Le Repenti par Merzak Allouache
LA GUERRE N’EST PAS FINIE
Un jeune homme court dans la neige, jusqu’à perdre haleine et chuter, environné par une immensité minérale figée par le gel. Si Merzak Allouache ne cherche pas à singer Essential Killing de Jerzy Skolimowski, Le Repenti conserve dans sa durée une certaine tendance à l’abstraction et cultive une âpreté aussi bien formelle que narrative. Cette silhouette est celle de Rachid qui, suite à la loi de « Concorde civile » entrée en vigueur en 2000, quitte le maquis islamiste pour retourner dans le village de ses parents perdu dans les montagnes. C’est la fin de la « décennie noire » – les années 1990 – marquée par une guerre très très sale et foutrement meurtrière, de celle où l’on égorge son voisin. Comment réintégrer la communauté quand on a vécu – clandestinement – par les armes et pour une cause ? D’une certaine façon, Merzak Allouache se place dans la trame cinématographique classique des enfants perdus revenant à la vie civile, et butant sur celle-ci, grande antienne, notamment, du cinéma américain : de John Rambo à Travis Bickle (Taxi Driver de Martin Scorsese) en passant, pour prendre un exemple très récent, par Freddie Quell dans The Master de Paul Thomas Anderson. On sait que c’est autant l’ancien combattant que la société qui s’avèrent, dans un bel esprit de réciprocité, inadaptés ; un constat auquel Le Repenti est tout à fait fidèle.
Ici le cadre législatif ne suffit évidemment pas à ramener Rachid dans le giron d’une société où l’on est blessé dans son âme, quand ce n’est pas dans sa chair, comme ce voisin voulant lui faire la peau pour venger les crimes islamistes perpétrés contre les siens. Au-delà de la thématique du retour à la vie civile, Le Repenti interroge, sous un jour très sombre, la capacité des groupes humains à refaire société après s’être ainsi déchirés. Les plaies sont ici encore largement ouvertes, et même carrément purulentes. En danger dans son village, ayant obligation de se déclarer à la gendarmerie pour accéder au statut officiel de repenti, Rachid s’installe dans la ville voisine. On lui trouve un petit boulot de serveur, son patron l’installe dans une cave sordide. Allouache organise récit et mise en scène sous le signe de l’opacité et de trouées. Lors de son rendez-vous à la gendarmerie, Rachid se voit proposer un marché – on peut aussi penser qu’il s’agit d’un chantage – qui va inclure un pharmacien, et bientôt son épouse, via de mystérieux coups de fil et rendez-vous. Le spectateur laissé dans l’expectative va découvrir progressivement la teneur du marché et ce qui noue ces différents personnages.
Il est certain que Merzak Allouache parvient à doter son film d’une âpreté, formulant un pays à l’atmosphère délétère, une société méfiante et atomisée, semblable à un archipel de solitudes. Les sentiments semblent anesthésiés dans un pays relativement pacifié, au moins davantage que les individus et leurs consciences, traumatisés, tiraillés, où l’abject le dispute à l’hypocrisie et à l’absurde. Sur un sujet aussi épineux, il est difficile de reprocher d’avoir procédé à une forme de neutralisation du regard et du discours, chose qui concerne aussi le repenti – Merzak Allouache ne joignant ni rédemption ni condamnation à ce personnage bénéficiant de cette repentance d’État. D’une manière générale, Le Repenti souffre d’une forme de littéralité, comme si tout devait se répondre et correspondre : visages fermés des protagonistes pour le non-dit et le secret, lieux lugubres et climat glacial pour relations humaines désincarnées, etc. L’efficacité – réelle – du film est en ce sens aussi sa limite, fonctionnant à la manière d’un circuit fermé qui ne dit et ne montre jamais rien de plus que est dit et montré. Mais ce qui est dit et montré mérite assurément de l’être.
Arnaud Hée
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