Bahia Allouache, cinéaste

Algérie News : Comment  vous sentez-vous après la projection de votre film ?
Bahia Allouache : C’est la première fois que je présente mon film en Algérie et plus particulièrement à Béjaïa. Pendant la projection, j’étais assez tendue, enfoncée dans mon siège. Je craignais des soucis techniques, la réaction du public, d’entendre des soupirs, des gloussements sur le film, des commentaires ironiques mais au final, cela s’était bien passé. Surtout que j’en ai un peu marre de voir mon film en projection, entre les copies que je dois faire, que je dois vérifier, les projections, je ne le connais plus que par cœur, mais le fait de sentir que ce public était captivé par ce que je lui proposais, ça m’a rassurée. Je suis vraiment heureuse que le film soit montré en Algérie, que ce soient des Algériens qui le voient, qu’ils n’aient pas besoin de lire les sous-titres, qu’ils le comprennent automatiquement.

La langue est un élément de mise en scène assez présent dans votre processus créatif…
C’est très important pour moi. J’ai beaucoup travaillé avec mes acteurs afin qu’ils restituent ce que je voulais, et surtout dans la langue d’aujourd’hui. Je suis née en Algérie, j’y aie grandi et aie vécu mon adolescence dans ce pays, et aujourd’hui, force est de constater que la langue n’est plus la même. Les expressions sont différentes, et c’est cela que je voulais montrer dans mon film. Je suis persuadée que cette langue sera différente dans une dizaine d’années.

Ce matin, vous évoquiez dans le ciné-café, votre rapport passionnel avec le hip-hop, le rap, et après coup, on constate que vos personnages sont emportés par le flow, donc par la langue.
Mon film est très bavard. C’est du non-stop. Et quand on lit les textes de rap, on s’aperçoit que tout est condensé, ardu parfois, que les lignes de texte sont nombreuses. Et j’avais envie que mes acteurs trouvent leur rythme, qu’ils parlent différemment, comme si l’on se trouvait dans un groupe de rap.

Il existe aussi un autre aspect assez visible dans votre film. Le fait que votre caméra reste soit sur la terrasse, soit dans l’appartement, qu’elle n’aille pas se balader dans les ruelles algéroises, à l’extérieur.
C’est agréable d’être dans une sorte de cocon. D’avoir cette impression de ne pas être agressé par des éléments extérieurs. Mais après, quand nous avons cette contrainte de lieux, il faut se poser et bien réfléchir à comment questionner un pays, un événement politique (les élections législatives), des personnages de fiction dans ce lieu. L’appartement est dépouillé et j’aimais cet aspect, vu que j’avais déjà repéré des endroits assez surchargés, et cela ne collait pas avec mon film. Tout cela m’aidait aussi à bien me concentrer sur le corps de mes personnages, leur désir, quelque chose de primordial pour moi.

Est-ce que vous désiriez vos personnages ?
Je prenais plaisir au moment du casting. Ensuite, ce qui me faisait peur, c’est que la caméra les fasse paniquer et surtout qu’entre eux, il n’y ait pas d’alchimie. Je recherchais l’authenticité. Et c’est en cela, que je me suis montrée bienveillante, attentive, complice, car je les aimais ces personnages, mes acteurs et actrices. Je pense que tout cela m’a aidée à dessiner un groupe de personnages qui se connaissaient depuis longtemps. Au final, mes acteurs me faisaient confiance. C’est ce que je recherchais.

Est-ce qu’à un moment, votre film vous a échappé ?
Le tournage s’est avéré difficile, mais le fait que mes acteurs me faisaient confiance, j’avais la possibilité de surpasser tout cela. Après le montage est arrivé et là, ce fut une autre paire de manches. La première version était détestable. Je ne retrouvais rien de ce que j’avais écrit dans mon scénario. Puis j’aère tout cela, je le laisse se reposer, et j’y reviens. Au final, mes intentions se retrouvaient dans ce film. Et puis, je reste encore et toujours intéressée et intriguée par la réceptivité des spectateurs. Leurs interprétations, leurs rires, leurs contradictions, leurs critiques aussi… je suis preneuse. Maintenant, ça me manque un tournage. Donc j’écris. Quasiment terminé. Un court qui se déroulera sur Alger. J’ai envie qu’il prenne vie. Que ce film existe.

Propos recueillis par Samir Ardjoum

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