriété publique. 

     
     
    Ahmed Bejaoui 20.06.2011 Programme National

    Comment comptiez-vous palier le vide juridique dont vous parlez ? 

    Il y a deux options pour combler ce vide juridique ; la première est de créer une Epie, organisme commercial qui prend en charge le matériel et qui permettra à l'État de continuer à aider matériellement les cinéastes. Mais notre option est pour la création d'une EPA. un organisme régulateur qui, débarrassé de toute contingence commerciale, régule le marché et transfère toutes les fonctions de production, distribution et d'exploitation au privé grâce à un accord avec l'Ansej. Bien sûr, beaucoup de monde étaient opposés au projet Cnca, comme EPA, parce qu'ils voyaient leurs intérêts menacés. Il y a toujours la même génération, des budgétivores, qui n'ont montré ni talent ni quoi que ce soit et qui continuent à s'apparenter le cinéma. Ils demandent des subventions pour des films que personne ne voit. Toutes ces anomalies nous ont poussés à opter pour un CNC, selon le mode français appliqué à une société algérienne libérale. Notre projet se base sur des aides à la production et à l'exploitation, la formation des jeunes aux métiers du cinéma. Pour ce faire, on avait proposé Isnas, institut national des arts et du spectacle, pour former les jeunes cinéastes. On a ficelé le dossier comme cela, on a pris le CDC et on l'a transformé en centre de cinéma. Le dossier a été envoyé au secrétariat général du gouvernement et de la Fonction publique, où il a été épluché et a franchi toutes les étapes. À chaque étape, des remaniements nous ont été proposés et nous avons fait en sorte de les appliquer selon les recommandations des commissions. 

    Le dossier est bien passé en Conseil de gouvernement ... 

    Effectivement, le dossier est passé en Conseil de gouvernement et il a été adopté le 7 janvier, en même temps que l'Isnas. Le texte fait l'objet d'un communiqué du gouvernement, disant que le texte du Cnca a été adopté par le Conseil. Par la suite, on est entré en période électorale, on nous explique que le journal officiel est encombré par les textes relatifs aux élections et qu'il faut attendre quelques semaines pour publier le texte. Après les élections, le texte de l'Isnas, adopté le même jour, a été publié fin avril et pas celui du Cnca. Ce qui confirme l'existence d'une volonté délibérée de bloquer le projet. Cela fait trois ans que je me bats pour ce projet, j'ai toujours dis que j'étais chef de projet et que je ne serais candidat à la direction du centre que si je voyais s'exprimer une volonté politique en faveur du cinéma. Aujourd'hui, 5 mois après l'adoption du texte, je vois qu'il y a une volonté politique qui s'exprime contre le cinéma. Force pour moi de me rendre à l'évidence qu'on ne veut pas de ce cinéma, je ne sais pas qui ne veut pas de cinéma ? Mais je sais qu'il y a beaucoup de lobbies et des d'intérêts qui sont touchés. Aujourd'hui, je suis sûr d'une chose, je ne vais pas faire le Don Quichotte et me battre contre des moulins a vent. 

    En qualité de chef de projet, vous dépendez du ministère de la Culture, par conséquent, c'est a Mme Toumi de défendre le projet ... 

    Je suis tout a fait d'accord avec vous. Sauf qu'au ministère, on me dit que c'est à moi de défendre le projet. Que j'ai le prestige et le nom pour le faire, le pense que depuis l'indépendance, jamais un projet n'a été autant défendu, comme je l'ai fais pour le Cnca. Je me suis impliqué à fond, j'ai fais des plaidoyers mais personne ne m'a écouté. On dirait qu'il y a de l'autisme dans ce pays et que les responsables n'écoutent jamais, j'ai préparé le projet et j'ai établi le texte, il y a des dirigeants politiques qui doivent prendre leurs responsabilités, j'ai été déçu, que ça soit le ministère de la Culture qui réponde, au cours d'une séance de questions écrites, adressées au Chef du gouvernement, relatives au sort du Cnca. Pis, que le ministère parle de problèmes techniques et que du moment où ces problèmes seront levés, le texte sera appliqué. On ne dit pas quels sont ces problèmes. On ne veut rien donner au cinéma (matériels, locaux et finances). Pendant des années, ça a été la razzia sur les avoirs du cinéma. Je le déclare officiellement, je ne suis pas candidat à la direction du Cnca. Je suis responsable du projet et je continuerai à me battre jusqu'à sa réalisation, mais pas pour gérer une situation où il y a une telle volonté de sacrifier le cinéma à des idées obscurantistes. La deuxième raison qui justifie ma décision, c'est que très peu de cinéastes ont manifesté la volonté de régler le problème. Je les ai écoutés lorsqu'il n'y avait rien. Lorsqu'on a proposé un projet concret, certains l'ont combattu, les autres sont là à attendre les subventions. Si les cinéastes ne se mobilisent pas pour défendre le cinéma, alors ce n'est pas à moi de le faire. 

    À quel niveau politique le cinéma dérange-t-il ? 

    Je pense que c'est une question d'intérêts de petits lobbies qu'on ne voulait pas froisser pendant les élections. Le laboratoire ne fonctionne pas, alors on tire des copies à l'étranger. Ça rapporte et ce n'est pas perdu pour tout le monde. Réhabiliter les salles dérange ceux qui ont pris l'habitude de la vidéo, moins coûteuse. Je crois qu'il y a une connivence générale. 

    Est-ce une coïncidence que le texte soit bloqué au niveau de la même chefferie du gouvernement, qui décidait la liquidation des entreprises de cinéma, en 1997 ? 

    J'ajoute que c'est la même personne qui a signé les arrêtés, ici au ministère de la Culture, en l'occurrence l'actuel directeur général de l'Entv. Ceux-là sont ces mêmes gens qui ne veulent pas revenir en arrière. La télévision veut prendre le monopole de tout l'audiovisuel. Seulement, si la télévision empêche le cinéma de vivre, c'est elle-même qu'elle condamne. C'est une vision de myope. 

    Quelle est la position de Mme Toumi ? 

    La ministre dit que tout cela est contre sa volonté. Qu'elle s'est battue pour ce texte et qu'elle continue à le faire, sauf qu'on ne lui donne pas d'explications. Je ne sais pas si le texte a été victime et otage de certaines relations humaines à l'intérieur du pouvoir. Moi, je n'ai pas de parrains, je n'ai que le cinéma et la culture à défendre. 

    Comment voyez-vouc l'avenir ? 

    Il faut que chacun assume ses responsabilités. Contrairement a ce qu'on dit, une hirondelle ne fait pas le printemps. Personnellement, je ne peux pas m'occuper du cinéma. 

    Propos receuilis par W. L. 
    Liberté mercredi 9 juin 2004 

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  • LE CINÉMA ALGÉRIEN AUJOURD'HUI Table ronde au 10e festival des cinémas d'Afrique en pays d'AptOlivier Barlet

    Lors de la 10e édition du festival des cinémas d'Afrique en pays d'Apt (novembre 2012), la traditionnelle table ronde du dimanche matin a porté sur l'état du cinéma algérien. Elle regroupait la réalisatrice et actrice Amal Kateb, le distributeur Jacques Choukroun, le distributeur et producteur Hachemi Zertal, les réalisateurs Merzak Allouache et Djamil Beloucif, Laïla Choulak, vice-présidente de l'association Projecteurs qui organise les Rencontres cinématographiques de Bejaïa et leur directeur artistique, le critique Samir Ardjoum, ainsi que le critique et universitaire tunisien Tahar Chikhaoui. Un débat passionnant aux voix discordantes et engagées !

    Olivier Barlet : Pour des raisons historiques évidentes, l'Algérie est un pays qui nous importe et le cinéma est pour les Algériens une façon de se dire au monde. Sans tomber dans le procès, il s'agira d'aborder les obstacles et les difficultés rencontrés autant que les chances et les grâces. Même si les choses doivent être dites, il s'agira donc de dégager les forces et les possibles pour envisager les enjeux.

    Merzak Allouache : La difficulté en Algérie est moins de tourner des films que de les montrer. Dans ce pays où il y avait plus de trois cents cinémas, un réseau de cinémathèques, on pouvait accompagner nos films et discuter avec le public. Aujourd'hui, on les montre à très peu de gens dans des conditions déplorables, alors que la propagande officielle fait croire qu'il y a des salles et des avant-premières, avec des manifestations officielles où on nettoie tout pour l'espace d'une soirée ! Ensuite, le film disparaît. Une nouvelle génération arrive à faire des films en dehors des circuits de subventions mais c'est les montrer qui est dramatique. Dans les salles, le son et l'image sont très mauvais. Le public a perdu l'habitude d'aller au cinéma et demande que toute l'Algérie soit présentée en un seul film. Je voudrais que mes films rencontrent les lycéens, les étudiants, le public : cela a existé dans les quartiers, les gens allaient au cinéma. Quand je montre un film en Algérie, on me demande quand va sortir le DVD, sachant qu'ils sont tous piratés. Le cinéma algérien est une excuse pour parler politique, pas pour montrer un film. On a un mur officiel de gens très médiocres de gens qui sont au ministère de la Culture, qui ont une vision absurde du cinéma et qui semblent contents d'être là !

    Djamil Beloucif : Aujourd'hui, on peut voir les films sur internet. La technique rend cela possible. Il y a à boire et à manger, il faut faire le tri, mais c'est une façon de montrer et voir les films.

    Merzak Allouache : Je ne suis pas de la génération internet. L'humour algérien se retrouve sur internet. Les images les plus intéressantes sur les émeutes, les manifestations, les stades, sont sur internet, mais ça ne me suffit pas : je reste frustré de ne pas pouvoir discuter des films. Il y a une nouvelle loi qui condamne celui qui filme sans autorisation : c'est nouveau. On essaye de contrôler toutes ces petites caméras qui circulent.

    Djamil Beloucif : C'est une aberration de vouloir contrôle ça. Un harraga est passible d'amende ! Il est impossible de contrôler tout ça !

    Olivier Barlet : Cela nous ramène au décret Laval de 1934 qui imposait une autorisation pour faire des images dans les colonies… On parle là rapidement sur la question des contrôles, mais au niveau des tripes, des thématiques, qu'est-ce qu'on a envie de faire entendre au cinéma en Algérie aujourd'hui ?

    Djamil Beloucif : Une bouteille d'eau, un paquet de clopes, des objets, voilà des bons sujets. Je m'intéresse à ce qui est banal. Le cinéma a des formes, pas de sujets. Arriver à tordre l'œil du spectateur pour lui faire rendre quelque chose d'anal. Je rejoins Merzak pour dire que le cinéma, c'est un groupe qui regarde quelque chose ensemble. Le point du vue du théâtre était unique, au cinéma on a réussi à le faire bouger, avec des angles, des plans, des coupes, etc. Internet, on n'arrive pas à le faire avec du groupe. Peut-être de nouvelles formes sont-elles en train de naître, mais cela dépasse le problème de l'Algérie.

    Amal Kateb : Les Rencontres cinématographiques de Bejaïa est le seul festival où mes courts métrages ont pu rencontrer un public. Ce qui et complexe, c'est d'arriver à parler avec le ton juste, propre à soi. On a envie de contredire, de provoquer, de se conformer à des attentes, de l'État pour ne pas être censuré, d'un public étranger. La difficulté est de trouver sa juste place. Le problème est de protéger sa voix intérieure, sans tenir compte des attentes des uns et des autres.

    Olivier Barlet : Les Rencontres de Bejaïa sont un lieu où le collectif se remet en place. Qu'est-ce qui est en jeu dans ces Rencontres ?

    Laïla Choulak : Les Rencontres sont portées par l'association Projecteur. Elles ont démarré avec la collaboration de deux associations : Kaïna cinéma et Cinéma et mémoire. Et cela, il y a dix ans dans le but de rouvrir la salle de cinéma, fermée depuis longtemps. Dans Projecteur il y a aussi heurter, faire choc. La diffusion est le premier objectif : remettre le cinéma dans la société. Reprendre le ciné-club longtemps arrêté. Il nous fallait rendre compte des images qui se font en Algérie et ailleurs.

    Olivier Barlet : Projection est donc bien vu comme la possibilité de voir ensemble.

    Laïla Choulak : Exactement. Cela nous aide à changer le regard, savoir prendre la parole, s'impliquer. On a un retour, des réponses, et cela nous permet de mesurer la valeur du travail accompli. On a la chance à Bejaïa de pouvoir agir en tant que femme : les portes sont ouvertes. L'enjeu est d'adhérer à des mouvements qui font bouger les choses.

    Amal Kateb : Cette question de la femme, cela fait partie des attentes dont je parlais : on attend de nous qu'on parle de la femme algérienne. Un de mes films s'appelle Allez les filles ! et non Allez les femmes !

    Samir Ardjoum : J'allais à Bejaïa en tant que journalistes et j'y ai vu un public qui s'impliquait vraiment. C'est vrai que, comme le disait Merzak, le cinéma n'arrive au public que comme événement, et entre les événements il n'y a rien ou pas grand-chose. Quand on lui propose de réagir à un film, il n'a pas l'habitude. Dans certains festivals, on voit le public réagir comme s'il était chez lui dans son salon : on discute et on est sur son portable. Il n'est pas à blâmer, c'est normal, mais la télévision gagne du terrain, et du coup, il n'y a plus d'échanges. À Bejaïa, le public brisait la barrière entre lui et le cinéma en discutant avec le réalisateur. J'y étais pour la première fois en 2009 où Tariq Teguia présentait Inland. Un spectateur lui a proposé de venir chez lui pour remonter le film ! Teguia l'avait pris ensuite en aparté et avait pris le temps de discuter avec lui. Les deux objectifs de la programmation sont d'une part, de ne pas tomber dans le misérabilisme : on ne sélectionne pas un film parce qu'il est algérien. Ce n'est pas le contenu qui nous interpelle mais la forme. Les Rencontres ne donnent pas lieu à une compétition. D'autre part, le deuxième aspect est de montrer autre chose, d'autres géographies, comme autrefois à la Cinémathèque. Que le cinéma ne soit pas un enfermement communautariste !

    Tahar Chikhaoui : Je suis issu d'une tribu nomade, puis il y a eu sédentarisation et je suis né dans une maison en terre. Puis nous nous sommes installés dans une maison en dur, puis avons construit des ailes en briques. Mais depuis quelques années, j'ai l'impression de n'habiter nulle part. Peut-être me faudrait-il une maison portable ? J'entends bien ce qui se dit ici mais quelque chose est en train de changer et on ne s'en rend pas compte. Le film Babylone le dit très bien : le cinéma a eu sa maison, la salle de cinéma, et c'est en train de changer. Bien sûr, elle ne va pas disparaître. Mais on s'éloigne du passé : elle est devenue un ancien lieu, comme la maison de mon grand-père. D'autres lieux se construisent, une mutation est à l'œuvre, mais on n'a pas prise dessus. Je suis sûr que notre mode de percevoir les films va changer de même que notre mode de faire change. On fait maintenant des films avec des caméras accrochées au front, comme la lampe des mineurs, que personne ne peut contrôler. Si on fait des films ainsi, il est normal qu'en aval ça change aussi. On est facilement nostalgique mais les choses changent : internet, DVD, transfert de fichiers d'un continent à l'autre ou vision globale. La caméra-stylo était une métaphore mais aujourd'hui elle est vraiment un stylo. Il faut bien sûr voir ce qu'on fait avec. Merzak Allouache est connu de ma génération car on a vu ses films dans des salles de cinéma. Mais je pense qu'il sera encore plus vu qu'il ne se rend compte dans ces changements en cours. Quand je vois les films à Bejaïa, je suis frappé par la créativité et l'effervescence des jeunes cinéastes algériens. Pas tout, pas tous, il y a du médiocre, certes. Mais il y a aussi du beau. Cela se répercute sur les contenus : quand on a une armée de techniciens avec une caméra 35 mm, on ne prend pas les mêmes risques et on s'intéresse moins à la banalité. Je pense qu'on est en train de vivre un changement mondial du statut de l'image et du rapport au spectacle. On donne un sens à ce qui n'a pas de sens, ce qui peut être une définition de l'art. On va participer à la fabrication des films. Le mode fondamental de faire des films ne va pas forcément disparaître mais c'est une nouvelle stratification.



    Merzak Allouache : Je ne suis pas d'accord. On va nous envoyer les films d'Hollywood et nous, on devra se contenter de petites caméras pour internet : je ne suis pas d'accord ! Celui qui veut tourner avec une petite caméra doit tourner avec une petite caméra et celui qui veut tourner en 35 avec du 35. Il ne faut pas croire que le cinéma est démocratisé. Tu parlais de la maison : en Algérie, depuis l'indépendance, une majorité des immeubles ont un ascenseur qui ne marche pas, bloqué depuis trente ou quarante ans. Est-ce qu'il faut réparer ces ascenseurs ou bien développer de nouvelles godasses qui permettent de monter allègrement les escaliers ? Dans notre pays du Tiers-monde qui a beaucoup d'argent, apprenons aux gens à monter plus vite les escaliers ? Non ! Il faut partout exiger des subventions et pouvoir tourner avec des équipes de soixante ou quatre-vingt personnes comme ça se fait partout quand on le veut ! L'internet ne démocratise pas le cinéma. Samir insistait sur le public qui n'a plus de notion du cinéma. Nous sommes dans un pays où les festivals doivent être officiels et on ne peut plus appeler les autres que rencontres : là aussi, c'est une bataille à mener.

    Olivier Barlet : quand Godard est allé en soixante-quinze au Mozambique, invité par les cinéastes, il s'est fait sortir du pays également par les cinéastes car il avait préconisé la caméra dv de l'époque alors qu'ils voulaient tourner en 35 !

    Merzak Allouache : les Mozambicains n'ont pas eu droit à la télévision qui a été interdite durant des années, sur le conseil de ces cinéastes qui venaient d'ailleurs, parce que les Mozambicains allaient regarder la télévision sud-africaine.

    Olivier Barlet : L'histoire des trois petits cochons que nous racontait Tahar (les maisons de paille, de briques et de pierres) va donc diviser cette table ! Continuons sur les questions de la production et de la distribution.

    Hachemi Zertal : la distribution c'est l'accès aux images. Nous avions plus de quatre cents salles et les gens allaient au cinéma. Les films étaient soumis à la censure et avaient un visa d'exploitation. Mais il y avait aussi un réseau de salles de la cinémathèque algérienne qui passait des films non-commerciaux appartenant au répertoire du cinéma mondial. C'est ainsi que toute une génération de cinéastes a vu ces films et a pu en débattre dans les ciné-clubs. La cinémathèque n'était pas assujettie à la censure : le public pouvait ainsi voir le dernier film de Chahine ou de Fassbinder et souvent en discuter avec le réalisateur. J'ai vécu ça à Constantine : les gens venaient à la cinémathèque pour voir un cinéma autre, non censuré. Aujourd'hui, où il y a une centaine de partis, on ne peut pas voir un film algérien s'il n'a pas de visa d'exploitation qu'il lui aura fallu demander un à trois mois à l'avance. Et ces films ne passent pas à la cinémathèque. Les ministres de la Culture ont remis en cause ce principe et les cinémathèques sont également soumises à la censure. On fait tout pour que les films ne passent pas. Je n'arrive pas à avoir le visa d'exploitation de deux films d'animation depuis deux années ! On veut laminer les énergies. On replâtre les salles de cinéma (ce n'est pas une restauration). Cela coûterait moins cher de reconstruire mais on fait tout pour ne pas construire. À Constantine, cela fait dix-sept ans que la salle de la Cinémathèque est fermée, les travailleurs sont payés. L'autre salle, on la retape depuis six ans et on accélère à cause du cinquantenaire de l'indépendance. Il faut justifier des budgets et on avance des chiffres… Même dans les salles retapées à Alger ou ailleurs, il y a une moyenne de quinze spectateurs/jour ! Autrefois, les salles faisaient 80 % de remplissage. On ne se pose pas la question du pourquoi de cette débandade. Il y a le DVD et la parabole et les gens sont au courant des sorties de film. Un an plus tard, personne ne va le voir. Le catalogue de la cinémathèque algérienne est épuisé car on a tout fait pour épuiser cet espace de liberté : les films sont en lambeaux et il est frustrant de ne pouvoir le film dans son entier ! Si on cherche une copie d'Omar Gatlato, on ne la trouve pas ! Un multiplexe numérique s'est créé à Alger dans un multiplexe mais le ministère fait tout pour qu'il n'ouvre pas : on ne veut pas du numérique et on veut poursuivre le 35. On retape les salles de la cinémathèque en lançant des appels d'offres pour acheter deux appareils 35 dans une seule cabine alors qu'on sait très bien qu'on fonctionne avec un seul appareil et que le numérique est en train de s'imposer. Je ne suis pas contre le fait de maintenir le 35 dans les cinémathèques pour les films du répertoire, mais être contre le numérique en parallèle est une question de censure car on n'a plus le pouvoir ! Tout est fait dans cette politique de restauration de salles de cinéma pour qu'il n'y ait pas accès au numérique. Le ministère de la Culture ne veut pas céder les salles au ministère de l'Intérieur. C'est très bien mais en faisant tout pour qu'elles ne fonctionnent pas, ça n'a pas de sens. Les travailleurs sont sans motivation car fonctionnarisés. Les municipalités font des salles pour montrer qu'il y a des activités mais après l'inauguration la salle ne fonctionne pas et ça ne les dérange pas ! Et quand un distributeur comme moi propose une cogestion pour que le film puisse passer en faisant un travail ensemble pour que le public vienne, on m'oppose la réglementation qui ne permet à un agent extérieur à la commune de faire fonctionner la salle. C'est le statut quo. L'Afrique, une salle de 1 200 places, a été inaugurée puis est restée fermée. Idem pour le Casino (Alger) : inaugurée à 8 heures du matin avec un film emprunté à une salle proche le temps que le préfet passe et fermée aussitôt après… C'est vraiment la galère d'amener les films qui puissent plaire au public. J'ai sorti Les Seigneurs d'Olivier Dahan pour un public jeune, amenant l'acteur Ramzi pour la promotion. On a atteint 1 193 spectateurs : je n'ai pas récupéré le dixième de ce que j'ai payé. Le chef du cabinet du ministre de la Culture est venu en personne voir le film pour attribuer le visa d'exploitation. Et si nous sortions dix ou quinze films par semaine comme en France, comment ferait ce pauvre chef de cabinet pour faire aussi son travail ? Il y a aujourd'hui à Alger deux salles commerciales gérées par des privés qui fonctionnent, avec trois séances par jour et une promotion notamment sur internet, malgré les affirmations comme quoi il y en aurait une vingtaine ! J'avais deux copies pour Les Seigneurs, je ne savais où mettre la deuxième.

    Jacques Choukroun : Je suis très content de ce que dit mon ami Merzak car je ne suis pas du tout d'accord avec la vision de la salle comme nostalgie. Les grands pays producteurs de films sont ceux où les salles sont très développées : les États-Unis, l'Inde, l'Iran… Je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui un cinéma algérien : il y a des films, un bouillonnement, mais pas une cinématographie. Je voulais monter un master pro à Alger pour former des gens pour diriger une salle. Il a fallu que j'explique en long et en large sa nécessité. Personne ne s'est posé la question de diviser les grandes salles lors de leur rénovation pour en faire des petits complexes de cinéma : on ne se demande pas le rapport du public au cinéma. Ce master a eu lieu : il y a maintenant à Alger douze étudiants dotés d'un vrai diplôme, mais aucun n'a trouvé de boulot dans la filière. Les gens motivés existent mais on tarde à leur donner ces responsabilités. Il n'y aura pas de renouveau du cinéma en Algérie si on n'a pas quatre-vingt salles animées de façon moderne.

    Tahar Chikhaoui : Je me suis fait mal comprendre. J'ai parlé de lieu : je ne suis pas un SDF. Je suis logé. Je dis que les choses ont déjà changé. Je serais le dernier à penser qu'il ne faut pas des dispositifs pour soutenir les salles. Mais la situation est sinistrée. Il faut regarder devant : réfléchir à des modes de visionnement adaptés à ce qui se fait maintenant. Vous venez de dire que l'État algérien met de l'argent sur des solutions anciennes. Je suis contre le piratage mais en même temps, il y a de plus en plus de jeunes qui voient des films, et de plus des films qu'on ne pourrait pas voir s'il y avait des salles ! Quelque chose est en train de bouger : la censure en tous sens, c'est terminé, ça ne tiendra plus. Se mettre au diapason des gens du Moyen Âge, c'est rester dans le passé. La maison change comme la caméra change, comme le récit, les personnages, les mouvements de caméra. Je vois ce changement à travers des films qui cherchent la nouveauté.

    Djamil Beloucif : Quand vous me parlez de rénovation du cinéma algérien sous condition que les salles soient rénovées, je réponds que je n'ai pas le temps : ma génération ne croit plus aux promesses. Confucius disait : " Même l'eau stagnante creuse la roche ". On a stagné. Il y a comme une opposition mais je crois à la coexistence des deux solutions.

    Merzak Allouache : il ne faut pas avoir comme ça des formules lapidaires. On discute mais on ne résoudra rien. Il n'y a pas d'opposition : chacun est libre de faire ce qu'il veut, sauf qu'il ne faut pas mentir sur une situation. Il y a dans ces pays des gens et une idéologie qui refuse l'image. Les antidémocrates se sont enfoncés dans ce combat. L'islamisme dit aux enfants dès l'école primaire qu'il ne faut pas d'image. Mon film Normal est qualifié de film porno. Une actrice du film se fait insulter tous les jours dans son quartier. Le cinéma comme partout dans le monde doit être développé. Il peut y avoir un cinéma de recherche mais je connais aussi des jeunes qui ont envie de travailler avec des travellings et des grues : c'est une question de financement. Les salles vides arrangent les islamistes. Il faut se battre contre ceux qui veulent empêcher une cinématographie nationale même si on est vieux jeu de parler de cinéma national !

    Jacques Choukroun : Le cinéma algérien va de plus vers la diversité. Il est difficile de trouver une thématique globale. Je m'en félicite. Il ne faut pas opposer la nécessité absolue qu'on les artistes de s'exprimer à la question éminemment politique de comment le peuple peut s'emparer de cet art. L'aberration de la politique montre que ce n'est pas du hasard. Il faut des salles de cinéma, mais pas de 1 000 places où l'on ne peut se rencontrer. Les Rencontres sont à cet égard bienvenues ! Les lieux où l'on est ensemble posent problèmes. Quand on a tué des gens il y a une vingtaine d'années, on a tué des directeurs de théâtre.

    Question de la salle : les financements de rénovation de salles sont-ils nationaux ou internationaux ?

    Hachemi Zertal : en tant que producteur de pétrole, l'Algérie dispose d'une manne financière. Le financement est algérien et national. Et on fait tout pour ne pas construire des multiplexes.

    Samir Ardjoum : face à la situation, on fait quelque chose. Il y a des groupes qui se créent via facebook qui se rencontrent chez des particuliers pour se projeter des films et pour écrire dessus ensuite. L'association s'appelle oxymore, qui a créé des revues sur différents arts. Je suis un enfant de la télévision mais on parlait de ce qu'on y voyait. C'est une manière de palier aux carences.

    Question de la salle : Boudjema Karèche nous a indiqué qu'il n'y avait aucune école de cinéma.

    Samir Ardjoum : La ministre de la Culture dit qu'il y a une école de cinéma mais ce n'est pas le cas. Il existe à l'est d'Alger depuis quatre ans un Institut Supérieur des métiers des Arts du Spectacle et de l'Audiovisuel qui forme des assistants-réalisateurs. Merzak en a deux qui travaillent avec lui. Quand on leur demande leur expérience de l'ISMAS, ils précisent que ce n'est pas une véritable école de cinéma, qu'il n'y a pas d'encadreurs et qu'on y apprend tout sauf le cinéma, voir et échanger.

    Intervention salle : J'ai rencontré en Algérie un énorme désir de cinéma lors d'un atelier à Bejaïa.

    Merzak Allouache : Je n'arrive pas à être optimiste comme vous qui venez à Alger et rencontrez vingt personnes. Je sais qu'il y a des énergies. J'aime bien que les gens viennent en Algérie et trouvent qu'il y a des gens qui bougent mais ce n'est vraiment pas la réalité de l'Algérie d'aujourd'hui. En dehors de ces îlots de couches moyennes qui ont eu la chance d'aller en Europe et de revenir, les Algériens n'ont pas vu d'étrangers depuis vingt ans. Le cinéma était populaire en Algérie : René Vautier avait créé les cinépops. On trouvera à Bejaïa des cinéphiles qui se rencontrent mais ce n'est rien du tout par rapport à un pays comme l'Algérie. On rencontre des jeunes de 20-25 ans qui n'ont jamais vu un film dans une salle alors qu'ils peuvent parler du foot pendant des heures. Il faut tirer la sonnette d'alarme. Il y a eu récemment un salon du livre qu'on considère comme le plus grand salon du livre au monde alors que les gens ne lisent pas. J'ai discuté avec Maïssa Bey : elle me disait qu'elle était contente de vendre 1 500 livres. La majorité des livres de ce salon sont islamistes. Les musées sont très beaux mais restent vides. J'ai tourné Le Repenti dans une ville où il y a un palais de la culture tout en marbre, avec une série de sbires qui empêchent les jeunes de venir y faire des activités. Nous avons cherché en vain une librairie, une salle de cinéma, des lieux pour sortir ! C'est ça qui est désespérant. Il faut se plaindre de ce qui ne va pas dans ce grand pays aux potentialités énormes.

    Réponse de l'interlocutrice : l'atelier à Bejaïa auquel j'ai participé regroupait des jeunes venant de toute l'Algérie dont tous ne parlaient pas français. Très peu avaient pu sortir d'Algérie.

    Hachemi Zertal : il n'y a pas de contradiction : il y a un réel désir des jeunes de faire quelque chose ! Certains groupes arrivent à percer, mais pour qu'une wilaya ait une salle de cinéma et un théâtre dans ce pays riche de pétrole, c'est qu'il y a une démarche politique qui l'empêche.

    Intervention de la salle : l'absence de printemps arabe ne tient-elle pas à une volonté d'un régime qui craint le débat ?

    Tahar Chikhaoui : il n'est pas vrai qu'il n'y a pas eu de printemps en Algérie. La presse algérienne est libre. Que les politiques soient en retard ne veut pas dire que le pays le soit. Ne nous focalisons pas sur les politiques. C'est vrai que tout est à refaire mais les choses émergeront également sur le plan institutionnel. Les cinéphiles sont où en France ?

    Merzak Allouache : la ministre de la Culture n'est pas une momie, c'est une jeune réactionnaire. Il faut arrêter de comparer avec la France où il y a des occasions de sortir partout. Les Algériens s'emmerdent. Il n'y a rien ni pour les jeunes ni pour les vieux. Cela va changer, ok, mais ça sera islamiste ! C'est vrai, je suis pessimiste.

    Intervention de la salle : il y a eu en France des dispositifs d'éducation à l'image lancés par Lang, avec " école au cinéma ", des centaines de lycéens et collégiens d'Apt viennent voir des films au festival, etc. On ne peut pas tout mettre sur le même plan.

    Question de la salle : Y a-t-il refus de l'image ou bien la création d'autres images qu'un pouvoir en place ne voudrait pas voir ?

    Jacques Choukroun : Certaines parties extrémistes des religions monothéistes luttent contre l'image et la représentation en général. Ce n'est pas une spécificité algérienne.

    Merzak Allouache : depuis quinze ans, mes films ne sont pas passés à la télévision algérienne, pas plus que les films des jeunes. Par contre, ce n'est pas un écran noir. Ils diffusent leurs images. Ils nous reprochent d'ailleurs de donner une fausse image de l'Algérie. Mais le problème des salles est de ne pas laisser les gens se rencontrer.

    Hachemi Zertal : La télévision algérienne a investi dans des films, en participant à la production, pour un montant équivalent à ce que peut mettre une chaîne française. Pour La Chine est encore loin de Malik Bensmaïl, elle s'est impliquée. Ils donnent 50 % avant et le reste une fois le film terminé. Le second versement ne venait pas : on m'a dit qu'il y avait des gros mots dans le film. Effectivement, quand les gamins se disputent, ils disent des gros mots. Je ne pouvais charcuter l'œuvre du cinéaste : c'est à la télévision de savoir ce qu'elle veut enlever. Je ne suis pas prêt de voir cette deuxième tranche et le film n'est bien sûr pas passé à la télévision, qui ne vend pas le film sur les territoires sur lesquels elle a les droits.

    Jacques Choukroun : El Manara de Belkacem Hadjadj, qui porte sur le terrorisme en Algérie, était produit par la télévision algérienne mais n'a jamais été diffusé ni n'est sorti en salles. Quand le film a été fini, ce fut la loi de concorde nationale ! Le film ne donnait pas l'image qu'il fallait.

    Olivier Barlet



     

    Transcription : Olivier Barlet

     

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  • OSMANE BELKACEM, Auteur, Metteur en scène et humoriste

    “Je déplore le peu d’intérêt qu’on accorde au produit littéraire”

    Par : Rachid Hamatou

    L’auteur, qui a déjà derrière lui une carrière de près de 30 ans dans l’écriture (scénario, poésie, contes, monologues, etc.), ne manque point d'humour en dépit de ses cris de cœur et d'alarme quant à la situation de l'auteur dans les Aurès qui ne trouve pas d’éditeur.

    Liberté : Lors de votre intervention à la rencontre littéraire organisée à Tkout, jeudi dernier, vous avez déclaré qu’aucune de vos œuvres n’a pu voir le jour. Pour quelles raisons ?
    Osmane Belkacem : Lors de mon intervention, j’ai constaté et déploré l’absence d’éditeurs, le peu d’intérêt qu’on accorde au produit littéraire ou théâtral, à un moment où le gain facile fait ravage. D’autres facteurs s’ajoutent certainement à ce constat. J’ajouterais également que nous n’avons pas de supports médias à travers les Aurès. Je suis ici grâce à internet, et, en effet, peut-être qu’une ouverture se dessine à travers les nouveaux moyens qui ont bouleversé le monde. 
    Vous avez également parlé du HCA (Haut Commissariat à l’amazighité)...
    Effectivement, la formule proposée par cette institution n’a plus aucune raison d’exister. Si vous déposez une œuvre en 2013 pour qu’elle soit publiée en 2025, ce n’est vraiment pas la peine, sachant également que ce n’est point rentable. 
    Je ne veux pas brader mon produit ou travailler pour rien. Il est urgent que les responsables du HCA revoient leur méthode ou façon de travailler que je considère peu ou pas claire du tout.

    Vous dites écrire et produire sans être édité depuis 1984. À combien estimez-vous le nombre de vos écrits non publiés ?
    Je ne me suis pas spécialisé dans un seul domaine, car j'ai produit des contes, des adages et charades en chaoui, des scénarios pour films, des pièces de théâtre… En tout, une trentaine d'œuvres imprimées qui n'attendent que preneur et une diffusion.
    Mais cette forme de stagnation risque de vous décourager…
    évidemment, quand vous voyez matin et soir ce que vous produisez au stade brut, c'est juste écrit, ça ne peut que vous décourager. Nous entendons parler de l'aide l'état à la création dans toute sa diversité, mais, honnêtement, nous n'avons ni vu ni reçu cette aide, en dépit de nos différentes démarches. Je parle en utilisant le “nous”, car je ne suis pas la seule personne dans cette situation intolérable. 

    Que proposez-vous dans ce cas ?
    Une commission de lecture installée à Alger ou qui fait des déplacements à travers le pays. Peut-être que ce que je produis ne mérite pas d'être imprimé et diffusé, mais lorsqu’on me le dira, au moins je serai fixé.

    R. H

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  • Nadir Moknèche : "L'Algérie est le deuxième pays francophone du monde..."

     

    "...Il n'est donc pas illégitime qu'un cinéaste Algérien décide d'utiliser le français pour s'exprimer" affirme ici le réalisateur qui revient ici sur "Viva Laldjérie", ses enjeux et ses joies.

     

    Les gardiens de murs

    “One, two, three, Viva Laldjérie” est l’un des nombreux slogans scandés par les supporteurs des stades, des “hittistes” ; terme lui-même constitué du mot arabe “hit” (mur) et du suffixe français, “iste”. Ces chômeurs, personnifiés dans le film par Samir le dragueur, qui s’adossent contre les murs d’Algérie, analphabètes des deux langues (arabe classique/français), avatars d’une arabisation forcée, ont façonné ce terme “Laldjérie”. Mélangeant le nom français Algérie avec le nom arabe “El Djazaïr” pour créer un nouveau mot, comme beaucoup d’autres qui entrent chaque année dans le parlé algérien.

    Pourquoi le français

    Je suis le premier à vouloir entendre ma langue maternelle ; d’autant plus que cette langue qu’on appelle par défaut l’arabe, mais qui est aussi loin de l’arabe que l’italien du latin, est censurée à la télévision et à la radio d’état. L’arabe classique, l’arabe du Coran, est l’unique langue officielle de l’Algérie indépendante, un des multiples héritages nassériens. Les cours de théâtre dispensés dans l’unique école du pays, et qui ne fonctionne qu’à moitié, sont dans cette langue et produisent des résultats aussi frais et vivants qu’une parade du premier mai à Moscou sous Brejnev. Les acteurs qui peuvent jouer avec un minimum de justesse sont rares. Il suffit de voir la télévision algérienne (reçue en Europe par satellite), unique financier de la fiction audiovisuelle, puisqu’il n’y a pratiquement plus de salles de cinéma ou de théâtre. Et faire parler Lubna Azabal dans sa langue, l’arabe marocain, serait ridicule. L'Algérie est le deuxième pays francophone du monde par le nombre de locuteurs effectifs, la majeure partie de sa littérature est écrite en français, il n'est donc pas illégitime qu'un cinéaste Algérien décide d'utiliser le français pour s'exprimer.

    Dire la vérité

    Viva Laldjérie tente de montrer la vie qui se déroule dans une société en déliquescence : le vol ordinaire, les relations affectives et sociales biaisées, le port d'armes banalisé, l'indifférence quotidienne, le mensonge érigé en loi et, au bout de cela, le meurtre. Je ne crois pas qu’un cinéaste soit là pour flatter sa société, pour conforter les schémas et les stéréotypes que les gens se fabriquent ; montrer qu’ils sont les meilleurs, les plus beaux, les plus gentils, les plus purs. Il y aura toujours des gens qui prétendront que les prostitués, les travestis, les vagabonds, les alcooliques, n’existent qu’en Occident. D’autres, pour penser qu’Alger est une mosquée à ciel ouvert, que dans ses parcs, on ne fait pas l’amour, qu’on s’entraîne au djihad.

    Camérer

    Les Algériens ont un rapport épineux avec l’image, leur image. Ils ont commencé par se voir à travers le regard colonial, en une masse de gens indifférenciés, et à l’indépendance, en archétypes réalistes socialistes : le Combattant, le Paysan, l’Ouvrier. Rarement en individus ayant une personnalité propre. Pendant le tournage de Viva Laldjérie (en janvier 2003), on a posé la caméra partout dans la ville : aux artères principales, aux endroits populaires, comme la place des Martyrs, la Casbah, sans jamais une seule fois être obligés de partir. Les gens venaient me saluer, me dire qu’ils étaient fiers de voir un jeune réalisateur algérien qui revient avec une équipe professionnelle pour les filmer, les “camérer” comme on dit en “aldjérien”. Leur obsession était de montrer au monde qu’ils étaient “normaux”, qu’Alger n’est ni Kaboul, ni Téhéran. Le rapport à l’image avait changé. J’ai le sentiment que l’on commence à s’aimer, à peut-être accepter de se regarder.

    Etat de fuite

    Les Algériens vivent dans un pays en échec constant. On vit au jour le jour, sans lendemain, de combines, de bout de ficelles, de superstitions ; avec l’envie de fuite, le désir de possession, de satisfaction immédiate. Le film commence dans un “réel fantasmé” : veille de week-end dans une ville “normale” ; pour découvrir petit à petit un “réel quotidien”. Fifi se prostitue en comptant sur un “gentil” et puissant protecteur. Espérant un jour traverser la mer, Samir, avec son air de gigolo, traîne au port, à l’entrée d'une discothèque pour jeunesse dorée. Les Sassi usent de leurs privilèges : le fils, Yacine pour draguer des hommes, le père médecin, des jeunes femmes en quête d’un bon parti. L’Infirmier fait le boy pour garder sa place. Les gardiens de la pension Debussy profitent d’un “déménagement“ pour se servir. Chacun essaye de se sauver soi-même, de tracer seul sa route, et Dieu pourvoira.

    Nadir Moknèche

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