Culture - 20 juin 2013 à 00:24
«Manhattan» et «Demande à ton ombre» à la Filmothèque Zinet

Parfois, le calendrier est sympa avec le public. Deux dates, deux rendez-vous, deux ciné-clubs, et une même salle de cinéma. Jeudi 20 et vendredi 21 juin, il est possible de se faire une toile à la Filmothèque Zinet.

On l’avait déjà évoqué dans les colonnes d’Algérie News, on les avait déjà repérés. Qui ? Les lascars du ciné-club « Ciné Qua Non Zinet », qui après les projections de « Paris, je t’aime » et « Lost in Translation » (Sofia Coppola), reviennent hanter les lieux de la Filmothèque Zinet. Sont-ils épuisés ? Pas vraiment, surtout qu’ils adorent remettre des couches sur le bitume de l’Office Riad El Feth. Leur public, des artistes, des fous, des branquignols, des paumés, des amoureux d’un soir, des couples qui le temps d’un film refusent de s’accoupler, juste voir un film, est un mélange entre passionnés assaisonnés à l’adrénaline et « Inglorious bastards », qui ne se prennent aucunement au sérieux. Et tout en conservant cet état d’esprit, les organisateurs arrivent par, je ne sais quel truchement, à donner au lieu de projection, une vie meilleure, plus intéressante que celle qu’on entr’aperçoit dans d’autres manifestations pseudo-cinématographiques. Ils ont compris, ces « jeunes » de l’association Popium, initiatrice de ce beau concept, que les lamentations devenaient à la longue désuètes, qu’il fallait se perdre ailleurs, quitte à prendre des nationales, des routes de campagne au lieu des autoroutes sans surprises. En cela, le soutien des « gens normaux » leur sera toujours indéfectible.

Donc quid du film ? « Manhattan ». Classique réalisé par Woody Allen, légendaire ouverture du film sur fond de Gershwin, accompagnant les contours architecturaux de la ville de New-York, véritable protagoniste de ce film en noir et blanc, de ce chef-d’œuvre intemporel dont un critique de cinéma US écrira ce long monologue : « Manhattan est digne de sa réputation et peut-être le plus grand film de Woody Allen. Certainement son film le plus raffiné, alliant perfectionnement de la mise en scène et maturité visuelle. Mais le vrai triomphe du film réside dans la façon terriblement honnête de se créer. Même ses mensonges ne semblent exister que pour mettre en évidence l’éloignement de la vérité. Manhattan est peut-être son film le plus sombre, mais c’est la même obscurité trouvée chez Renoir et dans les comédies d’Ernst Lubitsch. » La suite ? Jeudi 20 juin à 20h à la Filmothèque Zinet.
Le lendemain, toujours dans la même salle, il faudra revenir squatter le lieu pour, cette fois-ci, découvrir la « première » algéroise du dernier film en date de Lamine Ammar-Khodja,
« Demande à ton ombre ».

Beaucoup de choses ont été écrites ici et là, surtout dans ces toujours mêmes colonnes d’Algérie News. Le film est important, arrive à point nommé dans un paysage cinématographique sclérosé par le dénigrement créatif et le je-m’en-foutisme hallucinatoire. Entre complaintes d’un côté, et financements illogiques pour des œuvres sans queue ni tête, le sieur Khodja se pointe avec un film bricolé avec « rien » et de ce « vide », crée une œuvre changeante, maladroite, gênante, sensuelle, bouleversante, du vrai cinéma que l’on peut voir ailleurs, chez Djamel Beloucif, Amal Kateb, Nazim Djemaï, Hassen Ferhani, Yanis Koussim, Nabil Djedouani, Sami Tarik et Lucie Dèche, Omar Belkacemi, Mohamed Lakhdar Tati, tous ces visages qu’il ne faut aucunement regrouper dans la case d’une « nouvelle génération », juste des gens arrivés au bon moment et au parcours suffisamment différent pour qu’ils deviennent intéressants. Et Lamine Ammar-Khodja ? Voici ce qu’il dit à la critique de cinéma française, Marion Pasquier, lors d’un entretien : « Ce film m’a fait prendre conscience que je ne retournerai pas tout de suite vivre à Alger.

C’est vraiment le film de quelqu’un qui ne trouve pas sa place en revenant. J’ai pris conscience de la distance que j’avais. Sans rien renier à la proximité non plus. Mon film se tient dans cette distance-là. Je comprenais très bien le terrain et sa complexité sans jamais trouver ma place dans le jeu. Cette position ambiguë m’est apparue clairement un jour où j’étais à Alger : je n’avais pas trop envie de sortir, le moral à plat, et j’étais justement en train de lire un livre sur la ville. J’étais très content de lire ce livre sur Alger. Je trouvais cette ville fantastique et intrigante. C’était bizarre, j’étais plus content de découvrir des choses sur la ville en lisant le livre qu’en sortant tout simplement dans les rues. Je me suis dit que pour mes films j’allais faire la même chose. Recréer un espace pour me réapproprier cette ville et me réconcilier avec elle. Finalement, y vivre ou pas n’a pas tant d’importance. D’ailleurs, quand on me pose la question pour me demander si je suis retourné en France ou si je suis resté à Alger, je dis que j’habite mon imaginaire. C’est le privilège de la création. »  Magnifique !

Avant de plier bagage, rappelons que cette initiative est due à l’association Chrysalide que nous avions perdue de vue depuis un certain temps. Bonne nouvelle de les revoir. Espérons que ces projections ne soient pas occasionnelles… Donc, RDV vendredi 21 juin à 20h à la Filmothèque Zinet.
Samir Ardjoum

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