Culture - 23 juillet 2013 à 00:00
Soirée court-métrage aux Mille et Une News

Cette année, les soirées ramadanesques des Mille et une News bénéficient d’un deuxième espace : le cinéma Algeria où se déroule une partie du programme. Dimanche dernier, les deux courts-métrages du jeune et talentueux cinéaste Amin Sidi Boumediene y ont été projetés.

«Demain Alger ? » et « L’île » (El Jazira) sont l’œuvre d’un réalisateur qui a commencé grand, révélé par Thala Prod dans le cadre de son projet « Alger demain » lancé en 2010. Parmi les cinq courts-métrages produits, Amin Sidi Boumediene sort du lot avec « Demain Alger ? », variation subtile sur les évènements d’Octobre 1988 où le trio d’acteurs Mehdi Ramdani, Amine Mentseur et Nabil Asli font la différence. Une bande de trois amis passent une journée particulière dans leur quartier : l’un d’eux s’apprête à quitter le pays, l’autre veut absolument descendre le lendemain à Alger tandis que le troisième ne veut pas entendre parler de cette virée où « l’on va se casser la gueule » !  Une discussion survoltée qui dure pratiquement le long du film et se termine par le départ de Mentseur. A la fin, une phrase blanche sur fond noir nous dit que le lendemain se déclenchait l’insurrection du 5 Octobre 1988.

L’approche de Sidi Boumediene de cette date phare de notre Histoire se distingue par la manière à la fois délicate et cathartique qu’il a choisie pour aborder ce « souvenir » marquant de la mémoire collective. Le fait de ne pas traiter des évènements d’Octobre de manière frontale ou documentaire relève, en même temps, d’un choix artistique et d’une volonté de contournement, une envie de dire les choses indirectement comme pour éviter la douleur de l’évocation ou l’éventuel échec si cet événement historique fut raconté dans sa globalité… A travers les trois personnages du film, Octobre est conté dans un fragment, il est quasiment sublimé par le mystère qui l’entoure et comme amadoué par ce traitement alambiqué choisi par le réalisateur… Or, l’effet de surprise est garanti lorsque le spectateur découvre, à la fin de « Demain Alger ? », que tout le dilemme des trois amis était de savoir s’il fallait descendre participer aux manifs d’Octobre.

Le deuxième court-métrage de Amin Sidi Boumediene signe la quintessence d’un style décidément audacieux et prêt à tenter des expériences pour le moins inexplorées dans notre cinématographie (passée ou actuelle). « L’île » est un court-métrage de 20 minutes qui propulse le réalisateur dans un tout autre genre et une toute nouvelle approche esthétique. Alger est transformée ici en une ville fantôme accueillant un mystérieux homme sorti de la mer en combinaison de scaphandrier et parcourant cette terre inconnue à l’aide de photographies retrouvées dans un coffre. A travers la longue et lente marche du personnage, c’est notre propre regard sur la ville qui change tant la caméra de Sidi Boumediene interroge l’esthétique urbaine dans ses moindres luminescences, prend les détails les plus insignifiants pour les rendre essentiels à la construction de ses tableaux et le façonnement d’une géographie hybride dans laquelle se meut son personnage tout aussi insaisissable.

« L’île » est un voyage dans Alger devenue la terre d’accueil d’un sombre étranger dont le visage caché nous le rend à la fois hostile et attendrissant. L’homme, cherchant une adresse précise en essayant de ne pas se faire repérer par la population qui commence à arpenter les rues, croise alors le regard d’une immigrée subsaharienne et ce bref moment de dialogue muet devient la clé de voute du film. Elle, l’étrangère venue du Sud pour finir dans la mendicité, scrute calmement cet autre étranger venu de nulle part pour on ne sait quelle raison… « L’île » est cependant loin d’être une simple interrogation sur le phénomène de l’immigration ; c’est un film-poème qui arbore ses images et ses doutes comme autant de digressions sur l’idée même de l’errance. Ce court-métrage salué par la critique et applaudi dans les nombreux festivals où il a été plusieurs fois primé, flirte avec différents genres tels la science-fiction et le post-apocalyptique sans pour autant s’inscrire dans aucun des deux tant il induit de nombreuses interprétations et approches qui le rapprochent finalement du film d’auteur.

 
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