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Par hechache2 le 27 Novembre 2018 à 01:54
L’anniversaire de mariage d’un couple d’Algérois, vingt ans tout juste après la « révolution civique » est l’occasion pour la réalisatrice Sofia Djama de mettre en scène les états d’âme d’une génération perdue
ZOOMLes Bienheureux, un film de Sofia Djama. / Bac films
Les Bienheureux **
de Sofia Djama
Film Franco-algérien, 1 h 42
Il est émouvant ce couple d’Algérois qui s’apprête à fêter ce jour-là leurs 20 ans de mariage. Ils s’aiment toujours, c’est évident, mais quelque chose les a irrémédiablement éloignés l’un de l’autre. Et cette longue journée d’anniversaire qui doit se conclure par un dîner dans un restaurant où ils ont leurs habitudes va, au fil de leurs pérégrinations, rouvrir les plaies mal cicatrisées de leurs illusions perdues. Celles d’un couple qui a fini par ne plus se comprendre, mais plus largement celles d’un pays à l’avenir encore incertain.
Nous sommes le 5 octobre 2008, vingt exactement après la « révolution civique » qui a mis fin au régime de parti unique instauré par le FLN, et quelques années après la fin de la sanglante guerre civile. Amal est professeure à l’université, Samir un médecin généraliste qui pratique des avortements clandestins par conviction mais rêve désormais d’avoir sa propre clinique. Ce couple de la moyenne bourgeoisie algérienne vit mal la disparition de leurs espoirs de jeunesse.
Un récit fragmenté
Mais alors que Samir veut croire encore en son pays, Amal a de son côté depuis longtemps renoncé. Le sujet de leur dispute : l’avenir de leur fils, Fahim (Amine Lansari), étudiant dilettante qui traîne son ennui avec ses amis Feriel (Lyna Khoudri, prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise) et Reda (Adam Bessa) dans les rues d’Alger, pris entre les tentations contraires de la drogue et de la religion. Doit-il rester en Algérie ou partir étudier à Paris comme le souhaite sa mère ?
Dans un récit fragmenté, qui nous fait déambuler, au travers ces deux générations, dans différents quartiers, des hauteurs protégés d’Alger aux bas-fonds de la ville où la jeunesse espère échapper aux rigueurs de la police comme de l’islam, la réalisatrice Sofia Djama tente de restituer l’état de la société algérienne dans toute sa complexité. C’était déjà l’ambition d’En attendant les hirondelles, de Karim Moussaoui sorti il y a quelques semaines, preuve de la vitalité du jeune cinéma algérien. Mais là où ce dernier auscultait les tourments intimes de ses personnages et s’interrogeait sur l’avenir de l’Algérie, « Les Bienheureux » situé vingt ans avant, dresse le constat désabusé de l’échec de la révolution démocratique et filme les états d’âme d’une génération perdue.
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Partir ou rester ?
Partir ou rester ? C’est la seule question qui taraude désormais ces cinquantenaires et est capable de transformer une réunion entre amis d’enfance en mémorable dispute. « On n’a pas été heureux, finit par lancer Amal à Samir à la fin de la journée. On a eu peur et on a survécu. L’Algérie est trop abîmée, je ne veux pas lui sacrifier mon fils. »
Nadia Kaci et Sami Bouajila interprètent avec beaucoup de sensibilité ce couple d’intellectuels qui parlent français et rejettent la « bigoterie distillée par l’État », préférant dîner dans un hôtel international impersonnel plutôt que d’être privé d’alcool parce qu’ils dînent en terrasse. Mais le film prend tout son sens lorsqu’il s’intéresse à la jeune génération. Malgré le doute de leurs parents ou les fantômes du passé, qui ont meurtri Feriel dans sa chair, ces jeunes sont bien décidés à s’émanciper et à se construire un avenir à eux dans ce pays. Ils représentent la seule lueur d’espoir dans un tableau bien sombre
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