15/12/2012

Femmes méditerranéennes dans les films et la télévision : Djamila Sahraoui
« L’Algérie est un pays très dur avec ses enfants »

Algérie

Femmes méditerranéennes dans les films et la télévision : Djamila Sahraoui

Réalisatrice, scénariste et interprète. Après son début sous le signe du documentaire, la cinéaste Djamila Sahraoui revient derrière la caméra avec Yema (lit. Ma mère), son deuxième long métrage, déjà sélectionné au prestigieux rendez-vous du Festival du Film de Venise en 2012. Grâce à ce film, qui aborde sans merci l’histoire la plus récente et crue de son pays, Djamila s’est désormais imposée comme une représentante affirmée du cinéma algérien contemporain. Le site El Watan l’a interviewée lors de la projection de son œuvre à Riad El Feth (Alger), le 14 novembre, en présence des deux jeunes comédiens Ali Zaref et Samir Yahia.

 

Yéma, le titre, paraît sympathique. Mais il suscite des interrogations, fait penser à beaucoup de choses…

« Yema, j’ai froid », crie Ali, le fils de Ouardia dans le film. Il la supplie. Dans l’affiche, vous voyez la mère avancer vers un olivier, pas de gros plans sur les comédiens. Cela peut être « la mère patrie ». Pour moi, la mère peut être l’Algérie surtout qu’elle est dure avec ses enfants. La mère dans le film représente une certaine aridité…

Et d’où vient cette aridité ?

De la tragédie. Je pense que l’Algérie est un pays très dur avec ses enfants, ses citoyens. Il y a une violence exercée contre soi et contre les autres. Parler de la violence extrême et de la manière dont elle s’exerce fait partie de mon univers fantasmatique. J’essaie tout le temps de comprendre le mécanisme de la violence. Dans Yéma, la mère est violente envers elle-même et envers ses enfants. Dans mes travaux, on rencontre des sentiments violents. Cette terre méditerranéenne engendre ce genre de sentiments. Cela existe dans l’histoire. Mes références ont toujours été les mythes grecs. La violence est également énorme dans l’histoire algérienne.

Ce qu’a vécu l’Algérie dans les années 1990 relevait bien de la tragédie, pas forcément grecque.

Deux frères qui s’entretuent, c’est une tragédie. Il s’agit d’enfants de la même terre. Il n’y a rien de pire que cela. Lorsqu’existe un ennemi extérieur, les choses deviennent plus simples. Pas quand la tragédie s’exprime à l’intérieur de la même famille. Cela laisse des séquelles monstrueuses.

Vous avez choisi de situer l’histoire en pleine montagne, pas en ville. Cet isolement de la mère a-t-il une importance quelque part ?

J’insiste beaucoup sur l’imaginaire, l’histoire des individus. J’ai grandi dans un milieu paysan à Tazmalt (Béjaïa). Tous les gestes agricoles que vous voyez dans le film, je les connais bien. Les images se construisent dans l’enfance. Je suis habitée par ce genre de paysage. Enfante, je jouais entre les oliviers. Dans notre terre ocre, on cultivait les légumes. Je me souviens de tout cela.

Pourquoi avez-vous complètement évacué la musique du film, mis à part le générique de la fin avec un chant aurasien cru de Houria Aychi ?

Nous avons beaucoup travaillé sur le son pendant des semaines pour s’adapter aux bruits de saison. J’ai réfléchi à plusieurs musiques. Puis, je me suis dit non. Car mettre de la musique aurait signifié qu’on cherche la sympathie du spectateur, lui faire tirer des larmes, l’attendrir. J’ai décidé de montrer l’histoire telle qu’elle est, crue. Crue et radicale.

Le dialogue est également à son niveau minimal, économique.

Pour moi, le cinéma, c’est le jeu des acteurs et l’image. Le texte vient après. On peut presque s’en passer. À chaque fois que c’était possible, je l’ai fait. Si l’on comprend bien par l’image, on n’a pas besoin d’expliquer. C’est cela que j’aime. Le cinéma, ce n’est pas du ‘blabla’. Bavarder sans cesse n’est pas du 7e art à mes yeux.

Y avait-il un déclic qui vous a ramenée vers ce scénario, cette histoire ?

Pas de déclic, mais de petites idées, une par-ci, une par-là. Dès le début, j’ai pensé à une phrase de Victor Hugo qui avait écrit sur la terreur en France : «Sur cette terre arrosée de tant de sang, de tant de larmes, de tant de sueur, de tant de souffrances accumulées …». Dans Yéma, la mère arrose la terre. Elle verse de l’eau comme pour calmer les souffrances de la terre. Ce que j’ai fait dans le film vient de la tragédie grecque, de la situation algérienne, de Victor Hugo. Au bout d’un moment, lorsqu’on a lu, vu et entendu des choses, tout se met en place et les images reviennent.

 

Source : El Watan

Photo : Maghebrzine

 

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