• .Nadir Moknèche : "L'Algérie est le deuxième pays francophone du monde..."

    Nadir Moknèche : "L'Algérie est le deuxième pays francophone du monde..."

     

    "...Il n'est donc pas illégitime qu'un cinéaste Algérien décide d'utiliser le français pour s'exprimer" affirme ici le réalisateur qui revient ici sur "Viva Laldjérie", ses enjeux et ses joies.

     

    Les gardiens de murs

    “One, two, three, Viva Laldjérie” est l’un des nombreux slogans scandés par les supporteurs des stades, des “hittistes” ; terme lui-même constitué du mot arabe “hit” (mur) et du suffixe français, “iste”. Ces chômeurs, personnifiés dans le film par Samir le dragueur, qui s’adossent contre les murs d’Algérie, analphabètes des deux langues (arabe classique/français), avatars d’une arabisation forcée, ont façonné ce terme “Laldjérie”. Mélangeant le nom français Algérie avec le nom arabe “El Djazaïr” pour créer un nouveau mot, comme beaucoup d’autres qui entrent chaque année dans le parlé algérien.

    Pourquoi le français

    Je suis le premier à vouloir entendre ma langue maternelle ; d’autant plus que cette langue qu’on appelle par défaut l’arabe, mais qui est aussi loin de l’arabe que l’italien du latin, est censurée à la télévision et à la radio d’état. L’arabe classique, l’arabe du Coran, est l’unique langue officielle de l’Algérie indépendante, un des multiples héritages nassériens. Les cours de théâtre dispensés dans l’unique école du pays, et qui ne fonctionne qu’à moitié, sont dans cette langue et produisent des résultats aussi frais et vivants qu’une parade du premier mai à Moscou sous Brejnev. Les acteurs qui peuvent jouer avec un minimum de justesse sont rares. Il suffit de voir la télévision algérienne (reçue en Europe par satellite), unique financier de la fiction audiovisuelle, puisqu’il n’y a pratiquement plus de salles de cinéma ou de théâtre. Et faire parler Lubna Azabal dans sa langue, l’arabe marocain, serait ridicule. L'Algérie est le deuxième pays francophone du monde par le nombre de locuteurs effectifs, la majeure partie de sa littérature est écrite en français, il n'est donc pas illégitime qu'un cinéaste Algérien décide d'utiliser le français pour s'exprimer.

    Dire la vérité

    Viva Laldjérie tente de montrer la vie qui se déroule dans une société en déliquescence : le vol ordinaire, les relations affectives et sociales biaisées, le port d'armes banalisé, l'indifférence quotidienne, le mensonge érigé en loi et, au bout de cela, le meurtre. Je ne crois pas qu’un cinéaste soit là pour flatter sa société, pour conforter les schémas et les stéréotypes que les gens se fabriquent ; montrer qu’ils sont les meilleurs, les plus beaux, les plus gentils, les plus purs. Il y aura toujours des gens qui prétendront que les prostitués, les travestis, les vagabonds, les alcooliques, n’existent qu’en Occident. D’autres, pour penser qu’Alger est une mosquée à ciel ouvert, que dans ses parcs, on ne fait pas l’amour, qu’on s’entraîne au djihad.

    Camérer

    Les Algériens ont un rapport épineux avec l’image, leur image. Ils ont commencé par se voir à travers le regard colonial, en une masse de gens indifférenciés, et à l’indépendance, en archétypes réalistes socialistes : le Combattant, le Paysan, l’Ouvrier. Rarement en individus ayant une personnalité propre. Pendant le tournage de Viva Laldjérie (en janvier 2003), on a posé la caméra partout dans la ville : aux artères principales, aux endroits populaires, comme la place des Martyrs, la Casbah, sans jamais une seule fois être obligés de partir. Les gens venaient me saluer, me dire qu’ils étaient fiers de voir un jeune réalisateur algérien qui revient avec une équipe professionnelle pour les filmer, les “camérer” comme on dit en “aldjérien”. Leur obsession était de montrer au monde qu’ils étaient “normaux”, qu’Alger n’est ni Kaboul, ni Téhéran. Le rapport à l’image avait changé. J’ai le sentiment que l’on commence à s’aimer, à peut-être accepter de se regarder.

    Etat de fuite

    Les Algériens vivent dans un pays en échec constant. On vit au jour le jour, sans lendemain, de combines, de bout de ficelles, de superstitions ; avec l’envie de fuite, le désir de possession, de satisfaction immédiate. Le film commence dans un “réel fantasmé” : veille de week-end dans une ville “normale” ; pour découvrir petit à petit un “réel quotidien”. Fifi se prostitue en comptant sur un “gentil” et puissant protecteur. Espérant un jour traverser la mer, Samir, avec son air de gigolo, traîne au port, à l’entrée d'une discothèque pour jeunesse dorée. Les Sassi usent de leurs privilèges : le fils, Yacine pour draguer des hommes, le père médecin, des jeunes femmes en quête d’un bon parti. L’Infirmier fait le boy pour garder sa place. Les gardiens de la pension Debussy profitent d’un “déménagement“ pour se servir. Chacun essaye de se sauver soi-même, de tracer seul sa route, et Dieu pourvoira.

    Nadir Moknèche

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