ENTRETIEN AVEC LE CINEASTE BACHIR DRAISS
<h51 style="margin: 0px 0px 4px; padding: 0px; font-size: 1.1em; font-family: Verdana, sans-serif; color: rgb(164, 164, 160);">ENTRETIEN AVEC LE CINEASTE BACHIR DRAISS</h51>
«Des pseudo-producteurs et réalisateurs parasitent le paysage audiovisuel»
Le réalisateur et producteur Bachir Draïss nous fait part, dans cet entretien, de son avis sur les nouvelles dispositions mises en place par les autorités publiques pour relancer le cinéma algérien. Il y dénonce la «médiocrité» de l’ENTV et l’absence de stratégie et de vision de fonds sur le champ audiovisuel, lequel, selon lui, doit impérativement être ouvert afin de libérer les initiatives et susciter l’émulation en symbiose avec les critères de compétitivité et de professionnalisme.
Alger Hebdo : Comment avez-vous réagi à la nouvelle loi sur le cinéma ?
Bachir Draïss : Il ne s’agit pas de faire des lois. Je suis anticonformiste et ne crois pas trop aux lois. Je pense que le problème du cinéma est celui du financement et de la liberté. Il faut laisser les gens travailler et donner plus d’argent. Si on a envie que le cinéma se relance et se développe, il faut mettre les moyens et élaborer une politique franche et volontaire. Il faut savoir que pour faire un film, on a besoin d’environ dix milliards de centimes. Le FDATIC et la télévision réunis donnent actuellement 2, 5 milliards de centimes. Vous voyez que l’équation est presque impossible. Les cinéastes sont obligés de galérer pour trouver le montant qui manque. Pour relancer le cinéma, qui est un art de liberté et de création, mais qui aussi une industrie, il faut mettre des mécanismes pour l’instauration d’un marché. Ce qui n’existe pas en Algérie. On n’a pas de marché. Quand on produit un film, on ne peut pas le vendre, on ne peut pas le diffuser hormis dans quelques salles. Quant au DVD, avec le piratage, c’est quasiment impossible. Il faut dire ce qui en est, et j’assume mes propos. La vérité est que nous n’avons pas de cinéma. Il y a des films par ci par là, mais cela demeure le fruit de coproductions franco-algériennes. Il n’y pas de films algériens à proprement parler. Cela fait très longtemps que nous n’avons pas produit de films à 100 % algérien. Aujourd’hui, on ne peut pas réaliser des films algériens avec de l’argent algérien.
Si je comprends bien, vous ne croyez pas qu’il puisse y avoir une relance du cinéma algérien ?
Si, mais pas dans l’immédiat, car l’environnement n’existe pas pour favoriser cette relance. Le cinéma est dans un état de léthargie depuis plus de vingt ans. On ne voit plus de nouveaux films algériens à la télé. Beaucoup de salles de cinéma ont été fermées, et l’argent débloqué pour les films est insuffisant. C’est à tout cela qu’il faut remédier, mais cela prendra, à mon avis, beaucoup de temps. On sera encore obligé de recourir au système D pour produire un film. C’est une perte de temps et d’énergie considérables.
La formation des scénaristes est totalement négligée alors qu’un bon film, c’est d’abord une belle histoire, bien structurée, écrite selon des techniques déterminées, en somme le socle. Pourquoi le métier de scénariste n’est-il pas pris en charge ?
Effectivement ! Le problème du scénario se pose avec acuité, il est impératif de former dans ce métier qui reste très négligé par l’Etat. Comme vous le dites, ça reste la charpente d’un bon film, et il est vrai que sans un bon scénario, on ne peut prétendre à faire un bon film. Beaucoup de réalisateurs algériens écrivent euxmêmes leur scénarios. Le scénariste est un métier à part entière. Aux Etats-Unis, par exemple, il y a peu de réalisateurs qui écrivent des scénarios où peuvent écrire une histoire ; ils font appel à des scénaristes pour mettre en place la structure. Le scénariste est d’abord un créatif, il doit avoir un don et du talent, mais une formation est nécessaire dans les techniques de l’écriture audiovisuelle. Mais pour que ce métier puisse s’épanouir, il faut injecter de l’argent. Il faut signaler qu’on est le seul pays qui n’accorde pas d’aide à l’écriture et où il n y a pas de résidence pour l’écriture, alors que c’est le seul moyen à même de garantir un intérêt pour cette profession. Il y a sûrement des auteurs qui écrivent bien, mais ils ont besoin d’être encouragés et soutenus financièrement.
Vous avez produit plusieurs films. Comment arrivez-vous à trouver les financements ?
On galère ! Tout ce que j’ai fait au jour d’aujourd’hui, c’est surtout des co-productions, on cherche l’argent ici et là, mais c’est très difficile, et souvent, on n’arrive pas à les vendre.
Et que pensez-vous des films dont l’appartenance est attribuée à l’Algérie alors qu’en réalité elle ne l’est pas ?
C’est un autre problème. On dit voilà on a un cinéma, alors qu’il n’en est rien. Prenant le cas du film «Hors la loi» de Rachid Bouchareb, il est vrai qu’il raconte une histoire sur l’Algérie, mais cela reste un film français parce que la partie française y est très majoritaire; les acteurs sont des Français et les techniciens sont aussi français. A part le sujet, rien n’est algérien. L’Algérie a contribué à son financement, mais qu’a-t-elle gagné ? Rien ! Les acteurs algériens n’ont pas joué dans ce film et nos techniciens n’y ont pas participé. Ce que je ne comprends pas, c’est le fait que l’Algérie donne de l’argent sans exiger une contrepartie, à savoir prendre des stagiaires dans ces films, pour qu’il ait une formation de terrain. Cela reste une aberration. On vient en Algérie, on prend l’argent pour faire des films et on s’en va : c’est inadmissible ! Bouchareb a pris l’un des plus grands techniciens français, les autorités algériennes auraient pu exiger de la production qui a géré ce film de prendre des stagiaires algériens pour les former sur le tas. Idem pour le film d’Albert Camus. C’est cet amateurisme que je dénonce. Il y a aussi des pseudo-producteurs et pseudo-réalisateurs qui parasitent le paysage audiovisuel, qui créent des boites de production pour prendre l’argent et faire des films d’amateurs. Vous n’avez qu’à voir la médiocrité de l’ENTV.
Quels sont vos projets ?
On essaie de préparer pour Cannes 2012 le film du réalisateur d’Alexandre Arcady, adapté du roman «Ce que le jour doit à la nuit» de Yasmine Khadra. Il y a aussi un biopic sur le chanteur Matoub Lounès et un autre sur le symbole de la révolution algérienne : Larbi Ben M’hidi.
Prp. Fatma Haouar