• Rencontre avec Moussa Touré pour La Pirogue

    Rencontre avec Moussa Touré pour La Pirogue

    mardi 16 octobre 2012, par Gaël Reyre

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    © Eric Neve / Les Chaves Souris - Astou Films

     

    Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?
    Un film ? Un réalisateur ?

    Je suis “entré” dans le cinéma parce que mon père est mort
    quand j’avais 14 ans. Ce n’était pas une question d’envie :
    j’étais l’aîné, il fallait que je nourrisse ma famille. La chance
    que j’ai eue, c’est de travailler dans la lumière. J’étais électro.
    J’ai pu rencontrer des grands directeurs de la photo, comme
    Pierre-William Glenn. C’est en regardant ces gens-là que
    l’envie est venue. J’ai travaillé dans l’équipe de Tavernier, dont
    le directeur de la photo, Alain Chocart, est devenu un ami.
    À un moment, je faisais un stage en France, chez Éclair, et
    Alain en a profité pour me faire découvrir le cinéma : j’ai vu
    tous les films du monde ! J’y ai passé des nuits blanches.
    L’envie de réaliser est arrivée comme ça. J’ai réalisé mon
    premier court métrage en 1987, et mon premier long, Toubab
    Bi
    , en 1992. Ensuite, j’ai rencontré Bernard Giraudeau, qui,
    pour Les Caprices d’un fleuve en 1996, m’a pris comme
    assistant producteur exécutif et comme acteur. On a vraiment
    façonné le film ensemble. Et puis, après avoir fait mon film
    TGV en 1997, je me suis arrêté. Quand le numérique est
    arrivé, j’ai acheté une de ces nouvelles caméras et je suis
    resté trois ans à la regarder. J’ai fait tous les essais possibles.
    J’ai su que cette caméra pouvait me compléter pour
    regarder mon Afrique. Avant, regarder son Afrique c’était
    très lourd cinématographiquement : il fallait trouver de
    l’argent, du matériel, c’était compliqué. Cette caméra, c’est
    comme si c’était un Africain qui l’avait inventée ! Je suis allé
    au Congo pour mon premier documentaire, Poussière de
    villes
    . J’ai utilisé ma connaissance de la cinématographie
    sur des choses simples : un long plan-séquence sur des
    enfants des rues, ou bien des visages, dans mon film sur
    le viol. Dans 5x5 : un homme qui a 5 femmes et 25 gosses,
    dans une cour, on ne sort pas, pendant 52 minutes.
    On pense : “c’est pas possible”. Mais si, c’est possible !
    Et c’est ça pour moi le cinéma africain. Les sujets, en Afrique,
    ils sont tellement réels : ils te disent “je suis là, qu’est-ce
    que tu attends ?”. Au Congo, les enfants qui habitent au
    marché, tu les vois aller manger dans des poubelles, tu vois
    que des pédophiles sont là pour les appâter : il n’y a pas besoin
    d’aller faire des scénarios, il suffit juste de les voir. Mais
    vraiment cinématographiquement, ce qui veut dire pouvoir
    raconter au monde ce que tu vois. L’Africain, il aime la vérité,
    d’ailleurs quand il voit des films, il pense tellement que
    c’est vrai qu’il parle avec l’acteur ! Je suis resté longtemps
    sans tourner. Et La Pirogue est arrivée. J’étais un autre
    homme, dans mon regard, dans mon filmage, je me rendais
    compte que j’allais dans l’essentiel.

    La Pirogue traite d’un sujet d’actualité, pourquoi avoir choisi
    la fiction plutôt que le documentaire pour l’aborder ?

    En ce moment précis, je me demande ce que c’est que
    la fiction ou le documentaire. Je suis en train de monter
    un documentaire que j’ai fait sur les malades mentaux, et je
    me rends compte que c’est de la fiction ! Tu rigoles, tu es
    triste... Avant de tourner La Pirogue, j’ai montré Un jeu
    si simple
     [de Gilles Groulx, ndlr] à mon producteur et à mon
    directeur de la photo. C’est un documentaire canadien sur
    le hockey. Je leur ai dit “ne regardez pas le hockey, mais
    ceux qui regardent le hockey”. Je voulais filmer les gens de
    la pirogue comme les gens qui regardent le match.

    Plutôt que de faire passer un propos par des dialogues
    explicatifs, vous vous intéressez aux corps de vos
    personnages. Êtes-vous intervenu sur le scénario pour
    aller à l’essentiel ?

    Le scénario était terriblement dialectique. C’était du cinéma
    français. Il y avait beaucoup de blabla. Ils ne savaient pas que
    j’étais silencieux. Il y a eu des tensions, mais indirectes, car
    personne n’osait rien me dire ! Les regards, les silences, c’est
    le documentaire qui m’a amené à ça. Nous, les Sénégalais,
    comme on n’a pas beaucoup d’argent pour produire, on est
    obligés de travailler en France, et en France, on explique
    beaucoup. Heureusement que j’ai tenu. C’est moi qui ai
    amené l’homme qu’on attache, Yaya. Il est silencieux. C’est
    lui qui me touche le plus. Dans le scénario original, Yaya
    mourait trois jours après le départ, alors que c’était le plus
    intéressant !

    Comment avez-vous trouvé vos acteurs et actrices ?
    Il n’y a pas d’acteurs professionnels dans le film. Mon
    producteur voulait faire un casting. On l’a fait, mais moi j’ai
    fait mon casting de documentariste en parallèle. Je suis allé
    sur les plages, j’ai rencontré des gens qui n’ont jamais vu
    une caméra. J’ai trouvé des personnes qui avaient déjà fait
    le voyage. Je leur ai fait raconter leur histoire. J’ai intégré
    certains éléments de leur vécu à leurs personnages. Quand
    le producteur a vu tous les acteurs, il a été d’accord. Mais
    l y avait des doutes. Et petit à petit on se dit “tiens, ils sont
    bons !”. Aimer les acteurs, c’est regarder, observer les gens.
    Un acteur au vrai sens du mot, on peut le trouver dans le métro,
    juste en regardant.

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    © Eric Neve / Les Chaves Souris - Astou Films

    Comment les avez-vous dirigés ?
    Avant même qu’ils ne lisent le scénario, je leur ai montré
    Master and Commander [de Peter Weir, ndlr]. Ils l’ont vu
    1000 fois. Je leur disais : “tu as vu, le mec là, il te ressemble,
    regarde bien comment il fait”. Le premier jour où je leur ai
    fait lire le scénario, j’ai vu qu’ils avaient une certaine
    subtilité. Puis je les ai fait entrer dans la pirogue, pour voir
    comment on se déplace dedans. Petit à petit, je les ai
    emmenés en pleine mer.

    Pouvez-vous nous parler du FPCA (Fonds Panafricain
    pour le Cinéma et l’Audiovisuel), dont vous êtes le parrain
    cette année ?

    En règle générale, presque toute l’Afrique vient demander
    de l’argent ici. Le financement des films vient la plupart du
    temps de la France, alors que, malgré les inégalités
    financières, il y a de l’argent en Afrique. On a donc décidé de
    créer ce fonds, géré par l’Organisation Internationale de
    la Francophonie, auquel chaque État africain participe selon
    ses capacités, afin que les Africains puissent directement
    y puiser. Parce qu’il y a tellement d’exigences : quand
    la France vous donne de l’argent, il faut 10% de français, 1% de
    ta langue... Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que dans
    un pays où on ne mange pas, le cinéma ne peut pas être
    une priorité. C’est pour cela que je suis pour faire des films qui
    ne coûtent pas cher. La Pirogue a coûté dans les 1,3 millions.
    La scène de la tempête, avec les effets spéciaux, a coûté plus
    cher que le tournage, qui a coûté dans les 500 000 euros.
    Je suis un cinéaste sénégalais qui sait faire des films qui
    ne coûtent pas cher, et je le dis haut et fort car je suis
    d’un peuple qui ne mange pas à sa faim. C’est irréel de faire
    du cinéma cher dans un pays pauvre. C’est pour ça que
    je dis aux cinéastes africains : attention, vous n’êtes pas
    une priorité, la priorité c’est que le peuple vive.

    Une des vocations du FPCA est de “faire connaître
    l’histoire et la contribution de l’Afrique au progrès de
    l’humanité”. En quoi est-ce un enjeu majeur selon vous ?

    Pour moi, ce qui compte, c’est la vérité. Le monde, et avant
    tout l’Afrique, devrait connaître exactement ce qui se passe.
    Il y a tellement de choses qui se passent en Afrique et que
    les Africains ne savent pas. Au Congo, on peut massacrer
    le peuple, et au Sénégal les gens ne sont même pas
    au courant. Il y a des guerres un peu partout, mais les gens
    ne savent même pas que l’autre est en train de mourir.
    Il faut faire connaître la vérité.

    Pouvez-vous nous parler du festival “Moussa invite” ?
    C’est un festival très simple. C’est un écran de 7 mètres sur 4,
    et on passe des documentaires. Et il y a du monde ! 8 000
    personnes par jour. Il y a 10 jeunes à qui on donne un thème
    chaque année. Ils sont formés un an avant, et pendant
    les dix jours du festival ils montrent leurs films. Mais
    les jeunes, on ne peut pas se permettre de ne leur montrer
    que des films ! Ils aiment aussi le rap, alors on leur amène
    du rap et des documentaires.

    Propos recueillis par Gaël Reyre

    La Pirogue sort dans les salles le mercredi 17 octobre 2012
    Un modeste pêcheur sénégalais accepte à contrecœur
    d’être le capitaine d’une pirogue de migrants
    à destination de l’Espagne. Avec un sens aigu de
    la mise en scène, Moussa Touré évite les écueils du film
    à thèse et livre un récit humain, épique et intimiste.

     
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