CINEMA 98 A 2013
Cinéma 2012
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Dark Shadows (1/2)
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Paranorman
de Chris Butler et Sam Fell
Mettons de côté les points de polémique : oui, Paranorman rappelle par moments beaucoup Les Noces Funèbres et Coraline. Faisons simple, le film est supérieur à celui de Tim Burton et n’égale pas celui d’Henry Selick. Voilà. Très référentielle mais aussi très accessible, l’œuvre prend le meilleur de la culture horrifique et en tire un récit simple et efficace, bourré de nuances. Des poursuites, des gags, de bons sentiments et un final impressionnant, il y a tout ce qu'il faut là où il le faut. Ce qui élève le film au-dessus de la concurrence c’est la technique. Mélange de stop-motion et d’images de synthèse, le visuel est parfois proche du sublime. De surcroît, à une époque où les musiques de blockbuster s’avèrent interchangeables, la partition de Jon Brion a une vraie classe à l’ancienne. 2012 fut décidément une excellente année pour l’animation. |
Into The Abyss
de Werner Herzog
Werner Herzog est un réalisateur de génie. Un réalisateur de documentaires de génie. Après tout, Aguirre, Cœur de Verre etFitzcarraldo étaient des témoignages de tournages hors du commun et s’apparentaient davantage à des documentaires qu’à des films de fiction soigneusement construits. Into The Abyss n’a aucune prétention au mensonge mais il raconte une histoire, et même des histoires, comme rarement. Herzog part d’un sujet classique (la peine de mort aux USA), remonte le long du fait divers d’origine, interroge les principaux protagonistes, puis prend les chemins de traverse. Il s’arrête auprès de personnages secondaires, fait durer les séquences, revient sur ses pas, jette le trouble, puis le balaie avant de brouiller à nouveau les cartes. Les portraits ainsi tracés se révèlent complexes et passionnants, ou tout simplement humains, avec leurs défauts et leurs contradictions. Unique. |
La Colline aux Coquelicots
de Goro Miyazaki
Après des débuts ratés en imitation de son fameux paternel (les Contes de Terremer), Goro Miyazaki s’aventure dans la veine réaliste du studio Ghibli. Bien lui en a pris, tant il semble à son aise avec ce joli mélo dans la plus pure tradition. C’est du Ozu burlesque, une antinomie qui ferait cohabiter le sens du quotidien du maître japonais et la dynamique Ghibliesque. Oui, c’est très classique à tous les niveaux, l’histoire, les personnages, le dessin, tout est familier, mais exécuté avec un tel soin, un tel amour, une vraie douceur. Un peu comme Arrietty l’année dernière, certains reprocheront à La Colline aux Coquelicots de ne pas être assez surprenant, ou, du moins, ne pas être assez spectaculaire. C’est nier tout un pan du cinéma d’animation nippon. Des films discrets mais magiques, des œuvres qui ne révolutionnent rien mais qui impressionnent presque autant. La Colline aux Coquelicots en fait partie. |
Les Bêtes du Sud Sauvage
de Benh Zeitlin
C’est une œuvre animale et sensorielle, un conte situé dans une Cour des Miracles à la taille du Bayou. La plus grande des misères vue à hauteur d’enfant, où survivre se fait à coups de dents et de cris. Les bêtes du titre sont tout autant les métaphoriques aurochs que les protagonistes humains. Mais, derrière la sauvagerie, la dignité et la tendresse ne sont jamais loin. C’est le pendant américain et enfantin du Himizu de Sono Sion. La version mignonne du chef-d’œuvre du réalisateur japonais. Exister après le déluge, reconstruire un petit bout de chez-soi, libre de tout, c’est un combat de chaque instant et dès le plus jeune âge. Presque écrasé par son marketing conquérant,Les Bêtes du Sud Sauvage demeure inattaquables sur deux points : une mise en scène qui se love dans la tendance actuelle du « Terrence Malick light » et une interprétation grandiose. Rien que pour cela, ainsi que pour une belle histoire qui évite largement l’écueil du larmoyant, il s’agit d’un des grands films de 2012. |
Le Hobbit : Un Voyage Inattendu
de Peter Jackson
Cette première partie de la nouvelle trilogie du Hobbit n’a finalement qu’un seul défaut : arriver après le Seigneur des Anneaux. Ce qui donne un imbroglio difficile à exposer en quelques mots. Attendez, je vais essayer. Bilbo a été écrit par Tolkien avant le Seigneur des Anneaux. C’en est une introduction, tout en étant indépendant, et comme un adendum pour les enfants pas encore en âge de s’attaquer aux 1500 pages des aventures de Frodo. Mais, difficile de comprendre le SdA sans passer par Bilbo. En film, l’introduction arrive une décennie plus tard. Et se révèle étirée sur trois films pour un ouvrage cinq fois moins long. Bon. Vous suivez toujours ? Cela va se compliquer. Logiquement, les deux opus partagent beaucoup de personnages, de lieux, et d’enjeux communs. A la base, Peter Jackson, pas particulièrement fan de Tolkien et surtout pas fan du tout des nains (ici les héros) ne voulait pas s’occuper du Hobbit, tâche qui devait échouer au presque aussi talentueux Guillermo Del Toro. Je vous passe le bordel de la pré-production, finalement c’est Jackson qui écope. Ne vous inquiétez pas, il fait le boulot au mieux tout en se reposant énormément sur la nostalgie et un copieux « fan-service ». Si on n’aime pas son Seigneur des Anneaux, pas la peine de mettre les pieds au cinéma. Pour les autres, difficile de bouder son plaisir.
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Frankenweenie 2012
de Tim Burton
Frankenweenie version 2012 est probablement le film le plus confortable de Tim Burton. Une vieille paire de pantoufles. Oui. Confortable pour le spectateur, ici en terrain familier du début à la fin. Et surtout confortable pour le réalisateur qui se contente de rejouer aux deux tiers son moyen-métrage du même nom avec des marionnettes. Le dernier tiers, de loin le plus intéressant, n’est pourtant qu’un énième hommage aux films adorés par l’auteur. En clair on se reprend la sempiternelle gamelle de monstres Universal, de Godzilla (ici remplacé par sa rivale de toujours la tortueGamera), de Vincent Price (en prof de sciences naturelles) et même, plus surprenant, de Gremlins. C’est une auberge espagnole du cinéma fantastique dans laquelle on s’installe en ayant ses petites habitudes. Patron ! Ressers-nous la même chose !
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Skyfall
de Sam Mendes
En 50 ans on pensait avoir fait le tour de la franchise James Bond. Après l’heure de gloire des bienheureuses 60’s, la parodie des 70’s, la traversée du désert des 80’s, et les résurrections à répétition des 90’s et 2000’s, il ne restait plus grand-chose. Les très bons films remontaient au début : l’Hitchcockien Bons Baisers de Russie, le fondateur Goldfinger, le spectaculaire Opération Tonnerre et l’atypique Au Service Secret de sa Majesté. Ensuite les épisodes à peu près corrects se sont éparpillés et noyés dans la soupe (L’Espion qui m’aimait, GoldenEye, Casino Royale). Face à la concurrence toujours plus virulente de sagas plus dynamiques (Jason Bourne, Mission Impossible), ce bon vieux 007 ne semblait plus avoir de munition dans son Walther PPK.
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Moonrise Kingdom
de Wes Anderson
Ce n’est pas un mystère pour les habitués de ce site, je ne fais pas partie des innombrables fans transis de Wes Anderson. Son cinéma de petit poseur distancié m’a souvent laissé de marbre. On jurerait que l’expression « c’est beau comme une crèche » a été inventée pour lui. Accessoiriste avant d’être narrateur, Anderson fignole des odes au bon goût en oubliant bien souvent de créer de l’empathie pour son univers et surtout ses personnages. La révélation futFantastic Mr Fox : Wes Anderson est un marionnettiste. Et c’est surtout un grand créateur de films… pour enfants. Preuve flagrante avec ce qui est peut-être sa plus belle réussite à ce jour, Moonrise Kingdom. Un vrai film de mômes, une sorte de Goonies subtil et attachant, avec de jolis bouts de drame adulte dedans.
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Rebelle
de Mark Andrews et Brenda Chapman
Oh chouette, après le « Tim Burton bashing », voici venu le temps, petits et grands, du « Pixar bashing ». Moment prévisible dont j’envisageais l’arrivée il y a de cela déjà bien des années (à l’époque des Indestructibles). Le bon gros retour du bâton dans la gueule de ce qu’on a porté aux nues. Un panurgisme classique qui voit la meute se jeter sur le héros d’hier. C’est inévitable, car je posais la question au moment du Monde de Némo : comment ces gens parviendront-ils à faire toujours mieux ? Réponse : ils ne le pourront pas. Pixar ne pouvait qu’atteindre un sommet (que je situe personnellement avec Wall-E), rester quelques temps dans les mêmes hauteurs et faire une prudente retraite en quête de renouvellement. Très symboliquement c’est avec Toy Story 3 que Pixar a bouclé son premier âge d’or. Si Cars 2, sympathique suite au demeurant, était surtout un gros plaisir pour John Lasseter et un bon moyen de faire rentrer des deniers à coups de produits dérivés,Rebelle est un peu le premier vrai projet du Pixar revenu dans le girond de Disney. Il n’en fallait pas plus pour déclencher l’ire de certains.
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Himizu
de Sono Sion
Si 2011 avait été placée sous le signe de la fin du monde, Sono Sion est déjà dans l’après. Himizu se situe dans un Japon quasi post-apocalyptique où les conséquences du tsunami et de Fukushima s’avèrent encore plus catastrophiques. La société tente tant bien que mal de faire comme de rien n’était, mais les plaies sont béantes. Criminalité, précarité, désagrégation des familles, perte des repères, tout est précipité et exagéré. Du pain bénît pour le réalisateur dont la passion est de gratter le fond de teint pour faire apparaître les cicatrices. Ici, les parents regrettent que leurs enfants ne soient pas morts, la violence déborde en torrents absurdes, car personne ne sait plus qui il est, l'avenir n'est qu'une illusion, toutes les valeurs sont inversées. S’accrocher à un rêve, à quelques principes chancelants, est-ce suffisant pour survivre ? D’une richesse thématique étourdissante, Himizu est aussi l’une des œuvres les plus courtes de son auteur (à peine 2h10) et file à toute vitesse, quitte à délaisser parfois ses personnages secondaires. Mais une telle abondance est indissociable du style de Sono Sion qui étreint le cinéma avec la même intensité qu’il réclame à ses comédiens.
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Ame & Yuki, Les Enfants Loups
de Mamoru Hosoda
Les temps sont durs pour l’animation japonaise. Satoshi Kon n’est plus, Miyazaki père est en pré-retraite, Takahata se fait attendre,Oshii patine, Otomo a disparu des radars. Dans ce contexte délicat, le spectateur occidental se réjouit déjà de voir encore quelques longs-métrages exploités dans nos salles obscures. Leur présence suffit à obtenir notre bienveillance. On apprend à se contenter de moins, mais pas de peu ; car l’excellence d’Arietty et de La Colline aux Coquelicots, sans atteindre les chefs-d’œuvre d’antan, demeure fort plaisante. L’écurie Ghibli domine toujours les débats, avec une qualité constante et un savoir-faire délicat. Seul contre-point ces dernières années, la montée en puissance de Mamoru Hosoda, sacré nouvel espoir.
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DTVIl y a les films qui sortent directement en vidéo sans passer par la case cinéma et c’est un scandale (The Fall, Room in Rome, The Woman…) et il y a ceux pour lesquels, dans l’absolu c’est toujours dommage, mais bon, finalement, pas si grave. Deux exemples.
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The Dark Knight Rises
de Christopher Nolan
Christopher Nolan boucle son histoire de Batman avec un nouveau chapitre très ambitieux, qui navigue sur les mêmes qualités et les mêmes défauts que les deux précédents opus. Point faible habituel des films de Nolan, les personnages féminins sont particulièrement ratés dans The Dark Knight Rises. Si Anne Hathaway est très bien en Selina Kyle, elle est desservie par une histoire qui la relègue constamment au rang de figurante. Son costume, sans aucune personnalité, réduit considérablement le charisme de la femme chat, qui n’est d’ailleurs pas une seule fois nommée Catwoman. L’auteur va même encore plus loin en éliminant purement et simplement toute présence féline. Pas un chat, c’est le cas de le dire, même dans l’appartement de Selina. Pas de fouet, pas de lunettes colorées comme dans le design actuel du personnage et surtout rien de bien sexy. Le contresens total qui souligne l’absence de fantaisie et de poésie de cet univers. Hathaway en est donc réduite à lever la patte pour donner un peu de mordant au rôle. Bien plus grave, la présence de Marion Cotillard, qui incarne laborieusement une intrigante sans envergure, écrite à la truelle. Une trahison supplémentaire vis-à-vis de certaines des meilleures pages des Comics.
Lectures indispensable pour savoir d'où Nolan a tiré ses meilleures scènes :
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Prometheus
de Ridley Scott
Attention cette critique comporte des révélations sur le film Nouvelle victime du syndrome de la préquelle ou de la suite tardive,Prometheus allonge la liste après une nouvelle trilogie Star Wars de sinistre mémoire et autres The Thing et Indiana Jones IV très discutables. Avec le retour de Ridley Scott derrière la caméra, on pouvait espérer davantage qu’une coda inutile. Le savoir-faire du réalisateur est bien là, les images sont généralement belles, la forme tout à fait correcte et parfois impressionnante. Mais Prometheus n’a rien à raconter. Ni histoire à faire découvrir, ni, encore pire, de personnages à développer. En l’état c’est une luxueuse coquille vide, qui traîne en longueur sans jamais prendre son essor. Symboliquement collés au sol, les protagonistes font des allers-retours entre leur petit vaisseau et les éternels couloirs mécanico-organiques d’Alien.
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Cosmopolis
de David Cronenberg
Le monde comme chaos organisé. Comme chaos mathématisé, chronométré, bien coiffé et bien habillé. Entièrement symbolisé par une Limousine hi-tech dans laquelle circulent les spectres du capitalisme. Absurdité d’un monde qui se croit à l’abri de lui-même. A l’abri de son chaos originel. Dans le confort d’une matrice protectrice où tout serait sous contrôle : les possessions, les désirs, les sentiments, le corps lui-même. Mais nous sommes chez David Cronenberg et rien n’arrête les névroses et le triomphe de la Chair.
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Avengers
de Joss Whedon
Il y a différentes manières d’aborder le film de super-héros : le réalisme, le cartoon, le premier degré, le second, le trente-sixième… On peut vouloir retrouver la fantaisie et la légèreté du Golden Age ou ne miser que sur le sérieux et la noirceur qui ont envahi le genre dans les années 80. Tout est possible et dans l’absolu aucune de ces approches n’est meilleure qu’une autre. A trop vouloir jouer le tragique on s’expose au même ridicule qu’à viser la parodie. Dire qu’on n’attendait pas grand-chose des Avengers est un euphémisme. Marvel s’était employé à nous amener à ce grand Barnum au fil d’œuvres médiocres (au mieux), voir pour cela mon petit bilan au sein de la critique de Thor. Heureusement, le tout est supérieur à la somme des parties.
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Dark Shadows
de Tim Burton
(1/2)
C’est l’histoire d’une rencontre évidente : celle de Tim Burton et d’un vampire. C’est aussi l’histoire d’un manoir gothique et d’une sorcière. Tout est normal. Mais c’est aussi l’histoire d’une ado bourrue, d’un gamin orphelin, d’une matriarche digne, d’une psy alcoolique, des années 1970, de l'explosion des familles et d’une obsession sexuelle dévorante. On y entend Curtis Mayfield et les Carpenters, le sang y coule à flot, ainsi que les gags triviaux. Au milieu, il y a un concert d’Alice Cooper. Violence, amour, monstres et petites culottes. Ce n’est pas le nouveau Sono Sion, c’est Dark Shadows, adaptation d’une série télévisée mineure. Aujourd’hui, c’est un film majeur et l’une des plus belles œuvres de Tim Burton.
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Guilty of Romance
de Sono Sion
Sono Sion est le cinéaste du point limite. Point limite de l’être humain, mais aussi du cinéma. Il ne cesse de tirer ses personnages, ses histoires et son style vers la rupture. Jusqu’où peut-on pousser un homme ?, c’était l'accroche de Cold Fish, son drame psychologique ultra gore. C’est à nouveau le thème principal deGuilty of Romance, appliqué à deux personnages féminins au bord de l’effondrement. Moins fou que son chef-d’œuvre Love Exposureet moins éprouvant que Cold Fish, ce nouvel opus n’en demeure pas moins extrême et indisposera plus d’un spectateur. A l’instar d’un Quentin Tarantino ou d'un Takeshi Miike, Sion mêle virtuosité et philosophie avec une vraie gourmandise de cinéma d’exploitation. A chacun d’apprécier cette insistance, en la jugeant complaisante ou viscérale. Mais, contrairement à des petits rigolos tels que Lars Von Trier ou Michael Haneke, Sono Sion ne cherche jamais à habiller ses œuvres sous les oripeaux de l’intellectualisme ou de « l’Art ». Ses films demeurent ambitieux, caviardés de tours de force et de performances d’acteurs mémorables, mais leur aspect iconoclaste et leur lyrisme brutal finissent par tout emporter dans un premier degré qui retourne, parfois littéralement, l’estomac.
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Blanche Neige
de Tarsem Singh
Qui mieux que Tarsem Singh pour redonner des couleurs à Blanche Neige ? Le terrain de jeu s’avère idéal pour un réalisateur passionné par le dynamitage des codes des mythes. Et, bien sûr, voilà une nouvelle occasion de laisser aller sa passion débridée pour la flamboyance visuelle. Sur ce point, son Blanche Neige est une splendeur, un rêve de direction artistique totalement libre. Tarsem sait ce que signifie le terme fantaisie et vogue dans un XVIIIe siècle fantasmé où tous les excès sont permis. Les costumes s’épanchent comme des personnages à part entière, les décors resplendissent de détails et la caméra y navigue avec gourmandise. Comme à son habitude, le réalisateur construit son œuvre telle un ballet ou un opéra. Pour Les Immortels on flirtait avec Wagner, ici rendez-vous chez Tchaïkovski et Offenbach.
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Mini-critiques
L’homme face à la nature, l’homme face à la mort, le programme simple d’un survival décharné qui ne s’embarrasse d’aucune digression. Dans un monde sans dieu, les héros sont absolument seuls face à la sauvagerie. Survivre, oui, jusqu’au tout dernier souffle, jusqu’à la dernière seconde, ne rien lâcher. C’est là toute la grandeur d’un récit d’aventure à l'ancienne, éprouvant mais jamais désespéré. La mise en scène de Carnahan joue brillamment du hors-champ et crée une angoisse omniprésente. Des limites du cadre peut surgir un loup à tout moment, menace quasi métaphysique qui entraîne The Grey (titre original plus évocateur) vers les frontières du fantastique. C’est un film d’hommes, bourru et fleur bleue à la fois, qui ne cède presque jamais aux facilités hollywoodiennes. Certes Liam Neeson, dans une performance idéale, rêve de son ex-femme, mais c'est la petite fêlure qui raye la parfaite armure. Le Territoire des Loups est une réussite inespérée et surtout une œuvre magnifique sur la volonté de vivre.
C’est bien normal que tous les pays du monde rêvent d’avoir leur Dark Water. Après tout, le film de Nakata reste une référence en matière de fantastique psychologique au quotidien. Babycall cherche néanmoins à s’éloigner de l’ombre tutélaire en collant au plus près de l’esprit dérangé de son héroïne. Quitte à mentir totalement au spectateur en lui montrant tout et son contraire. Le procédé est très discutable car il permet de balayer d’un revers de la main toute tentative de cohérence. Le twist est prévisible dès les premières scènes, mais le film veut nous brouiller les pistes sans jamais vraiment y parvenir. Le réalisateur choisit alors de tout faire reposer sur les épaules de sa talentueuse actrice. Un choix compréhensible, même si Noomi Rapace ne semble pas encore revenue deMillenium. Reste un petit thriller sympathique avec quelques scènes prenantes, mais fort insignifiant au final.
Au milieu, il y a London Calling de The Clash et sur le générique de fin il y a Allright de Supergrass. C’est donc un très bon film. C’est surtout le nouveau bébé du studio Aardman, le seul sérieux concurrent à la domination de Pixar sur le divertissement familial mondial. C’est moins bien qu’un long Wallace et Gromit, mais tout aussi savoureux que Chicken Run. Et quitte à ne retenir qu’un aspect, chantons à nouveau les louanges des détails. Des anachronismes dans les coins, des tableaux détournés, des enseignes calembours, des petits trucs qu’on ne perçoit que du coin de l’œil et qui tirent parfois ces Pirates vers le génie (« And a free pen ! »). Oui, le déroulement est classique, relativement prévisible et il n’y a pas de surenchère dans la frénésie. C’est juste peaufiné avec une telle générosité et doublé avec une telle classe (de Hugh Grant à David Tennant en passant par Martin Freeman) que s’en priver s’avère criminel.
Une pure œuvre de formaliste, maniérée jusque dans ses moindres recoins. Ceux qui se sont extasiés avecDrive risquent de faire une rupture d’anévrisme devant Confessions. Des ralentis partout, tous les plans retouchés informatiquement comme dans Les Trois Singes de Ceylan, une bande-son hypnotique à base de Boris et de Radiohead, le film veut nous épater. Par son esthétique, tout autant que par son scénario et sa construction complexe et vicieuse. En creux, c'est un portrait classique de la jeunesse japonaise, forcément paumée, et peu avare en scènes chocs. On ne peut nier la puissance de certaines images et la virulence de la démonstration. C’est probablement trop, à tous les niveaux, mais cela suscite sans cesse l’intérêt, même dans une deuxième partie un peu longuette. En tout cas, le film ressemble vraiment à du cinéma, et ça fait du bien.
Une grande comédie du verbe, heureuse de sa trivialité, ravie de son nombrilisme, quelque part entre du Woody Allen pouêt-pouêt et du Desplechin pipi-caca. Débarrassée des questions métaphysiques, Julie Delpy s’éclate en chargeant la barque de la beauferie française. Cela devrait être lourd, ça l'est parfois, mais l’avalanche non-stop de piques et de gags convainc par la seule force de son énergie dévastatrice. Tout ne s'avère pas drôle, mais quand ça l’est, c’est énorme (le dîner en famille au milieu du métrage crée un long fou-rire de 10 minutes). Amusant.
Y a-t-il des limites aux invraisemblances dans un film ? Cela dépend, bien sûr, du genre, de l’atmosphère, du style du réalisateur. On ne demande pas la même chose à Tarsem ou à Robert Bresson. Dans le cas de Malveillance, Jaume Balaguero essaie de ciseler un thriller relativement réaliste et particulièrement cruel. Malheureusement, dès la première scène, la crédibilité est totalement piétinée. Chaque séquence du film présente une énormité, plus ou moins frappante, qui empêche toute implication. Par ailleurs, la méchanceté absolue de l’histoire et de son personnage principal en réjouira certains, tout en laissant les autres relativement perplexes. |
Les Hauts de Hurlevent
de Andrea Arnold
Je voue un amour sans borne aux Hauts de Hurlevent. A mon sens, aucune adaptation cinématographique ne peut approcher la force du texte d’Emily Brontë. Aussi estimables qu’elles soient, les versions de Wyler et de Buñuel ne font qu’effleurer l’essence du livre. On était en droit d’attendre beaucoup d’Andrea Arnold, qui, de Red Road à Fish Tank, trace l’une des filmographies les plus passionnantes de cette dernière décennie. La réalisatrice a choisi une approche similaire à celle de Kelly Reichardt pour La Dernière Piste : format 1.33 :1, approche réaliste, économie des paroles. La lecture sensualiste de l’œuvre se révèle la plus pertinente, remplaçant les descriptions écrites par les images. La nature, ou plutôt la Nature, se révèle le moteur et le liant de l’histoire. Les protagonistes ne sont qu’un maillon d’un cycle qui les dépasse. Violence des sentiments et violence des éléments, une brutalité qui ne connaît ni le bien, ni le mal et qui était le cœur du roman. Aucun manichéisme mais un romantisme terminal filmé avec une âpreté qui déstabilisera ceux qui s’attendent à un énième drame en costumes.
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Cheval de Guerre
de Steven Spielberg
Il est toujours bon de le rappeler, si Steven Spielberg a presque à lui seul donné naissance à la domination des blockbusters contemporains, son regard est sans cesse tourné vers le passé glorieux d’Hollywood. Un rêve de l’âge d’or qui se nourrit aussi bien des comédies à la Lubitsch que des fresques à la John Ford ou à laDavid Lean. D’où la filiation naturelle de Cheval de Guerre avec les spectacles d’autrefois. C’est un film d’une grande pureté, d’une grande simplicité, sans que cela soit péjoratif. C’est aussi une vraie œuvre tout public, avec juste le bon dosage de drame et de violence pour marquer les jeunes esprits sans tomber dans la complaisance.Cheval de Guerre allie la force du récit d’apprentissage (avec un héros animal) et l’évidence d’une mise en scène qui atteint la perfection. Les chantres de l’originalité à tout prix, les réfractaires au classicisme, peuvent hurler en cœur, le vrai film de cinéma est ici.
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Hunger Games
de Gary Ross
Cela fait bien longtemps que le cinéma Hollywoodien a compris que les adolescents formaient la grande majorité de son public. Des adolescents réels (disons entre 12 et 18 ans) et des « adulescents » qui ont logiquement engendré les blockbusters actuels. De Harry Potter à Twilight en passant par mille et un super héros, le président ce n’est peut-être pas bébé, mais on y arrive doucement. Bien sûr, au milieu de l’infantilisation générale surnagent des œuvres de qualité, mais qu’il est frustrant de voir l’ébauche de grands films courir après le cahier des charges. Nouvel exemple avec Hunger Games, début de l’adaptation d’une trilogie de best-seller pour ados.
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Kill List
de Ben Wheatley
Rien n’est plus casse-gueule que l’œuvre métaphorique. Rien de pire que l’artiste qui se croit subtil et ne fait qu’enfiler les clichés à coups de symboles grossiers (exemples récents ici et là). Avec Kill List, le réalisateur britannique Ben Wheatley prend le problème à bras-le-corps et offre une œuvre quasi expérimentale, assez proche des essais les plus originaux des années 60 et 70. Pour assurer son propos, l’auteur fait mine de s’installer confortablement dans deux des genres les plus classiques du cinéma anglais : le film social et le polar grinçant. Deux tueurs à gages prolétaires avec leurs problèmes familiaux et financiers qui se lancent dans un dernier contrat ? Vous connaissez l’histoire par cœur, vous l’avez vue cent fois.
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John Carter
de Andrew Stanton
C’est l’histoire originelle, du moins en partie. Après tout, on pourra toujours revenir en arrière, loin, très loin, on finira probablement par atterrir chez Homère. Mais pour ce qui est de nos mythes modernes,le Cycle de Mars d’Edgar Rice Burroughs a fait beaucoup. Pour ceux qui diront : « mais John Carter ça ressemble trop à Star Wars, vilain copieur », c’est en fait l’inverse. C’est Star Wars qui ressemble à John Carter. Et double gifle à la face barbue de George Lucas, en un seul film nous voilà vengés de l’affreuse prélogie, douloureuse épine dans le pied des fans de Luke Skywalker. Balayée La Menace Fantôme, humiliée L’Attaque des Clones, ventilée La Revanche des Siths, John Carter est arrivé avec sa mythologie en or et sa splendeur visuelle.
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Martha Marcy May Marlene
de Sean Durkin
Les pires monstres sont ceux à visage humain. Et les films d’horreur les plus terrifiants se peignent aux couleurs ternes du quotidien. Sujet qui dépasse le cadre des reportages sensationnalistes, l’influence des sectes n’est que peu traitée au cinéma. Avant le très attendu The Master de Paul Thomas Anderson, Martha Marcy May Marlene aborde le thème avec toute la subtilité et le courage nécessaires. C’est avant tout une œuvre sur les conséquences, sur la lutte face à la torture psychologique, sur la reconquête d’une âme. Un combat complexe, qui plonge au cœur des méthodes de manipulation des esprits. A la démonstration édifiante, le premier film de Sean Durkin préfère les non-dits et le hors champ. Bien sûr, il y a quelques scènes chocs, mises en scène comme des réminiscences cauchemardesques. Mais l’essentiel se situe dans ce qui est laissé à l’imagination du spectateur. Les plus angoissants films d’horreur sont ceux qui ne montrent pas.
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The Muppets
de James Bobin
Autre genre sinistré : les films de réunion. Vous savez, Les Bronzés 3, Indiana Jones 4, Le Gendarme en Balade, Le Retour des Mousquetaires… Et si on reformait la vieille équipe ? Pas une bonne idée. Sauf pour les fans, et encore. Pour réussir un film de retrouvailles, il faut vraiment compter sur l’attachement du public aux personnages, mais pas seulement. Dans le cas des Muppets, atout de taille, les héros n’ont pas pris une ride, et leur confrontation avec le monde contemporain ne pose guère de problème. Ils se sont séparés, le public les a oubliés, mais ce n’est pas si grave. Reformer le groupe et reconquérir le cœur des gens ne prendra finalement que quelques heures. Même les nouveaux arrivants (deux humains et un muppet) seront vite relégués au rang de figurants pour mieux laisser la vieille équipe faire ses numéros. Les années 70, aujourd’hui, comme si c’était hier.
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Chronicle
de Josh Trank
Encore un film de super-héros ? Encore un film d’origines ? J’ai passé l’année 2011 à répéter que l’overdose était atteinte depuis longtemps. Alors pourquoi de l’indulgence pour Chronicle ? Parce que ce blockbuster miniature cherche et trouve les chemins de traverse, comme Incassable en son temps. Revenir à l’intime et au réalisme pour mieux faire croire à l’extraordinaire. DepuisCloverfield, auquel on pense beaucoup, on n’avait pas vu faux film amateur aussi malin et réussi. Plus finement que dans la production d’Abrams, Josh Trank se joue quasi immédiatement de son dispositif en n’essayant jamais de duper le spectateur. C’est du cinéma, du vrai. Par tous les moyens à sa disposition, le réalisateur recrée la mise en scène, réinventant les travelings et autres plongées à coups de pouvoirs télékinésiques. C’est malin, cela pourrait être exaspérant, cela fonctionne à merveille. Tout comme les trois ados de l’histoire découvrent et abusent de leur puissance, le film se déploie et explose ses limites visuelles. Jusqu’à un final qui rend directement et intelligemment hommage à Akira.
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Millenium : Les Hommes qui n'aimaient pas les Femmes
de David Fincher
Millenium. Encore. On va faire simple : si vous avez vu la version suédoise, passez votre chemin. Le nom de David Fincher a beau être mis en avant, la valeur ajoutée de cette relecture est proche du néant. Certes la mise en scène est plus travaillée, mais Rooney Mara n’atteint pas la cheville de Noomi Rapace dans le rôle de Lisbeth Salander. Un partout, la balle au centre. Et surtout, surtout, c’est toujours Millenium, quoi. Même si ce premier volet est de loin le plus intéressant (les deux suivants sont des parpaings inutiles), il s’agit d’une enquête arthritique, dont on voit venir les rebondissements dès les premières minutes. Difficile alors de faire reposer plus de 2h30 sur deux héros pas très palpitants. Lisbeth est un cliché gothico-punk féministe qui franchit souvent les limites en matière de caricature. Ecrite et mise en scène par des mecs, elle passe son temps à alimenter la machine à fantasmes trash. Encore plus complaisants que dans le film suédois, son viol et sa vengeance s’avèrent sursignifiants. Ici, rien n’est épargné, pas d’ellipse, on veut du viscéral. Mais pas trop non plus.
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Take Shelter
de Jeff Nichols
Quand on vous dit de rester jusqu’à la fin du film ! Non, mais c’est vrai. Une œuvre mineure peut être transcendée par une conclusion exceptionnelle. Et un bon film peut s’effondrer dans ses cinq dernières minutes. Cas d’école avec Take Shelter, belle description d’un esprit malade sauvé par le soutien irrépressible de sa famille. Métaphore pas vraiment subtile des Etats-Unis dévorés par la paranoïa et les prophéties apocalyptiques ? Certes. Mais la grâce (Jessica Chastain, encore) et la raison peuvent aider même les êtres les plus en proie au chaos. Pendant presque deux heures, on assiste à un drame psychologique imparfait mais attachant, porté par des performances d’acteurs des plus honorable. Puis, c’est la catastrophe.
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Tucker & Dale Fightent Evil
de Eli Craig
Le slasher est un genre moribond. Il a été retourné dans tous les sens depuis le début des années 70. Il est passé par les chefs-d’œuvre (Massacre à la Tronçonneuse, Halloween), par les nanars (Vendredi 13 & co), par les parodies (Scream) jusqu’au point limite qu’est la mise en abyme de The Devil’s Rejects. Le vrai problème étant de savoir comment continuer à raconter des histoires d’ados débiles se faisant trucider par des tueurs sadiques et dégénérés. Hollywood ne se pose pas vraiment la question, produisant des remakes à la pelle, tous plus minables les uns que les autres (le fond étant touché par le Vendredi 13 torché par l’impayable Marcus Nispel).
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La Taupe
de Tomas Alfredson
Le premier grand film de l’année 2012 ne paye pas de mine. D’ailleurs, techniquement parlant, c’est encore un grand film de 2011, qui a culminé tout en haut des classements de la presse outre-Manche. Pas de quoi s’enthousiasmer cependant pour une adaptation de John Le Carré, loin d’être l’écrivain le plus passionnant du siècle dernier. Mais ses trames d’espionnage ont tout pour être de parfaites matrices de suspense cinématographique hors pair. Du moment que l’élément essentiel, la mise en scène, est à la hauteur. Miracle, donc, puisque La Taupe bénéficie de l’immense talent de Tomas Alfredson, remarqué pour le film de vampires le plus réussi de ces dernières années : Let The Right One In. Plus mobile, plus nerveuse, sa réalisation n’en perd pas pour autant ses fondamentaux : un sens renversant du cadre, une lisibilité apaisante, un montage exemplaire, le bon choix pour la bonne idée. Il en découle un chef-d’œuvre de mise en scène pure.
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