• Zohra Sadik

           Zohra Sadik

              pour la sortie du film « Allez, Yallah ! »

    Entretiens > 22 novembre 2006

     

    La Caravane des Droits des femmes existe depuis 1993 et sillonne le Maroc, l’Algérie et la France depuis 2002. Chaque année, une « caravane » se fixe dans le but de promouvoir l’information sur les droits de la femme, de donner accès aux connaissances dont beaucoup sont privées, sur leurs droits, les lois, leurs corps. Jean-Pierre Thorn a choisi de leur dédier le documentaire Allez, Yallah !

    Rencontre avec Zohra Sadik, l’une des caravanières, à l’occasion du passage de la caravane 2006 à Paris, le 17 mai, pour présenter le film.

     

    Tout d’abord, je voudrais que vous me parliez de la façon dont s’est monté le film. Comment Jean-Pierre Thorn, le réalisateur, vous a-t-il contactée ?

    Le réalisateur était présent lors de la caravane 2004 qui a été organisée ici, à Lyon, par l’AFCI – l’Association Femmes Contre les Intégrismes – c’est comme ça qu’on a fait la connaissance de Jean-Pierre Thorn. Il a filmé, nous a suivies, pendant tout le déroulement de la caravane de Lyon. C’est comme ça qu’il a eu l’idée de suivre cette caravane au Maroc. Et du coup, comme on organise, au Maroc, plusieurs caravanes au niveau local ou bien national, il a eu l’idée de parler de ce combat des femmes à partir d’un film, pour justement transmettre toutes les valeurs, tous les principes, toute la force et toute la volonté que nous avons pour arriver à cette société d’égalité.

    Jean-Pierre Thorn est quelqu’un de très militant, il a beaucoup de valeurs. De votre point de vue, que voulez-vous faire passer avec ce film ? Est-ce que c’est un témoignage de ce que vous avez accompli, ou est-ce que c’est un pas sur votre route vers le futur ?

    En fait, ça reflète un peu nos convictions, les principes de notre projet, parce qu’on va dans les zones les plus reculées pour informer les femmes, les hommes et les jeunes, pour avoir des contacts, pour les mobiliser, de façon à ce qu’ils soient aussi impliqués dans ce combat. Donc, ce film, ça permet un petit peu de montrer, mais en même temps de mobiliser. C’est un moyen de voir qu’il y a des femmes qui militent, qui ont de la volonté pour que ça change. Ça reflète un petit peu cet espoir-là, en fait. Nous avons un espoir : c’est vrai, nous avons une situation qui est un petit peu compliquée, mais on a la volonté pour pouvoir justement dépasser tous ces obstacles, arriver à ce que les femmes et les hommes – parce que le combat est un combat des femmes et des hommes – aient cette volonté-là. On en parle à travers un film, donc ça permet de se poser des questions. Il y a des femmes qui se battent pour les droits, pour l’égalité, contre les intégrismes, donc ça permet aussi aux autres d’être impliqués dans ce combat.

    On peut espérer qu’Allez, Yallah ! aura un succès autre que le succès d’estime. Avez-vous d’autres projets médiatiques en parallèle ?

    En fait de projets médiatiques, nous avons des caravanes qu’on organise pour cette année-là, et on va organiser une autre caravane dans la zone du nord du Maroc, vers la ville de Tanger. C’est une activité qu’on organise chaque année. En même temps, l’objectif, ce n’est pas seulement d’arriver dans ces villages pendant dix jours ou bien une semaine, parce que c’est tout un travail qui se fait pendant les caravanes. Il y a des questionnaires pour connaître un petit peu la situation économique et sociale, les conditions de vie de ces personnes, au niveau de la santé : ça nous permet d’avoir des données concrètes qui pourront servir à mener notre combat, de plaider vis-à-vis de l’État, vis-à-vis des responsables, pour que ça change. C’est en parallèle avec tout le travail qui se fait pour la sensibilisation, pour l’information sur tout ce qui concerne le droit, que ce soit en faveur des hommes, des femmes ou bien des jeunes. Et en même temps, on assure aussi le suivi de ces caravanes : je tiens à préciser que ce n’est pas une activité occasionnelle, mais c’est une activité parmi d’autres de l’association, et juste après la caravane il y a toujours un suivi. Dans toutes les régions où on organise les caravanes il y a des gens de la LDDF, la Ligue Démocratique pour les Droits des Femmes, qui assurent ce suivi-là. Nous avons plusieurs projets : bien sûr, des études, mais nous avons un autre projet, et je crois que c’est très important aussi, car il rejoint un petit peu ce concept de la caravane, qui rejoint un petit peu notre stratégie, c’est l’École de l’Égalité et de la Citoyenneté, qui est sur Casa et qui a pour objectif de donner des formations aux enseignants, dans le cadre associatif, et aussi aux jeunes. L’École de l’Égalité et de la Citoyenneté c’est donc un programme qui est très intéressant : l’histoire des religions, l’histoire de l’esclavagisme, les genres, la communication, l’histoire des combats de femmes, donc tout cela permet un petit peu de former des enseignants. Vous savez que les enseignants ont un rapport direct avec les élèves : ça aura un impact, c’est sûr que ça aura un impact sur les mentalités. Nous avons en fait plusieurs projets dans l’avenir.

    Vous allez y arriver ?

    Je l’espère, bien sûr, avec la volonté, et l’espoir, l’espoir... Parce que quand on a des principes, qu’on est convaincue par une cause, c’est sûr qu’on va y arriver. On peut avoir des contraintes, on peut avoir des obstacles, on peut avoir des réticences, des résistances, mais on va y arriver, c’est sûr.

    Dans le cadre de la caravane qui a été filmée pour Allez, Yallah ! : est-ce que ça a changé quelque chose pour vous d’avoir la présence de la caméra, des techniciens à côté ? Est-ce que ça n’a pas créé de l’hostilité, de la méfiance de la part des gens que vous avez rencontrés ?

    Du tout, du tout. Les gens étaient confiants. Pourquoi ? Parce que nous, avant d’aller sur place, avant de commencer la caravane, on y va, on travaille avec les gens, on organise des chantiers de propreté, on les encourage à venir à la caravane, donc déjà il y a un contact préalable qui permet de mettre en confiance les gens. Donc en aucun cas on n’a senti une réticence de la part des gens.

    Et vous-même ? L’équipe des caravanières ? Ça n’a pas changé votre comportement ?

    Quand on est sur place, quand on est dans l’action, on ne voit pas qu’il y a... Je veux dire que quand on est en plein dans l’action, on ne fait pas attention qu’il y a un film. C’était pas vraiment un film : on est là, on travaille. Moi je ne fais pas attention à Jean-Pierre, je ne sais pas ce qu’il a filmé ou pas. Il était avec nous, il nous a suivies, oui, mais en aucun cas on n’avait cette pensée qu’il s’agit d’un film.

    Avez-vous participé à la rédaction du script, du scénario ou au montage du film ? Est-ce que vous êtes intervenues à ce niveau-là ou est-ce que c’est uniquement Jean-Pierre Thorn et son équipe qui s’en sont chargés ?

    Il y a Jean-Pierre Thorn, mais il y a d’autres filles, une copine de l’association, qui a donné aussi son avis, au début quand il a commencé à travailler. Je sais qu’il a demandé notre avis sur pas mal de points.

    Le public d’Allez, Yallah ! : sans doute une bonne partie des personnes qui vont venir seront déjà convaincues, intéressées par le sujet, sensibilisées à l’égalité homme-femme. Est-ce que vous pensez que ce film va réussir à toucher un public un petit peu moins sensible à ces questions ? Est-ce qu’il va ouvrir les esprits selon vous ?

    Je l’espère, parce que l’objectif c’est aussi ça, j’espère aussi que les politiques, au niveau des cinémas, au niveau des télés, encouragent ce genre d’actions, parce que vous avez vu le film. La manière dont le réalisateur passe de Lyon au Maroc. Donc vous avez aussi pu constater qu’il y a énormément de choses à faire en France, que ce soit contre l’intégrisme, contre les problèmes des maghrébins en général. Il y a énormément de choses à faire, et j’espère que le film sera un outil utilisé justement pour informer les gens, pour dire : « Voilà ce qui se passe. Il y a un danger quelque part, donc il faut qu’on s’y mette, tous ensemble, pour pouvoir changer les choses. »

    Le combat que vous menez est déjà gargantuesque, très difficile : il s’agit avant tout de toucher les mentalités. En France, on a encore une mentalité assez patriarcale. La place de la femme qui, malgré tous les beaux discours qu’on peut donner, est toujours inférieure. L’égalité est encore une chimère. Est-ce que vous pensez qu’il faut une association comme la vôtre, en France ? Est-ce que vous pensez que vous-mêmes, les caravanières, pourriez essayer de changer les mentalités dans la communauté française ?

    Non, je crois qu’il y a beaucoup d’associations qui travaillent sur le terrain. Donc nous, on n’est pas là pour faire le travail des associations, qui font du bon travail. Ce qu’il faut, c’est qu’il y ait une coordination plus large, une discussion sur les objectifs. Parce qu’en fait, chacun travaille pour l’égalité, pour la citoyenneté, contre les intégrismes... Donc, chaque association travaille dans son coin : c’est vrai qu’il y a les mêmes objectifs, donc c’est pour ça qu’il faut un petit peu travailler en coordination, de façon à réaliser ces objectifs. Pas simplement au niveau des associations, mais au niveau des travailleurs sociaux, au niveau du ministère de l’éducation, parce que chacun a une part de responsabilité dans ce combat-là. Donc, du coup, nous en tant que caravanières du Maroc, on peut contribuer, on peut participer : mais en aucun cas on ne peut travailler à la place des associations qui sont sur place. On peut participer à des activités, ils peuvent s’inspirer des expériences des Marocaines, comme nous on s’inspire et on profite aussi de l’expérience des associations françaises. C’est en fait une complémentarité, plus qu’une association venue du Maroc. C’est vrai, quand on parle des maghrébins en général, c’est bien qu’il y ait des associations maghrébines pour les informer, leur dire que ça se passe, qu’il y a une évolution chez nous. Ça permet un petit peu de contribuer à ces actions. Je sais qu’il y a des associations qui travaillent sur le terrain, mais il faut qu’elles se complètent : c’est très très très important.

    Ça fait bientôt dix ans que les caravanières existent ...

    L’association ? Depuis 1993. Mais on a commencé les caravanes en 2002.

    Aujourd’hui, est-ce que selon vous il y a déjà matière à un bilan, ou est-ce que la route est encore longue ? Vous avez quelque chose pour le futur ? Des idées, des espoirs ?

    Bien sûr. Quand il y a une activité, il y a toujours une évaluation, une façon de voir, et c’est sûr qu’il y a énormément de choses à faire, mais il y a quand même des choses qui ont été réalisées. Chez nous (NDLR : Zohra Sadik est originaire du Maroc), par exemple, il y a eu tout ce combat de mouvements féminins qui a fait qu’on a un petit peu changé les lois. Il y a eu la réforme du code du statut personnel, il y a le principe de l’égalité qui est maintenant inscrit dans le code de la famille. Nous avons des acquis, mais ce n’est pas suffisant pour nous, que ce soit au niveau des lois ou bien au niveau des mentalités. Ce que nous avons jusqu’à présent au niveau des lois c’est très bien, il faut qu’on agisse aussi sur les mentalités. Donc ça, ça fait partie de notre projet. C’est sûr qu’il y a un espoir tant qu’on travaille sur le terrain, tant qu’on a des convictions, tant qu’on a des objectifs, tant qu’on a des principes, une stratégie, c’est sûr qu’on va y arriver : il y a l’espoir. Sinon... c’est pas la peine de commencer ce combat.

    Je crois qu’on est arrivés au bout de mes questions. Est-ce qu’il y a des questions que vous auriez voulu que je vous pose, que j’aurais dû, et que je n’ai pas posées ?

    Je crois que vous avez fait un petit peu le tour des questions. Une dernière remarque, c’est qu’au niveau des politiques aussi, il faut qu’il y ait quand même une politique de façon à ce que les choses changent, que ce soit au niveau de la libre entrée des intégristes, que ce soit au niveau de l’éducation au droit, que ce soit au niveau de l’égalité, il faut qu’il y ait une politique claire, qui ait des objectifs précis. Il faut vraiment qu’il y ait la participation et la contribution des politiques ou, plutôt, une vraie volonté politique pour la société à laquelle on aspire tous, parce qu’on ne peut pas parler de démocratie sans les droits des femmes.

    Voilà une phrase qui me paraît conclure remarquablement notre entretien. Merci beaucoup et encore bravo.

    Merci à vous.

    Propos recueillis par Vincent Avenel.


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