11es Rencontres cinématographiques de Béjaïa Un cinéma meurtri
Ultime jour de cette 11e édition. Au menu ? Un film sur le Cinéma, sur un cinéma détruit de l’intérieur, sur le Cambodge et sur le massacre des Khmers rouges. Rencontre avec son auteur, l’érudit Davy Chou.
Il s’appelle Davy Chou. Français d’origine cambodgienne, venu spécialement de l’ancien pays de Pol Pot, pour échanger avec le public bougiotte, Chou, du haut de ses trente balais se pose devant moi. « Désolé monsieur, pas de thé maison, juste du lipton », lui assène le charmant serveur, déjà reparti à l’intérieur du café, pour y ramener un « lipton ». Chou regarde ses mails via son iPhone, respire l’air de la place Gueydon et d’emblée, me questionne sur des bonnes tables qu’il pourrait trouver sur Alger : « Je compte y aller, deux jours avec mon ami, l’écrivain Sabri Louatah, voir un peu ce qui s’y passe. Et j’ai très envie de découvrir la gastronomie de la ville. Ne connaissant pas la capitale, ça m’intrigue. » Qu’il se rassure, cela fait un bail que cette «capitale des douleurs» intrigue les Algérois… Pourquoi Davy Chou ? Parce que le Cambodge, le cinéma, le retour aux sources, la vitalité d’un cinéma revenu de pas mal de choses. Terribles et effrayantes à la fois. Comment faire pour décrypter un pan du cinéma cambodgien sans utiliser la base, les images ?
Rithy Pahn, en mai dernier, nous livrait une belle réponse dans son très beau dernier opus, «L’Image manquante», en reconstituant des scènes à partir de tableau où se retrouvaient des personnages, des poupées en terre d’argile, et ça fonctionnait. Surtout que le texte pensé et écrit par le sieur Pahn avait ce mélange de délicatesse et de transparence qui donnait à son cinéma, une certaine idée de sa propre fonction, être témoin coûte que coûte d’une période donnée, d’une histoire, voire de son récit personnel. Bon, Davy Chou. Qui est-il réellement ? Officiellement, on peut lire sur le Net ces lignes suivantes : « Il est le petit-fils de Van Chann, un des principaux producteurs du Cambodge dans les années 1960-1970. En 2009, création à Phnom Penh d’un atelier de cinéma avec 6 universités et 60 étudiants. En 2010-2011, il part au Cambodge à la recherche des témoins survivants (professionnels, spectateurs, bâtiments) de l’âge d’or du cinéma cambodgien, entre 1960 et 1975 (près de 400 films, dont beaucoup ont été détruits ou perdus sous les Khmers rouges). Il interviewe, entre autres, l’actrice Dy Saveth et les cinéastes Ly Bun Yim, Yvon Hem (décédé le 10 août 2012) et Ly You Sreang ». Sympa et très propre sur lui-même.
Officieusement, c’est une autre paire de manches
Avalant d’une traite son thé « Lipton », Davy me raconte son enfance, ce pays qu’on citait rarement dans le domicile familial, ses questions aux réponses parfois évasives et ses envies d’aller voir cette Terre aux origines mystérieuses. « Pour l’instant, ce n’est pas encore le moment, on verra plus tard », aimait à répéter son père, qui n’a jamais réellement offert au fiston la passion du cinéma. «Je le dois à mon oncle, qui m’emmenait voir des films de Van Damme, Willis, Schwarzie, des trucs que je ne regarde plus aujourd’hui, éloignés de ma cinéphilie, mais tout cela est drôle. » Très vite, on discute de sa première entrée en territoire khmer, lors de vacances d’été, durant l’année 2008. Trois semaines et la possibilité pour Davy d’épouser enfin son désir. L’année suivante, il repartira, cette fois-ci pour y vivre. L’expérience lui prendra 1an et demi de sa vie. Il ne le regrette pas surtout qu’aujourd’hui, il effectue maints voyages entre Phnom Penh et Paris, qu’il s’occupe de la restauration de classiques du cinéma cambodgien, qu’il participe à la mise en place d’un festival consacré à la mémoire, et initié par Rithy Pahn (Memory Festival) et enfin, qu’il ait pu réaliser ce très beau docu, sobrement intitulé « Le Sommeil d’or ».
« Pourrais-je avoir un jus ? ». Davy a soif, le serveur est content et moi, j’en remets une couche, le questionnant. Davy : « Quand je me suis installé au Cambodge, il était hors de question pour moi d’y aller en pensant que ce serait ma quête initiatique, je voulais juste découvrir ce pays qui m’appartenait, que je ne connaissais pas. J’ai appris la langue, je me suis fait des amis, et j’ai proposé mes services dans des écoles afin d’y créer des ateliers. Et puis quand j’ai su que j’étais le petit-fils d’un producteur ciné de l’âge d’or, j’ai commencé à m’intéresser à ce cinéma. A comprendre aussi ce qui s’y était passé, et comment un régime totalitaire pouvait prendre le cinéma comme une arme mortelle, au point de l’éradiquer complètement de la carte. Et c’est comme cela, que le Sommeil d’or est né » Deux heures plus tard, Davy terminera son débat avec le public des « Rencontres », heureux, satisfait et rassuré. « Je suis content de n’avoir pas à poursuivre le débat le lendemain matin, au Café-ciné… suis complètement épuisé. » CQFD.