YEMA - LA CRITIQUE DU FILM
Le fils du maquis

- Réalisateur : Les événements home générale - Sahraoui, Djamila
- Acteurs : Djamila Sahraoui, Samir Yahia, Ali Zarif
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Algérien
- Date de sortie : 28 août 2013
- Durée : 1h30mn
- Festival : Festival de Venise 2012, Mostra de Venise 2012
© Aramis Films
Cette "mère", Yema en arabe, est la magnifique incarnation d’une Algérie asséchée et aride, frappée au cœur des familles, dans son propre sang... Une œuvre essentielle qui saura laisser son empreinte.
L’argument : Une petite maison abandonnée, isolée dans la campagne algérienne. Ouardia y revient, après des années d’absence, pour enterrer son fils Tarik, militaire. Ouardia soupçonne son autre fils, Ali, dirigeant d’un maquis islamiste, de l’avoir tué.
Dans cet univers figé par la sécheresse, la vie va peu à peu reprendre ses droits.
Grâce au jardin que Ouardia fait refleurir à force de courage, de travail et d’obstination. Grâce au gardien, peu à peu adopté par Ouardia. Grâce surtout à l’arrivée d’un nouveau né.
Mais Ouardia n’est pas au bout de ses épreuves. Ali, le fils maudit, revient, grièvement blessé...
Notre avis : Première scène pesante. Dans un décor aride d’une Algérie rocailleuse, loin des côtes, accablée par une musique à la lourdeur d’un requiem. Une femme traîne un cadavre. Son corps frêle, décharné affiche une aridité de traits et dégage des sentiments qui épousent un paysage écrasant où l’oiseau de proie rôde à distance. On connaît la menace. Dans un effort incontestable, mais jamais dans la complainte, elle tire la dépouille de son fils, militaire, assassiné par des Islamistes, dans son linceul, avant de l’enterrer de ses propres mains alors que la loi machiste locale voudrait que l’homme se charge du rituel. Mais qui est l’homme ? L’autre fils, barbu revendiqué qui a pris le maquis pour assassiner ses frères pour des convictions religieuses que répudie cette mère nourricière qui reprend ses droits en plongeant ses mains dans la terre pour ensevelir sa propre chair ?
© Aramis Films
Désormais, seule, dans cette nature désolée, qui pourrait être si belle, dans un contexte autrement moins morbide, elle refuse la vie, pour l’austérité du recueillement, du deuil de 40 jours, alors que son assassin de fils, indirectement responsable du meurtre de son frère, lui envoie un jeune maquisard pour la surveiller 24 heures sur 24. Il est jeune, beau, avec un regard puissant mais juvénile, qui laisse entrevoir l’enfant et le fils qu’il était il y a peu de temps encore, amputé d’un bras lors d’un attentat qui ne l’a pas éconduit d’une guerre dont il ne maîtrise pas tout.
Dans ce paysage ouvert, démarre un huis clos étouffant, entre une femme indignée par la barbarie masculine, outragée dans son statut de mère... qui a épuisé toutes ses larmes et à qui il ne reste plus qu’un roc apparent en guise de cœur. Du pardon, elle n’en veut point. Et pourtant, la relation entre la captive plus qu’indépendante d’esprit et son geôlier protecteur va évoluer vers un apprivoisement progressif de l’autre.
Djamila Sahraoui, réalisatrice de documentaires et du beau Barakat !, est aussi l’actrice principale de cette tragédie antique méditerranéenne. Ses traits tirés, émaciés font d’elle le choix évident pour cette mère meurtrie dans sa propre chair. Sa démarche formidable de compter autant sur la force de ses personnages que sur le cadre naturel époustouflant, passe par les silences, nombreux, le détail des bruits des petites choses de la vie quotidienne qui reprend peu à peu le dessus, lorsqu’il faut cultiver à nouveau le potager abandonné...
© Aramis Films
Dans ce portrait artisanal d’une paysanne digne, on en apprend autant sur l’âme de la femme blessée en Algérie que sur les mentalités de l’homme, leurs doutes dissimulés dans une violence et un machisme primaires. De ce pays déchiré, la cinéaste n’en oublie pas d’élever son film en une ode magnifique aux campagnes algériennes, terres de vie à reconquérir pour que l’espoir puisse renaître de ses fruits.
Dire que l’on ressort bouleversé par Yema relève de l’euphémisme. Pourtant jamais l’auteure ne recourt aux ficelles mélodramatiques. Dans toutes ses lueurs d’espoir, Yema est et demeure dans l’aridité de ton et de cœur, comme pour lancer un avertissement fort à une société qui n’a toujours pas tourné la page de la guerre civile des années 90. L’on pense alors au magnifique Rachida de Yamina Bachir-Chouikh (2002). Une autre œuvre algérienne qui a su laisser une formidable empreinte, mais qui, à l’heure des incertitudes, des tentations d’islamisation, de radicalisation, reste une douloureuse référence d’une Algérie que l’on ne veut pas voir renaître. Yema, au nom des mères qui pleurent leurs enfants prématurément fauchés par l’aveuglement idéologique, est un film essentiel sur lequel il ne faudra pas passer en cette rentrée cinématographique.
© Aramis Films