Sorti en 1998, « Vivre au paradis » est né du désir du réalisateur Bourlem
Guerdjou de retracer l’histoire de ses parents, immigrés d’Algérie en France
pour trouver du travail au début des années 1960. Porté par les formidables
Roschdy Zem et Fadila Belkebla, ce superbe film évoque le quotidien d’immigrés
algériens dans le bidonville de Nanterre, entre allégeance au FLN et tentatives
de vivre dans un vrai appartement, en suivant les coutumes françaises.
A voir en dvd chez Blaqout, en complément de l’exposition que propose la Cité de l’immigration
: « Vies d’exils, 1954-1962. Des Algériens en France pendant la Guerre d’Algérie » (jusqu’au 19 mai 2013, voir notre critique).
Lakhdar (Roschdy Zem) et Nora (Fadila Belkebla) sont venus en France
pour tenter de gagner leur vie. Logés avec leurs deux enfants dans
le bidonville de Nanterre, ils mènent une vie difficile avec leurs deux enfants,
surtout que le fier Lakhdar veut se conformer aux coutumes du pays et refuse
que sa femme sorte de leur baraque pour socialiser avec les autres
épouses des travailleurs algériens. Bête de labeur, Lakhdar abat un travail
considérable en espérant réunir assez d’argent pour permettre à sa famille
de déménager dans un « vrai » appartement. Mais petit à petit, à mesure
que l’année 1960 puis 1961 avance, le mari et la femme commencent à
diverger : Lakhdar tire de plus en plus la langue quand il s ’agit de payer
son impôt au FLN, et, sévèrement molesté lors de la manifestation,
du 17 octobre 1961, il a de plus en plus envie de se détacher des
appartenances algériennes. Au contraire, Nora finit par sortir le nez
de leur maison en lattes de bois pour rencontrer Aicha (Hiam Abbas)
qui la convainc de participer elle aussi à la lutte pour l’Indépendance.
Film sensible, concentré sur l’évolution psychologique des deux
personnages principaux, « Vivre au Paradis » n’en met que
mieux le doigt sur les points historiques et politiques les plus
délicats : les conditions de vie des travailleurs immigrés
dans un bidonville sont parfaitement décrites, les troubles
identitaires de la première génération sont aussi bien évoqués
que le racisme ordinaire ou les violences longtemps refoulées
du 17 octobre 1961. Campant un personnage plein de contradictions,
Roschdy Zem tient avec le personnage de Lakhdar l’un des plus beaux rôles
de sa carrière. Un grand film, à voir et à revoir chez Blaq Out.
En bonus, ne manquez pas certaines rencontres tournées à la Cité
de l’immigration, à l’occasion de l’exposition « Vies d’exils »
. D’abord, l’historien Benjamin Stora, clair et direct, qui livre le
récit des diverses vagues d’immigration algérienne dans «
des immigrés engagés » (10min), puis l’interview du réalisateur,
Bourlem Guerdjou, au comble de la modestie dans ces
propos tenus avec amour et conviction : « Je voulais raconter
l’histoire de mes parents » (10 min). Et enfin, un petit document passionnant sur les
« Guerres secrètes du FLN en France » par Malek Bensmaïl (2010-62 min).
« Vivre au paradis », de Bourlem Guerdjou, France, 1998, 1h36, dvd Blaq Out, 20 euros.
. Sortie le 2 octobre 2012.

