.Une étape primordiale pour le scénariste
Une étape primordiale pour le scénariste |
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Par Caroline DE KERGARIOU, scénariste de télévision et membre fondateur de l’Union des Scénaristes. |
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Au début était le Verbe, nous dit la Bible. En tout cas pas pour le scénariste. Car s’il est en train d’écrire, donc de formuler sa pensée en mots, cela veut dire qu’une étape primordiale a déjà été franchie : il a trouvé l’Idée ! |
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Il y a deux sortes d’idées, la géniale et la banale. Celle-ci, nous en reparlerons. D’une part elle représente 99% du total de toutes les idées conçues, d’autre part elle intervient souvent en réponse à une commande. C’est dire si elle est familière au scénariste de télévision ou au spectateur de cinéma. Car il est surprenant de constater, en feuilletant un dictionnaire du cinéma, le nombre de films, même de grands films qui sont nés à partir d’une amorce qu’on peut à peine appeler une idée. L’homme qui revient dans son bled natal régler de vieux comptes (Le Train sifflera trois fois), celui qui, entraîné malgré lui dans une cavale, va rencontrer des gens susceptibles de révéler sa personnalité profonde (Jeune et innocent,La Mort aux Trousses, After Hours), la femme contrainte de se battre contre la terre entière pour sauver son couple, sa famille, sa maison (Autant en emporte le vent)... toutes ces situations ont donné lieu aux plus grands films de l’histoire du cinéma et sont pourtant d’une rare banalité. Mais elles autorisent toutes les variations... |
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Valentine Albin a connu cet état de grâce quand elle écrivait Vacances au Purgatoire. L’idée s’est imposée à elle en entendant divers témoignages au sujet des expériences de mort imminente : "Les gens disaient tous qu’ils entraient dans ce fameux tunnel de lumière, mais au bout d’un certain temps, ils faisaient invariablement demi-tour. Je me suis dit : et si mon personnage, lui, allait jusqu’au bout ?" Tel est le germe du film. Après tout est allé très vite, dans l’aisance, écriture, tournage, diffusion... producteur, réalisateur, tout le monde adorait. On retrouve les trois critères, simplicité, facilité, unanimité.
L’idée banale, par contre, ne surgit pas toute armée de la tête de son auteur. Elle sent le travail et la sueur. Elle s’élabore. Elle se construit. Elle se compose pour utiliser une expression très courante dans le domaine des lettres au XIXe siècle. C’est-à-dire, pour en revenir à la définition, qu’elle est formée de l’assemblage de plusieurs éléments, comme un texte typographique, comme un menu. Si la muse était à l’œuvre dans le cas de l’idée géniale, ici, c’est le poète qui s’y colle. En effet le poète, étymologiquement, est "celui qui fabrique".
L’idée banale est typiquement la réponse à une commande ou un appel d’offre."J’ai besoin d’un nouveau concept de série policière, de comédie familiale... un sujet pour mes chauffeurs de taxis ou mes ambulanciers !" dit le producteur. Et l’auteur se met à plancher.
Il se procure toute la documentation disponible, l’ingère et laisse vaguer son esprit. Il utilisera sans doute la technique de l’amplification en notant sans censure tous les mots, toutes les idées qui peuvent lui venir à l’esprit à ce sujet. A ce stade peut apparaître l’idée géniale et on en revient au cas précédent. Malheureusement le phénomène est rare et impossible à maîtriser alors il va devoir s’y prendre autrement et fabriquer de toutes pièces l’idée qui s’obstine à ne pas naître. Puisque l’inconscient ne répond pas, il lui faut maintenant mettre au travail son esprit conscient.
La création de héros civils récurrents a obéi à ce mode d’approche logique et systématique. Toutes les professions un peu prometteuses y sont passées, comme si on feuilletait les pages jaunes de l’annuaire. Rares sont celles qui ont réussi à se maintenir à l’écran au-delà de quelques épisodes.
Dans une conférence donnée en 1939 à New York, Hitchcock parle de des différentes méthodes, comme celle qui "consiste à choisir un cadre ou des événements qui peuvent donner un film frappant et dramatique." (5) La méthode est peu utilisable dans le cadre d’une commande télévisuelle. Car les cadres assez singuliers pour "donner un film frappant" ont toutes chances de ne pas être jugés assez fédérateurs. Il a fallu attendre Oz pour voir une série qui se déroulait entièrement dans une prison ! Hitchcock ajoute d’ailleurs : "C’est certainement ce qu’il ne faut pas faire." (6)
"Il y a aussi l’idée qui consiste à choisir d’abord un environnement, puis l’action." (7) Là, puisque l’action est l’ensemble des efforts fournis par le protagoniste pour atteindre son objectif, on retrouve la définition même de la dramaturgie. L’environnement est généralement déjà imposé, campagne française, banlieue défavorisée, commissariat, hôpital... si l’on veut s’inscrire dans la ligne éditoriale d’une chaîne ou dans l’univers d’une série déjà existante, le choix a déjà été fait en amont. Reste l’action qui résulte donc de la combinaison de deux données, un personnage et l’objectif qu’il cherche à atteindre. A ce propos Hitchcock remarque : "En principe les gens inventent un personnage ou un groupe de personnages et ils les laissent déterminer le cours de l’histoire, le cadre et tout le reste. Mais, à moins d’avoir un personnage qui sort vraiment de l’ordinaire, (...) vous risquez de vous retrouver dans un contexte affreusement fade. Prenez, par exemple, une femme du monde. Elle vous conduira infailliblement dans un salon où l’on écoutera un flot de paroles et voilà, vous êtes piégé !" (8)C’est évidemment une difficulté, mais elle n’est pas insurmontable, puisqu’il suffit de plonger ce personnage trop ordinaire dans un contexte qui ne lui convient pas pour obtenir des effets très intéressants. C’est sur cette idée que fonctionnent des films aussi différents que Un Indien dans la Ville, Les Visiteurs, Trois hommes et un couffin, Certains l’aiment chaud, Tootsie, Baby Boom, Un fauteuil pour deux... Le jeune sauvage ou les hommes du Moyen-Age plongés dans notre monde, les célibataires viveurs ou l’executive woman aux prises avec un nourrisson, les séducteurs embarrassés par leurs jupons... tous ont réussi à retenir l’intérêt de millions de spectateurs.
Remarquons que dans le cas d’une série télévisée, les personnages récurrents sont déjà imposés, l’équipe de flics, par exemple, dans un polar. Les personnages qui restent à inventer sont ceux qui vont fournir le prétexte de l’histoire (victime et meurtrier pour rester dans l’exemple précédent). La difficulté est alors de ne pas se tromper de protagoniste.
Plutôt que de plonger un personnage dans un monde qui lui est entièrement étranger, on peut aussi le lier au même joug qu’un deuxième larron aussi dissemblable que possible. Cette manière de faire à contribué au succès de African Queen, A la poursuite du Diamant vert, La Chèvre, Les Compères... Il y a en effet peu de spectacles plus réjouissants que deux êtres obligés de collaborer alors qu’ils s’exaspèrent mutuellement.
A la fin de sa conférence Hitchcock indique enfin quelle est sa méthode préférée : "Parfois, je choisis une douzaine d’événements différents et j’en fabrique une intrigue. Pour L’Homme qui en savait trop, je m’étais dit : ‘J’aimerais faire un film qui commence dans une station de sports d’hiver. J’aimerais arriver à Londres dans l’East End. J’aimerais continuer en allant dans une chapelle et finir à un concert symphonique à l’Albert Hall de Londres.’"
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