Cartouches gauloises par Mehdi Charef
NUIT GRAVEMENT À LA LIBERTÉ

Ali, c’est Mehdi. Cartouches gauloises, c’est son histoire. La sienne et celle de son copain français, à la vie à la mort, dont il fut séparé à l’indépendance, et qu’il n’a jamais revu. L’histoire d’Ali et de Nico, l’Algérien et le Français, séparé par les événements, liés par une amitié sans faille, autour de leur petite bande regroupant des Juifs, des Italiens, des Français, des Arabes. Une histoire de douleur et d’exil que l’auteur du Thé au harem d’Archimède (1985) porte en lui depuis des années. Peut-être trop personnelle pour qu’il parvienne à nous la livrer dans toute sa complexité. Car son film souffre d’un certain manichéisme de mauvais aloi : du lieutenant français dépeint comme une brute atroce, éructant, violent, au bal musette des partisans de l’OAS dédiant les chansons à « l’Algérie française », en passant par les scènes de fouilles après un attentat, rien ne ressort véritablement, rien ne fait la différence. Le film souffre aussi d’une certaine tendance à tout mélanger, à présenter un véritable « melting pot » de harkis, de méchants français, de fellaghas, comme si Mehdi Charef ne voulait rien oublier des acteurs de l’époque, sans parvenir à donner de l’épaisseur à quelques figures particulières. Il a pourtant essayé, par exemple avec le personnage du chef de gare, Barnabé, muté à Sarcelles sur Seine, où, dit-il, il ne risque pas de recroiser des Juifs et des Arabes. Mais dans son costume et sous sa belle casquette des chemins de fer, son air bonhomme et la sympathie profonde qu’il a pour Ali, Barnabé est trop « poli » (du verbe « polir ») pour être un vrai personnage.
À côté de ses personnages de papiers, la mise en scène de Mehdi Charef ne parvient pas à se dépêtrer de certains clichés, de facilités : la mère d’Ali, courant, en pleurs, derrière le camion de soldats français qui emmène son frère, la caméra la laissant s’éloigner dans la poussière, la sirène du train dans lequel part le copain Gino, et qui répond à l’appel d’Ali, ou encore la cabane construite par les enfants comme métaphore du pays (« Cette cabane est aussi à moi, je l’ai construite aussi ! » dit Nico). Pourtant, l’image est belle, les lumières élégamment travaillées par l’éclatante blancheur du jour éclaboussé de soleil ou celles d’intérieurs (douceur d’Aïcha contant une histoire à son fils Ali à la lueur de la bougie, scènes au bordel où la belle Zina fascine Ali...). Rien à redire sur la belle facture du film : le problème réside dans le fait qu’elle ne sert rien de tangent, comme si elle tournait à vide. Elle verse parfois même dans le « sépia-nostalgie-Amélie Poulain », notamment dans les scènes près de la rivière, près de la fameuse cabane. Toutes ces images un peu faciles, toutes faites, semblent sorties du chapeau du réalisateur comme autant d’illustrations interchangeables : pas de véritables pensée de l’image, du cadre, puisque Mehdi Charef reste trop collé à son souvenir. Du coup, le film ne décolle jamais véritablement, il en reste au stade de succession de saynètes, en champ/contrechamp où l’on découvre une scène, puis le regard d’Ali fixé sur cette même scène. Mehdi Charef reste spectateur de son film, de ses souvenirs.
Reste les enfants, et surtout Ali Hamada, le jeune héros, qui sont sans doute le meilleur de Cartouches gauloises. Mais le choix de raconter cette histoire si particulière, émotionnellement très chargée, par le regard d’enfants est à double tranchant. D’un côté, l’innocence liée à leur condition, leur amitié indéfectible et la façon dont ils se forgent peu à peu une conscience citoyenne rend le récit plus fort, touchant ; d’un autre, ce choix touche aussi à une certaine pudeur mal placée, celle de ne pas mettre les adultes sur le devant de la scène dès qu’on filme la guerre d’Algérie, comme si le temps n’était toujours pas venu pour un film véritablement politique sur cette époque (on attend de voir ce que fera Rachid Bouchareb sur cette période qu’il entend mettre en scène). Pas de procès d’intention à Mehdi Charef, bien au contraire. La guerre d’Algérie, les déchirements qu’elle provoqua, palpitent encore bien trop dans les cœurs de ceux qui l’ont subie pour qu’on ne salue pas l’envie de fixer cette douleur sur la pellicule. Mais elle est peut-être encore trop récente et trop personnelle pour Mehdi Charef pour qu’il fasse œuvre de cinéma grâce à elle. On en reste malheureusement au stade du téléfilm bien fait.
Sarah Elkaïm
Images © Pathé Distribution
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