• Les Tunisiens applaudissent le nouveau film algérien "Mascarades"..

     

    Le film algérien à succès "Mascarades" a été très largement applaudi en Tunisie depuis sa sortie en salles le mois dernier. Déjà récompensé l'année dernière par le Arab Foal Award de Dubaï, par le prix du meilleur film au Festival International du Film du Caire et le prix du meilleur premier film lors des Journées du Cinéma de Carthage en Tunisie, ce film incite les gérants de cinémas locaux à proposer plus de films originaires du Maghreb.

    "Je suis ravi d'avoir vu autant de gens lors de la diffusion de ce film", a déclaré Habib bel Hedi, le directeur du cinéma Africarat, l'un des plus grand de la capitale. "Cela nous confirme dans l'idée que ce choix de projeter un film algérien était le bon ; et nous encourage à continuer de proposer des films du Maghreb."

    "Mascarades" est l'oeuvre du réalisateur algérien Lyes Salem. Il décrit la vie d'une famille dans une région très reculée de l'Algérie. Le personnage principal du film, Mounir (joué par Salem), s'inquiète de voir sa soeur Rym (Sarah Reguieg) ne jamais pouvoir se marier parce qu'elle est narcoleptique.

    Au fil de l'histoire, Mounir trouve un riche prétendant pour sa soeur, mais son ami Khliffa (Mohamed Bouchaib) demande la main de sa soeur au même moment. Rym souhaite épouser Khliffa, contre l'avis de Mounir. Le film entraîne les spectateurs dans un voyage au coeur des traditions familiales et des restrictions imposées par la société.

    A travers "Mascarades", le réalisateur décrit le rôle tenu par les femmes dans la société algérienne. Bien que les hommes dominent la vie publique, le film suggère que ce sont les femmes qui sont les maîtresses du foyer.

    "C'est dans la nature des femmes de la région méditerranéenne", a expliqué Salem lors d'une conférence de presse organisée le mois dernier à Tunis. "Je pense que la femme algérienne mérite l'image que nous en donnons dans ce film. Elle a tenu le premier plan dans la lutte contre l'extrémisme durant les années de violence que l'Algérie a traversé ces dernières années. La femme algérienne a été notre dernier recours lorsque le désespoir nous gagnait."

    Ce film présente également une perspective politique.

    "Je voulais qu'elle symbolise l'Algérie", a déclaré Salem en parlant de Rym. "L'héroïne du film... est déchirée entre son frère et son amour : le premier se raccroche encore au passé et cherche à imposer sa volonté, même s'il doit pour cela recourir au mensonge. Le second est ouvert et envisage l'avenir de manière plus large, même s'il est hésitant."

    Les spectateurs ont qualifié ce film de "fascinant" et de "classique".

    "Au début, j'ai eu peur [de ne pas comprendre] à cause de la barrière du dialecte", explique Hend Harrar, "mais en fin de compte, je n'ai eu aucune difficulté à comprendre le contenu de ce film. C'est un film remarquable, qui nous ramène au bon vieux temps du cinéma algérien."

    Samar Hanachi a expliqué à la sortie de la projection : "J'ai aimé la simplicité de l'histoire à travers laquelle le réalisateur réussit à présenter la tragédie d'une jeune fille malade, avec un grand sens de l'humour et de l'ironie."

    Les critiques ont également accueilli très favorablement "Mascarades".

    "Le réalisateur Lyes Salem a réussi à présenter un film remarquable, dans lequel il mélange sérieux et humour, sur des questions qui peuvent se rencontrer aussi bien en Tunisie qu'en Algérie ou qu'en Egypte", écrit le critique de cinéma Taher El Chikaoui.

    Lyes Salem n'est pas le seul lauréat de ce film ; Mohamed Bouchaib a reçu le prix du meilleur jeune espoir de l'Académie des Lumières de Paris - l'équivalent français des Golden Globes – pour son rôle de Khliffa.

    C'est le premier long-métrage de Salem, qui a fait ses études à l'Institut National des Arts Dramatiques de Paris. Il avait déjà réalisé plusieurs courts- métrages, comme "Lehasa" (1999), "John Faris" (2001) et "Ben Al Am" (2003).

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  • BEUR SUR LA VILLE de Djamel BensalahSamir Ardjoum

    On ne va pas accuser Djamel Bensalah de racisme ! Pourtant, Beur sur la ville, son cinquième film (six avec Neuilly sa mère, qu'il a produit) a quelque chose d'organique, de malsain… C'est ce qui se dégage de cette histoire dans laquelle le plus mauvais des policiers français, d'origine maghrébine, devient le héros d'une intrigue policière des plus tordues. Malsain car comme dans pratiquement toute sa filmographie, Bensalah appuie tellement sur les effets que sa mise en scène devient trop grosse.

    Force est de lui reconnaître qu'en plus d'avoir la faculté de réunir une pléthore d'acteurs connus (qui sont là pour servir étrangement une belle et juste cause), Bensalah sait installer un dynamisme conforté par un montage nerveux, créant des saynètes assez fantaisistes. Le sourire n'est pas loin, mais le rire est rare.

    De Ciel, les oiseaux et ta mère à Beur sur la ville en passant par Le Raid et Il était une fois dans l'Oued, la mécanique du rire est toujours similaire chez Bensalah. Un titre-référent qui convoque les souvenirs cinéphiles ou adolescents du spectateur, quelques acteurs connus et bankables (ce qui n'est pas un reproche), et des blocs séquentiels où la vanne sera alourdie de dialogues poussifs, naïfs et inoffensifs. Beur sur la ville, qui reprend l'ambiance gaudriole et vaudevillesque des comédies datées des seventies (Les Charlots, Claude Zidi, De Funès, parfois Georges Lautner et Jean Yanne), prends le parti de véhiculer tous les clichés possibles et imaginables sur des sujets d'actualité tels que la discrimination positive, le communautarisme, l'intégrisme et le racisme. Bensalah, se pose en citoyen-passeur et transmet quelques pics en usant - et abusant - de ficelles comiques pour la plupart téléphonées. Très vite, le cliché n'est plus contourné et violenté comme il est coutume dans la comédie, il est apaisé voire dorloté. Cette facilité scénaristique, qui encourage les stéréotypes, déréalise les propos du cinéaste. Le spectateur est en quelque sorte piégé dans ses propres a priori, sans avoir le recul nécessaire pour questionner la mise en propos de Bensalah. L'ambiguïté qui en découle le place dans une position des plus inconfortables. Les rires en deviennent gênants et viennent réconforter un regard sur les communautés aussi simpliste que conservateur.

    Revendiquant le droit au divertissement pur, Bensalah oublie en chemin que la force d'une comédie est de travailler son sujet de l'intérieur et d'insister sur la face cachée de l'iceberg. Ainsi condamné à la surface, le film glisse à l'eau.

    Samir Ardjoum

     

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  • BAB EL WEB de Merzak AllouacheOlivier Barlet

     

    "Elle arrive de nulle part et moi j'ai l'impression de la connaître depuis toujours !" Lorsque Laurence (Julie Gayet) arrive de France, les deux frères Kamel (Samy Naceri) et Bouzid (Faudel) ont achevé de rénover l'appartement après avoir envoyé le reste de la famille à la campagne. Papier peint kitsch et fleurs en plastique à foison : l'humour de Merzak Allouache n'est pas seulement dans des formules qui font mouche par leur simplicité mais aussi dans ses clins d'œil ironiques et bourrés d'empathie au vécu des jeunes Algériens. Il est ainsi dans tous ces objets qui marquent la différence culturelle et contribuent eux aussi à connoter, comme cette porte de voiture qui ne veut pas fermer, les problèmes du pays. Bab el Web retrouve ainsi la veine de Salut Cousins ou Bab el Oued City, dans la continuité de son premier film qui avait marqué le cinéma algérien, Omar Gatlato.
     


    Laurence, donc, est là parce que Bouzid, alias Matrix sur les "chats" internet, l'a invitée sans trop y croire, comme il le fait avec toutes ses "touches". Il fait partie de ces jeunes qui se connectent à tout bout de champ, dès que l'insomnie les gagne, pour tchatcher avec les internautes du monde entier, et bien sûr au maximum avec les femmes : "Quand l'ordinateur s'allume, c'est comme si je respirais de l'air pur".



    Mais Laurence n'est pas là par hasard : elle aussi partage quelque chose d'intime avec ce pays, des lieux d'enfance, un père qui l'a abandonné. C'est cette intimité qui transplante le film au-delà de la simple anecdote sociologique et humoristique, et lui confie une certaine gravité (contrecarrée il est vrai par la faiblesse du scénario mafia convoqué pour justifier ce lien caché). Laurence plonge dans la relation avec le ténébreux Kamel à qui Samy Naceri donne une belle épaisseur. Ils partagent une même désespérance tranquille et le même recul de ceux qui sont présents mais aussi dans l'ailleurs. Kamel et Bouzid sont des "immigris", ces jeunes qui sont revenus en Algérie, forcés d'accompagner le retour du père mais qui ont vécu en France. C'est clairement ce rapport imaginaire qui intéresse Allouache au-delà de la farce : ces jeunes hybrides vivent des rêves qui ne sont plus forcément dominés par le départ mais s'ancrent dans l'envie de mieux vivre et surtout de communiquer, même virtuellement sur le net. Kamel et Bouzid sont prêts à se mettre en danger pour bien recevoir Laurence. Leur bonheur est dans leurs rêves, à l'image de cette femme suicidaire qui vit dans la folie, possible traumatisme des drames récents qu'a vécus le pays.



    Tourné en scope, Bab el Web aime magnifier la douce lumière de la ville blanche. Les musiques contribuent elles aussi à une ambiance sonore algéroise, et renforcent l'harmonie avec une ville qu'il ne s'agit plus de quitter mais d'habiter, en phase avec la joyeuse présence des jeunes dans les rues de Bab el Oued, encore secouée par la violence des années 90.

    C'est une Algérie nouvelle qu'Allouache met en scène, après en avoir décrit le tragique devenir dans L'Autre monde. Bab el Web est un chant d'espoir bourré de bonne humeur, et comme le dit Kamel à Laurence, "de l'air frais qui rentre dans une chambre fermée".

    Olivier Barlet

     

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  • Cinéma: Algérie pour toujours mais gare au navet!

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    cine-oranLes promoteurs et financiers du film Algérie pour toujours, en tournage dès cette semaine à Oran risquent, contrairement à la volonté exprimée de vendre une image positive du pays, de voir se produire l’effet contraire.

    Le projet de cette fiction de catégorie «action», pour ne pas dire «navet», a été présenté en grande pompe vendredi soir au Méridien. Jean-Marc Minéo à qui a été confiée la réalisation est un illustre inconnu dans le domaine du 7e art. Intitulé Bangkok renaissance, son seul long métrage, réalisé en 2011, est tourné en Thaïlande (financements locaux). Un extrait de la bande annonce a été projeté et c’est ce contenu qui donne déjà un avant-goût de ce que sera le film financé par les Algériens, un échange de coups de poings et de coups de pieds comme dans des séances d’entrainement d’arts martiaux. Une équipe thaïlandaise et française de spécialistes et de champions de sports de combat séjourne déjà sur place et a entrepris de former de jeunes karatékas locaux. En dehors de la noblesse du sport, voilà un exemple de transfert de savoir-faire dont on peut très bien se passer !

    Le réalisateur lui-même est issu de ce milieu et passe pour avoir séjourné dans un temple Shaolin en Chine. Mais cette sagesse et cette philosophie séculaire chinoise n’entre apparemment pas en compte dans les préoccupations de son prochain film.
    Jean-Marc Minéo s’est dit ravi d’être en Algérie et la revendication d’une grand-mère algérienne ajoute du piment à sa motivation, c’est-à-dire en plus de l’argent qu’il va toucher. Avec lui, le célèbre comédien Smaïn qui renoue une fois encore avec son pays d’origine.
    «Je reviens toujours avec la même émotion», s’est-il exclamé avant de se permettre une suggestion : «Il est temps de passer à autre chose, le cinéma algérien est caractérisé par la critique sociale…»

    Curieuse réflexion pour quelqu’un qui doit justement sa carrière et sa renommée à cette critique subtile et judicieuse où il excelle. «Du héros de la guerre d’Algérie, on passe aujourd’hui au héros…», ajoute-t-il en marquant un long moment de réflexion avant de lâcher le mot «héros actuel». Le synopsis du film fait état d’un complot OAS, ce qui convient parfaitement à ce genre de film, où l’histoire, pour être simpliste, exige que le méchant soit unanimement et bien identifié. Evidemment, on est loin des préoccupations historiques, car l’intrigue (s’il y en a) se déroule aujourd’hui, c’est-à-dire 60 ans après la naissance de cette funeste organisation, mais on voit bien que, contrairement à ce que pense le beur qui n’est jamais devenu président, que la «guerre d’Algérie est toujours là». Mais il faut savoir que toute une panoplie d’acteurs algériens participe au projet, comme Adjaïmi ou Bahia Rachedi, obligée de faire des pubs pour arrondir les fins de mois.
    Les pauvres comédiens sont théoriquement au chômage à défaut d’une industrie cinématographique (ou plutôt d’un cinéma tout court) algérienne.

    La fiction promet d’être sans épaisseur et le comprend mieux avec la participation de la chanteuse (malheureusement sans carrière) Yasmine Amari, dans l’uniforme d’un colonel des services secrets. Une autre chanteuse, française cette fois, est mise à contribution : Lorie (pour Laure Pester, ancienne patineuse connue aussi pour son apparition dans un épisode du feuilleton Les feux de l’amour). La référence Bangkok, pour le public local, c’est aussi une parodie des arts martiaux, un film d’«action» (distribué sur support CD) fiancé par une agence de voyages oranaise et mettant en scène le comique Mustapha Bila Houdoud dans la peau d’un ninja. Il est évidemment de la partie dans ce nouveau film en compagnie de son comparse Barracuda (L’Oranais, pas celui de l’Agence tous risques). Présenté comme une cerise sur le gâteau, les animateurs de la rencontre ont annoncé la participation de Mike Tyson qui séjournera en Algérie pour une semaine afin, déclare le réalisateur, de tourner avec lui les scènes qui le concernent. On a tendance à l’oublier, mais ce boxeur, ancien champion, a été condamné pour viol. En fin de carrière, se retrouvant en faillite, il fait des exhibitions pour payer ses dettes. Un bloggeur qui a analysé «le maxi navet du cinéma français réalisé par Jean-Marc Minéo en Thaïlande» a eu cette réflexion sur le Net qui reste à méditer : «Le cinéma algérien n’avait franchement pas besoin d’un tel boulet pour assombrir son blason. Et il ferait mieux de financer ses authentiques talents.»

    Djamel Benachour, El Watan
     
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  • HARRAGAS de Merzak AllouacheDe l'humanité d'une rupture…Patricia Caillé

     

    On attendait beaucoup Harragas (Les Brûleurs) : Merzak Allouach a traversé les différentes époques du cinéma algérien et s'est imposé comme une de ses principales voix. Il est l'auteur de gros succès publics, depuis Omar Gatlato (1976), une comédie très populaire en Algérie, chronique drôle de la vie d'un jeune dans l'Alger des années 70 qui déjà ne parvenait pas à trouver sa place dans la société algérienne post-indépendance, jusqu'à Chouchou (2003) qui attira des millions de spectateurs en France. Salut Cousin ! (1996) se rapproche d'un genre, le film de banlieue, et évoque les péripéties d'un jeune qui débarque d'Algérie en banlieue parisienne pour y retrouver son cousin, tandis que Bab El Web (2004) est une comédie romantique douce amère qui tisse en Français, les entrelacs entre désirs amoureux et désirs d'exil de jeunes dont les relations se nouent par Internet. Mais s'il est adepte de la comédie populaire, Allouache ne se cantonne pas à un genre. Avec Bab El Oued City (1993), il réalise le premier film algérien sans aucun soutien étatique, et révéla Nadia Kaci dans le rôle d'une jeune femme enfermée, confrontée à la montée de l'islamisme : un récit structuré par les longues lettres qu'elle rédige en voix off à son fiancé qui a émigré et dont elle ignore tout depuis, même l'adresse. Dans L'Autre monde (2001), il compte le parcours d'une jeune femme depuis la France jusque dans l'Algérie en pleine guerre civile à la recherche de son fiancé. La démarche d'Allouache s'affirme ainsi comme étant résolument politique dans l'exploration d'incessants allers et retours entre l'Algérie et la France et l'Europe. Harragas se situe dans la continuité puisqu'il aborde les questions du mal être récurrent devenu tragique des jeunes en Algérie poussés à l'émigration clandestine.

    Cette dimension politique de l'entreprise est martelée par un synopsis qui dénonce l'immobilisme des autorités algériennes : " Au moment où le baril de pétrole a largement dépassé les 100 dollars, l'Algérie croulant sous l'argent laissent ses enfants livrés à eux-mêmes. Des centaines de jeunes sont poussés à partir, partir c'est ‘brûler'. Brûler…"...Allouache met le projecteur sur la Méditerranée, cette mer fermée, une étendue du même bleu turquoise que celle des brochures touristiques, mirage au fond duquel se perdent tant de jeunes venus du Sud comme aimantés et conduits presque systématiquement au naufrage intime, humain, et social. Nous sommes là au cœur du film qui se termine sur les chiffres des disparus, ceux d'autant de rêves engloutis.

    La thématique du film n'est pas exclusivement algérienne puisqu'elle est constitutive des cinémas du Maghreb, qu'elle a déjà été traitée sous diverses formes à l'image. Il y avait le beau documentaire Tanger, rêves de brûleurs de Leïla Kilani (2002), ou encore la fiction Et après de Mohamed Ismaël (2002). En Algérie, les ateliers de Bejaïa avaient produit un documentaire marquant, Harguine, Harguine de Meriem Achour Bouaakaz (2007) tandis qu'en Tunisie, Aéroport Hammam-Lif de Slim Ben Chiekh (2007) documentait l'attente, toutes les recettes apprises au fil des tentatives des candidats au départ, les formations qui mènent au chômage et l'amertume vis-à-vis d'un pays dont on n'attend plus rien. Cette liste est loin d'être exhaustive, d'autant que les migrations clandestines à l'image ne se limitent pas toujours au franchissement impossible de la Méditerranée.

    Harragas arrive sur les écrans français à un moment où se renouvellent les représentations et les esthétiques dominantes. Les films les plus emblématiques de ce tournant sont sans doute Rome plutôt que vous (2006) et Inland (2008), les deux longs-métrages de fiction de Tariq Teguia qui ont bousculé le rapport du cinéma algérien aux images de soi, à tout le moins en France et en Europe. (1) Financés majoritairement par la France, ces films déconstruisent les identités nationales, sexuées, culturelles et politiques. La lenteur narrative, la qualité de l'image opèrent comme une distanciation vis-à-vis des schémas narratifs qui avaient fondé les fictions. Les personnages évoluent dans des mondes déstructurés et peu lisibles dans lesquels l'organisation sociale, l'engagement politique ou la trajectoire individuelle, dans la tension entre capacité d'agir des individus et déterminations, ne peuvent plus être cernées ni analysées. Les personnages interagissent ainsi dans des espaces/temps où l'aléatoire fait et défait, rapproche et éloigne, sert provisoirement ou entrave durablement tout désir de contrôle de son propre destin. À ce titre, Inland est l'histoire d'une migration de retour, d'un personnage sans nom, dans sa rencontre improbable avec un autre être presqu'aussi isolé. Ces deux figures sont toutes deux dotées par le silence, le mouvement et le regard d'une immense humanité.

    Par comparaison, Harragas, dont la thématique ne saurait laisser indifférent, cherche à toucher un plus large public mais peine à trouver forme et cohérence et reste à mi-chemin de ce qu'il aurait pu être. Comme l'indique le dossier de presse, Harragas n'explore pas les motivations de ces candidats au départ. Rejetant le film social qui traduit des comportements par une exposition des contextes sociaux et politiques qui les induisent et les rendent compréhensibles, le film se concentre sur la traversée qui devient ainsi, à elle seule, récit, tout en intégrant les derniers jours de sa préparation en amont, et son dénouement raconté par une voix off qui dément les images en aval. De ces trois jeunes, et de la compagne de l'un d'eux déterminée à partir, nous savons peu de choses, quelques bribes, de brèves scènes d'adieu avec les parents qui comprennent et soutiennent le choix de l'un, une conversation avec la mère de l'autre... De la violence, Allouache en rappelle certains symboles, le passage furtif de liasses de billets qui évoque un juteux trafic pour quelques uns et la spirale infernale pour les autres, le rafiot de fortune usé et préparé trop à la hâte, et certaines émotions. Par exemple, des plans rapprochés suivent les personnages de trois-quarts arrière alors qu'ils arpentent les rues d'un pas très décidé, traduisant ainsi leur impatience, leur détermination, voire leur hargne. En cela, le film offre des personnalités fortes incarnées par des acteurs presque toujours à la hauteur du défi, mais des personnages qui restent à peine esquissés.

    Nous entrons dans le film par le tragique : un très gros-plan sur des pieds, ceux d'un jeune qui a renoncé, suivi par une voix off qui raconte une amitié entre trois jeunes, Omar qui s'est pendu, un acte dont le sens tient à la simplicité du message laissé "Si je reste, je meurs, si je pars, je meurs". Plus loin, la caméra suit Nasser (Seddik Benyagoub) dans la récupération d'un GPS monnayé à prix d'or et Rachid (Nabil Asli), qui raconte, une narration à la première personne dans un temps qui opère déjà comme le futur antérieur des illusions brisées.

    Harragas, promu comme une tragédie nationale, refuse à la fois une analyse du contexte politique, social et économique de l'Algérie contemporaine et de tout le système sécuritaire déployé par l'Europe pour contenir cette hémorragie humaine perçue comme dangereuse. Les forces de sécurité qui traquent sont à peine visibles, un bateau patrouille de nuit en mer qui sème la terreur, quelques garde-côtes. Ces forces n'apparaissent que comme symbole de la systématicité d'une organisation puissante. Plus tourné vers l'Algérie, le film effleure tout juste les hiérarchies sociales entre les candidats au départ qui sont soutenus par leurs proches, et ceux qui se battent seuls, des hiérarchies sexuées, une fille brillante en classe que ses amis tentent de dissuader tant le pari est risqué, des hiérarchies culturelles également entre les candidats au passage qui arrivent du sud complètement aux mains des passeurs tandis que ceux qui partent des villes semblent mieux à même de contrôler leur destinée. Ces réalités établies en quelques plans, sont accompagnées d'une voix off qui décrit en quelques phrases les cités surpeuplées, le chômage, l'avenir fermé. Nous sommes à des lieues du misérabilisme. Les quelques bribes biographiques, l'empathie des parents et la solidarité de la fratrie nous font sentir un monde tout entier pris au piège. L'émigration n'est pas un conflit générationnel mais une pulsion de survie. Dans leur rafiot de fortune, les candidats à l'exil sont égaux devant l'aléatoire, la promiscuité, le froid, la faim, la soif, la peur, mais leurs interactions répondent encore à des schémas.

    Pour étayer un récit trop ténu, le film recourt brièvement au film de genre, campant ainsi des stéréotypes fondés sur des oppositions assez reconnaissables : Hassan (Okacha Touita), le passeur exploiteur, Hakim (Mohamed Takerrat), l'islamiste barbu en tunique qui écoute le Coran sur son MP3, à qui Rachid et Nasser ne parlent plus depuis des années puisqu'eux rêvent d'un avenir européen et occidentalisé, la figure patibulaire (Samir El Hakim) que surgit de nulle part et qui est armée. Difficile d'adhérer au soupçon de thriller qui se tisse et se défait tant il est anecdotique et semble artificiel au regard de personnages qu'on aimerait mieux comprendre.

    Coproduction franco-algérienne très soutenue par les télévisions françaises (France 2, Ciné Cinémas, Canal +), Harragas est perçu comme un film potentiellement rassembleur et consensuel. Pourtant, ce qui en limite la portée est son ambition même, montrer une autre dimension des êtres, non plus une condition sociale mais la négation d'une humanité, sans parvenir à se défaire totalement des carcans narratifs du genre, ni à développer une forme filmique qui puisse porter cette ambition. Il reste la mer, l'élément premier du film, autour de laquelle convergent et achoppent tous les espoirs. Quelques plans de corps qui nagent, s'épuisent dans et contre une mer traitre qui nous donne à voir leur recul et leur éloignement toujours plus grand !

    Ceci ne saurait constituer une critique à proprement parler du film mais bien davantage une réflexion sur le devenir du cinéma à propos duquel Harragas soulève des questions importantes. Si le film social et les modes d'intelligibilité du monde qu'il a pu proposer ne peuvent plus rendre compte de l'anéantissement des rêves d'une jeunesse livrée au naufrage (2), Harragas cherche à transcender les frontières d'autant que l'état désastreux de l'exploitation en Algérie le voue au DVD. Quelles sont aujourd'hui les conditions de la création d'images qui puissent effectivement atteindre et rassembler des publics au-delà du national, non seulement dans la reconnaissance d'une humanité bafouée mais dans une nouvelle connaissance ce celle-ci ?

    Patricia Caillé



     

    1. Il faudrait sans doute citer Mascarades (2007) de Lyes Salem dans un autre registre et un autre genre.
    2. À ce titre, Welcome (2008) de Philippe Lioret tendrait à prouver le contraire.

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