Les 7 conseils pour faire une série à succès par Fabrice Maruca by CINÉMA GUÉRILLA · LEAVE A COMMENT
Fabrice Maruca est le créateur et le réalisateur de la série « La minute Vieille » (diffusée sur Arte). Il vient de remporter le prix du meilleur programme court au festival de la Rochelle.
Conseil 1 : commencer par un court-métrage
J’avais envie de faire ce court-métrage depuis longtemps. J’avais envie de faire raconter une histoire salace face caméra. De nombreux amis ont « mis en scène » des blagues et je trouvais que ça ne collait pas. Pour moi, une histoire salace doit être racontée, pas jouée. Je me suis demandé quelle est la personne qu’on attendait le moins pour ce genre de truc et la vieille dame m’est apparue tout de suite. Pour moi, ça créait un décalage entre ce qui est dit et la personne qui le dit. Donc l’idée de mettre en scène 3 vieilles dames qui parlent face caméra m’est venue comme ça. On est début 2008, mon dernier court-métrage SURPRISE! cartonne et vient d’être vendu à Canal+. J’en suis le producteur et je décide sur un coup de tête que l’argent de la vente servira à produire un nouveau court-métrage: LA MINUTE VIEILLE. Je voulais que ça soit beau, en studio, avec un vrai parti pris artistique. On a donc tourné en une journée le 8 mai 2008. Le casting a été compliqué, pas mal d’actrices ont refusé de jouer dedans et j’ai donc dû prendre 2 non-professionnelles sur les 3. Comme elles n’étaient pas actrices, je me suis vite rendu compte qu’elles ne pouvaient pas « jouer » d’une manière rythmée comme je le voulais donc j’ai décidé sur le plateau qu’elles répéteraient ce que je dirai. On peut donc dire que c’est moi qui joue. J’ai gardé cette méthode sur la série, même pour les actrices pros comme Anémone ou Bernadette Lafont. Le court s’est monté en juin mais j’ai dû arrêter 3 mois pour finir un scénario de long qui ne s’est finalement jamais tourné. En octobre 2008, j’ai fini le montage et le temps que le son, le générique se peaufinent, on était en décembre. La première projection a eu lieu le 20 janvier 2009 au Cinéma des Cinéastes à la soirée Fuji (car le court-métrage a été tourné en pellicule Fuji, gagnée au festival de Sarlat avec Surprise!). Au final, ce film m’a coûté environ 6000 € (dont la moitié pour le studio et les décors). Il a eu une belle carrière en festivals, 7 prix (souvent du public, car le jury ne considérait pas ce court-métrage de 2mn20 comme un « vrai film »). Il a aussi été acheté par Canal+. Bref, un succès! J’étais content.
Conseil 2 : choisir la bonne production et être patient
La transformation en série tv s’est décidée très vite. Les gens aimaient et voulaient en voir d’autres. Je me suis dit que ça serait une super idée pour une série finalement. A la base, je pensais que c’était un « one shot » esthétique… Bref, j’ai décidé d’en faire une série. Un dimanche matin, en décembre 2008, je suis sur Facebook quand je vois que mon ami Laurent Ceccaldi est en ligne. C’est un producteur TV de chez Marathon avec qui je n’ai jamais bossé mais que je connais bien. J’ai en effet, à ce moment-là, 8 ans d’écriture TV derrière moi, principalement pour des programmes courts comme Un gars, une fille ou Samantha Oups! On parle 2 secondes, je lui envoie le « pilote » et il aime instantanément. On se revoit vite et il me dit qu’il aimerait produire la série. Il m’optionne un an et part à la chasse aux chaînes de télévision. Le premier contact avec Canal+ est formidable: ils adorent, paraît-il que même Rodolphe Belmer (patron de Canal Plus) a embarqué le dvd chez lui… Je suis content et me vois déjà dans le Grand Journal mais finalement, après 6/8 mois d’attente, ils nous annoncent ne pas avoir de case. A ce moment (nous sommes fin 2009, début 2010), Laurent quitte Marathon et monte sa production Bakéa Prod. Il reprend l’option de Marathon à son compte & continue de chercher et on se rend compte vite que tout le monde aime mais que personne ne veut « prendre le risque » de le mettre à l’antenne. A l’été 2011, France 4 nous dit aimer le concept et pense se lancer dans le programme court. Mais il faut passer des tonnes de barrières, je n’y crois plus trop. Et là, la vie nous rattrape une fois de plus. Le 31 août 2011, je prends un pot avec une amie (Marie) quand Ophélie Beaurepaire qui travaille chez Arte l’appelle. Marie dit que nous sommes ensemble, je la connais aussi donc elle décide de nous rejoindre. On parle de tout et de rien, quasiment pas du métier jusque point d’heure quand, avant de mettre son casque de scooter et de partir, elle me demande si j’ai envoyé la Minute Vieille à Arte car ils ont lancé un appel à programmes courts qui se termine… le lendemain ! Je n’étais pas au courant, Laurent Ceccaldi non plus. Le projet part le lendemain par coursier express… et 3 semaines après, 1er appel d’Arte. La Minute Vieille sera finalement leur premier programme court. Dingue, non?
Conseil 3 : Savoir collaborer avec une chaîne de télévision
Au départ, nous partons sur 50 épisodes de 1mn30… Mais en cours de route, Arte décide de décaler le tournage de 3 mois. Après maintes discussions, nous avons décidé de tourner quand même 10 épisodes tests et de laisser passer un mois avant de tourner les 30 autres (comme Arte n’ajoutait pas d’argent et qu’il fallait démonter et remonter le décor, nous sommes passés de 50 à 40 épisodes pour rester dans le budget). Durant ce mois, ils ont visionné les 10 épisodes tests et décidé de changer une comédienne. Sur le coup, ça m’a fait mal mais avec le recul, ils ont eu raison. Cette comédienne (que je ne citerai pas et que j’embrasse) était trop pro et elle détonnait par rapport aux autres (non pas que les autres ne soient pas pro, mais ça faisait moins « naturel »). Nous avons recasté in extremis et trouvé Nell Reymond, qui est formidable en mamie « gitane ». Donc un mois après, nous avons retourné les plans de Nell pour les 10 premiers épisodes et continué dans la foulée.
Conseil 4 : Bousculer les processus d’écriture
La série est suivie chez Arte par Hélène Vayssières du service court-métrage. Je ne m’imaginais pas travailler avec elle, tant nos univers sont éloignés. Mais ça se passe finalement très bien. Je cherche des blagues partout: sur internet, dans des bouquins, par des copains, partout ! Je m’en rappelle également pas mal. Une fois la blague sélectionnée par mes soins, je la réécris à la manière « Minute Vieille » (avec un type de langage spécial, des réparties et des interactions entre vieilles dames) et l’envoie à Arte. Là, Hélène et d’autres gens d’Arte me la valident ou pas. On ne va pas parler de « censure » mais de type d’humour… Bref, j’en écris 55 pour en tourner 40. A l’arrivée, tout le monde est content.
Conseil 5 : Diriger avec audace des comédiens
Le tournage se passe très bien. Nous sommes chez Arte Studio, en vase clos, en équipe assez réduite (7/8 personnes). Nous avons les 4 décors sur le même plateau. Comme je l’ai dit, c’est moi qui « joue » et les comédiennes répètent. Je tourne toutes les blagues avec les 4 comédiennes (mais l’une d’elles ne sera pas dans l’épisode, après visionnage des rushes). La comédienne est assise dans son décor et a une oreillette, moi j’ai un micro et un moniteur et je suis assis dans le décor d’en face). Bref, nous lançons la caméra, je dis la phrase et la comédienne répète. Si je n’aime pas ou qu’elle bafouille, elle recommence. Je lui donne des indications, des gestes à faire et elle le fait, généralement très bien. Donc je dis toute la blague, parfois je répète des phrases jusque 10 fois. A l’arrivée, le tournage d’une blague prend environ 20 à 30 minutes. Nous en tournons 6 ou 7 le matin avec une comédienne (avec changement de costume tous les 2/3 épisodes et micro changement des accessoires à chaque épisode) et nous en tournons 6 ou 7 l’après-midi avec une autre comédienne. Les journées sont bien remplies, surtout pour moi qui récite entre 12 et 14 blagues par jour, parfois plusieurs fois. Le plus important est de soigner la chute. Là, on s’y reprend parfois jusque 20 fois. Le truc est de ne pas trop les fatiguer car elles ont entre 72 et 78 ans. Je veux les ménager au maximum donc il n’est pas rare d’éteindre la caméra pour leur servir un verre d’eau ou faire une pause.
Conseil 6 : Gérer le planning de production
Nous tournons, pour 40 épisodes, environ 13/14 jours. En saison 2, le planning s’est un peu allongé car il y avait 3 guests: Anémone, Judith Magre et Bernadette Lafont. Chacune avait son propre décor et comme le studio ne peut en contenir que 4, nous avons dû faire une pause le temps de démonter les premiers décors pour monter les seconds. Comme je l’ai dit, je tourne toutes les blagues avec les 4 comédiennes. Nous tournons en caméra Red 4K, donc un seul plan : le large! Le serré n’est qu’une version zoomée du plan large, sans perte car le final est en HD. Sur le court-métrage, je n’ai pas pu faire ça car j’avais tourné en super 16mm, donc j’avais dû faire 2 plans (un large et un serré). Le fait de ne tourner que le large fait qu’on pose la caméra le matin et qu’on ne la bouge que l’après midi, pour la 2ème comédienne. Xavier, le chef opérateur, n’est quasi jamais là pendant le tournage, occupé à transcoder les rushes dans une pièce voisine. Nous tournons donc 4 prises par blague (une par comédienne) qui sont ensuite envoyées à Xavier pour le transcodage qui transmet ensuite à David, l’assistant monteur. David ne connaît pas les blagues et les découvre à ce moment là, en les visionnant. C’est le 1er spectateur. Il coupe toutes mes interventions, ne garde que les moments utiles où les vieilles dames parlent face caméra. Il fait un bout à bout de toutes les prises sans aucune distinction. Exemple, sur son montage, la phrase « il se lève et ouvre la porte » est dite plusieurs fois par l’actrice 1, puis par l’actrice 2, puis par l’actrice 3 et enfin l’actrice 4. Parfois, nous avons 20 ou 30 versions d’une seule phrase avec les 4 actrices confondues. David bosse en flux tendu avec nous, il arrive dès le 2ème jour de tournage et travaille donc sur les rushes tournés la veille. Une fois le tournage fini, je laisse David finir de préparer tous ses prémontages et nous attaquons le travail ensemble. La technique est rodée : pour chaque blague, je visionne avec lui tous les rushes de toutes les comédiennes et je décide de celle qui ne sera pas dans l’épisode (pas toujours pour des questions de jeux mais parfois pour une question d’harmonie ou de rythme). Ensuite, je sélectionne avec David 1 ou 2 (maximum 3) prises de chaque phrase pour chaque comédienne. L’idéal serait 1 mais ça arrive rarement. Et nous faisons ainsi pour les 40 épisodes. Cela prend 10 jours! 10 jours à regarder des rushes de vieilles dames face caméra, croyez bien que c’est pas facile! Ensuite, Bruno, le monteur arrive. Nous montons ensemble 4 épisodes par jour, donc 10 jours de boulot également. Nous décidons de « quelle actrice dit quoi », sachant que si elle parle en phrase 3, elle ne pourra ni être en phrase 2, ni 4. Parfois, ce puzzle est compliqué mais Bruno a la technique et nous bouclons un épisode en 2h/2h30. Donc 4 par jour. L’épisode est monté uniquement en large, pour se concentrer sur le rythme et le phrasé et nous décidons à la dernière minute de passer certains plans en serré (David a pris soin de mettre les plans serrés sur la piste 1 et les larges sur la piste 2, à timecode identique). 4 à 5 fois en cours de montage, Hélène vient valider et ça se passe généralement bien. Rares sont les changements majeurs qu’elle ait demandés. Puis la série part en mix et étalonnage. Je vérifie les 40 épisodes en une journée chez le mixeur et participe à l’étalonnage avec Xavier, le chef op. Cette série est un travail d’équipe mais également d’amitié puisque j’ai fait mes études avec le chef op, le monteur et l’équipe mix. Et je travaille depuis de nombreuses années avec les autres. La série est ensuite envoyée à Arte où elle doit être doublée en allemand pour la diffusion simultanée en Allemagne. Elle est diffusée l’été en juillet/août à 19h40 des 2 côtés du Rhin. L’accueil est positif et nous partons sur une saison 3 avec des guests homme, cette fois.
Conseil 7 : Utiliser la série comme tremplin
La série est un énorme tremplin pour moi car c’est un véritable succès à la télé mais surtout sur internet (plusieurs millions de visionnage). La page facebook relaie très bien la série aussi. Du coup, pas mal de producteurs me connaissent maintenant, d’autant qu’on a reçu le prix du meilleur programme court au festival de la fiction de la Rochelle. J’aime vraiment cette série et je suis heureux de partir sur une saison 3 mais je souhaite également mettre un pied dans le long-métrage (j’ai quand même réalisé 7 courts-métrages). Je travaille sur 2 synopsis de comédie, on verra! Le cinéma est une question de patience, tout le monde le sait!
Site web de Fabrice Maruca : www.fabricemaruca.com
Facebook officiel de la série : http://www.facebook.com/laminutevieille