Octobre à Paris par Jacques Panijel
MÉMOIRE DÉVOILÉE
Découvrir Octobre à Paris en 2011, alors que les quelques jours qui ont séparé les événements d’octobre 1961 du tournage ne lui permettent aucun recul historique, est une expérience très troublante dans la mesure où la partialité du travail du réalisateur, le scientifique et ancien résistant Jacques Panijel, donne le sentiment que la complexité du contexte historique est constamment mise en défaut pour privilégier la parole de ceux qu’on condamnait alors au silence, les Algériens. Pour le spectateur d’aujourd’hui qui, n’en doutons presque pas, n’a qu’une connaissance partielle du conflit qui a secoué l’Algérie et la France sous le premier septennat du général De Gaulle, ce documentaire-témoignage pourra déstabiliser dans la mesure où l’objectif du cinéaste n’est pas de faire de la pédagogie, à la différence d’un Nuit noire, 17 octobre 1961réalisé par Alain Tasma d’abord pour la télévision et sorti sur les écrans français en 2005. Fruit du travail d’un homme révolté et militant, Octobre à Paris cherche surtout à humaniser par la seule prise de parole ceux que la société condamne à la marge.
Le résultat est évidemment édifiant. Entrecoupant les témoignages de photographies rappelant la violence de la répression de la manifestation, le film offre aux Algériens d’alors – des hommes, des femmes mais aussi des enfants – un espace qui leur était absolument impossible de pouvoir revendiquer. Tout aussi précieux est ce rappel des conditions de vie déplorables dans lesquelles vivaient ces familles exilées, parquées dans les bidonvilles de Nanterre et d’Aubervilliers (entre autres). Lorsque Jacques Panijel entreprend ce projet en 1961, il n’imagine certainement pas que pour le spectateur que nous sommes aujourd’hui, la représentation de ces quartiers, à ce point défavorisés qu’ils faisaient de leurs habitants des citoyens de troisième zone, peut aussi devenir un élément de premier plan, rappelant qu’une société peut – aujourd’hui encore, évidemment – s’accommoder de l’inacceptable du moment que celui-ci reste en-dehors de son champ de vision.Octobre à Paris, c’est donc tout cela : le hors-champ d’une histoire officielle qui s’est construite dans le tabou et la honte. Il n’y a donc rien d’étonnant à apprendre que le film faisait l’objet de projections clandestines au début des années 1960 et que les copies étaient régulièrement saisies par la police.
Mais pourquoi montrer ce film cinquante ans plus tard lorsque la partialité des témoignages proposés n’apporte qu’une vision biaisée des événements de l’époque ? Par exemple, aucune mention n’est faite sur les pressions exercées par le FLN sur les Algériens émigrés ou encore sur le fait que l’opinion publique française était alors de plus en plus favorable à l’indépendance du territoire. La France aurait-elle à ce point refoulé ce moment de son histoire occulté trop longtemps par le débat politique et des livres d’histoire ? S’il y a aujourd’hui nécessité de montrer un tel film cinquante après les faits, c’est que la reconnaissance officielle des faits continue de faire défaut et que la question de la représentation de cette guerre au cinéma et à la télévision semble loin d’être résolue. En effet, avant les années 1990, mis à part quelques films culottés comme Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier (1972), la production française s’est jusqu’ici montrée très timorée, comme l’a rappelé par exemple le projet avorté d’André Téchiné à la fin des années 1980. Et d’apprendre que la seule grosse production reste à ce jour L’Ennemi intime de Florent-Emilio Siri donne tout simplement envie de pleurer. Courez donc découvrir Octobre à Paris.
Clément Graminiès