VINGT-TROIS ANS DANS LES AURÈS

           Mon colonel

                        réalisé par Laurent Herbiet

Critiques > 15 novembre 2006

critique du film Mon colonel, réalisé par Laurent Herbiet
Adapté d’un roman de Francis Zamponi, Mon colonel fait partie de ces films engagés dans la critique d’un certain passé. Rien de nouveau cependant dans la dénonciation de la torture utilisée systématiquement par les renseignements en Algérie : l’idée est pourtant intéressante puisque les deux scénaristes – Costa-Gavras et Jean-Claude Grumberg, tous deux habitués aux films militants – se sont échinés à mettre en parallèle le silence du ministère de l’Intérieur en 1957 et son désarroi face aux affaires qui ressurgissent en 1995. Mais l’opposition trop flagrante entre un passé noir et blanc et un présent en couleurs comme le sentimentalisme de Cécile de France ne transforment pas vraiment l’essai.

Raoul Duplan, colonel en retraite des armées coloniales en Indochine et en Algérie a été assassiné. L’armée reçoit un journal, pages par pages, d’un expéditeur anonyme. Le journal est lu par le lieutenant Galois, une jeune soldate disciplinée et émotive, qui parcourt le récit de Guy – le même prénom que le soldat des Parapluies de Cherbourg – et sa plongée plus ou moins consciente dans le système de torture que l’armée française avait mis en place dans les provinces algériennes. Le film va ainsi osciller au fur et à mesure des lettres entre le passé militaire douteux d’un sous-lieutenant et le présent apeuré d’un état-major prêt à tout pour étouffer un scandale.

Le premier mérite du film est la construction du personnage de Raoul Duplan, colonel dans la caserne de Saint-Arnaud, obsédé par l’idée de gagner une guerre de plus en plus sale qui refuse de dire son nom. Imbu de cette « mission civilisatrice » que Jules Ferry vantait à la fin du XIXe siècle, il n’est ni raciste ni vendu aux riches propriétaires terriens qui exploitaient les autochtones : Duplan est un militaire borné et aliéné par l’inconscience des problématiques purement politiques de la décolonisation. N’oublions pas que, si la guerre d’Algérie a été si douloureuse, c’est que l’Algérie était un département français, non un protectorat ou une colonie. Le film montre d’ailleurs parfaitement que la première défaite a été celle des pouvoirs civils qui abandonna progressivement ses principes moraux et ses lois républicaines à la force et aux dérives militaires.

La reconstitution historique est, à peu de chose près, parfaite : on ne pourra pas reprocher à Laurent Herbiet un manque de recherche historique ou une chute dans le manichéisme le plus total. On soulignera même l’intérêt politique du film : film grand public, Mon colonel n’hésite pas à dénoncer le silence du ministre de l’Intérieur de l’époque, un dénommé François Mitterrand, tout comme la rigidité toute contemporaine d’une armée qui a davantage peur du scandale et du retour mémoriel que des discours d’anciens illuminés de l’OAS. Le personnage de Guy Rossi comporte également quelques points intéressants : étudiant en droit, il est entré volontairement dans l’armée pour oublier un chagrin d’amour. Trop jeune pour comprendre, il plonge dans l’horreur, tout heureux de la confiance que l’on place en lui. Il tient à respecter la légalité avant l’humanité. Mais, dans un pays où le droit n’est plus, tout est possible. Il ne s’en rendra compte que trop tard.

Dans Mon colonel, le problème est essentiellement narratif : alors que le passé se fait de plus en plus terrible, la composition de Cécile de France collerait plus à une comédie sentimentale qu’à un drame historique. Elle est triste, la petite, de voir que Guy s’est enferré dans une immoralité abominable par respect des ordres, par discipline : elle pleure, elle sourit lorsque le récit est cocasse. Cécile de France semble n’avoir que quelques expressions à proposer, tandis que Robinson Stévenin ne parvient pas réellement à tenir tête à la dureté parfaite d’Olivier Gourmet, acteur des frères Dardenne, co-producteurs du film, dont Laurent Herbiet a repris de temps à autre la réalisation tremblante. Entre une vois off un brin niaise et une réalisation qui devient très conformiste dans les scènes contemporaines, le film n’est qu’à moitié réussi.

La dernière faille de Mon colonel est plus culturelle : l’escalade de la violence et la torture en Algérie n’est pas nouvelle à l’écran. Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard, Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier, RAS d’Yves Boisset, La Question de Laurent Heynemann, tiré du fameux témoignage d’Henri Alleg, ou, plus récemment, La Trahison de Philippe Faucon, traitaient déjà ces sujets. Il est toujours intéressant de rappeler ce passé peu glorieux de l’histoire française. Le problème est que Laurent Herbier ne contextualise jamais sa dénonciation : on entend quelques opposants français mais jamais d’indépendantistes. On ne voit la guerre et ses horreurs que du côté français. Où sont les soldats du FLN ? Où sont les populations différentes ? Qu’y a-t-il de nouveau dans son film ? Pas grand-chose. Pour fonder une réelle mémoire, puisque c’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui, il faudrait avoir une vision plus complète de l’Histoire. Même dans son autocritique, la France reste fermée sur elle-même.

Ariane Beauvillard

Images © Pathé Distribution


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Mon colonel (France, 2006). Durée : 1h51. Réalisation : Laurent Herbiet. Scénario : Costa-Gavras, Jean-Claude Grumberg.D’après : le roman de Francis Zamponi. Image : Patrick Blossier. Montage : Nicole D.-V. Berckmans. Musique : Armand Amar.Production : Michel Rey-Gavras, Costa-Gavras, Salem Brahimi, RTBF. Interprétation : Olivier Gourmet (Raoul Duplan), Robinson Stévenin (Guy), Cécile de France (Galois), Charles Aznavour (père de Guy), Bruno Solo (commandant Reidacher), Éric Caravaca (René), Wladimir Yordanoff (le chef d’état-major)... Sortie : 15 novembre 2006.
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