Biyouna : "Nadir m'a permis de sortir du rôle de la grande nouille sympathique"
Biyouna : "Nadir m'a permis de sortir du rôle de la grande nouille sympathique"
Héroïne populaire et drôle du petit écran en Algérie, l'actrice est devenue dans les films du réalisateur une tragédienne émouvante, visage fort et âpre d'un pays qui rêve de paix et de liberté.
Biyouna est née dans le quartier populaire de Belcourt (celui de Camus) au sein d'une famille citadine d'Alger. Enfant, elle accompagne sa soeur chanteuse, Leïla Djazaria, au studio de la radio. Dans les années 60, la petite Baya, ou plus affectueusement Biyouna, dansait dans des orchestres féminins et dans des prestigieux cabarets de l'époque tels « Le Copacabana » ou « Le Koutoubia ».
En 1972, à l'âge de 19 ans, Biyouna décroche par hasard un petit rôle dans le cultissime El-Harrik, un feuilleton télévisé adapté de deux romans de Mohamed Dib (L'incendie et La Grande Maison). Le succès du feuilleton est immense en grande partie grâce à la gouaille de Fatma, le personnage que la jeune Biyouna interprète avec un naturel alors encore inédit sur les écrans algériens.
C'est ainsi que Biyouna, la danseuse des cabarets, devient une icône populaire, plus célèbre que sa diva de soeur, la chanteuse Faïza. Le personnage de Fatma, la touaychia, fille espiègle et déconneuse, va lui coller à la peau. Films et téléfilms se succèdent, mais Biyouna ne correspond pas toujours à la culture officielle. Trop algéroise, trop populaire, trop franche, elle est rejetée par le pouvoir et ses intellectuels.
Elle reprend alors la danse et le chant à La Koutoubia, El Paso, Le Corsaire, pour ne citer que les cabarets les plus connus d'Alger. Sa fibre comique l’amène à écrire et réaliser des one-woman-show, qu’elle présente dans les stades du pays, un pied nez aux islamistes.
Cantonnée dans le registre comique, Biyouna attendra longtemps avant qu'on lui propose un rôle dans un registre différent. Ce sera en 1999, dans Le Harem de Mme Osmane, le premier film de Nadir Moknèche.
« Non seulement Nadir m'a permis de sortir du rôle de la grande nouille sympathique parce que drôle, qui me collait à la peau, et du monde des sketchs où je tournais en rond depuis des lustres; mais il m'a aussi permis de sortir pour la première fois d'Algérie. J'ai découvert la France, puis le Maroc. Je savais qu'il était fan de la Fatma du feuilleton El-Harrik, qu'il regardait enfant à la télé, mais je me demandais si moi, en tant qu'actrice, j'allais lui plaire. Le Harem de Mme Osmane, c'était le film de mon émancipation ! Je sortais d'Algérie où je vivais une période difficile, et je me suis retrouvée face à Carmen Maura dans un film dramatique. Enfin quelqu'un qui ne voyait pas en moi que la comique de service, enfin la chance se présentait pour me permettre de devenir ce que j'ai toujours rêvé d'être : une comédienne. À cinquante ans, je réalise mes rêves de 20 ans, voilà hamdoullah, Dieu soit loué, ça valait la peine de souffrir !
Depuis, avec Nadir, j'ai tourné Viva Laldjérie et Délice Paloma. En parallèle, j'ai enregistré en France deux albums de chansons Raid Zone (Warner Music 2001) et Blonde Platine dans la Casbah (Naïve 2006). J'ai fait un spectacle à l'Opéra Comique avec Fellag. J'ai joué le rôle du Coryphée dans Electre mise en scène par Philippe Calvario, en compagnie de Jane Birkin.
Avec Nadir il y a trois phases de travail. D'abord la phase : « On se laisse aller et on rigole ». C'est quand il est en train d'écrire le scénario, il vient à la maison, il m'en parle et il m'en fait parler. On sort la nuit, je me laisse aller et lui il s'inspire de tout: de moi et de mes amis, surtout de moi ! Ensuite quand il a terminé d'écrire, c'est la phase : « On se laisse aller, mais on ne rigole plus, on répète ». Pendant deux mois, j'allais le voir les après-midi dans son appartement à Alger, qui se trouvait dans le même immeuble que celui de Mme Aldjéria - ça devait bien l'inspirer ! Un café, et aussitôt répétitions jusqu'à la fin de la journée. Le soir, c'est sorties entre amis, discussions légères et commérages profonds. Nadir me conseille quelques films : Le Parrain de Coppola, Gloria de Cassavetes, et Jackie Brown de Tarantino, que j'ai adoré. Et moi, je lui conseille d'aller voir, dans tel ou tel cabaret, des chanteurs et des chanteuses que j'apprécie. Et puis arrive la troisième phase, le tournage, là c'est.. . : « On ne se laisse plus aller, on joue ! ». Il nous cite souvent ce proverbe chinois : « Jouer mal, c'est se duper soi-même. Jouer bien, c'est duper les autres. »
A lire aussi : un portrait intimiste de Biyouna par Laurent Carpentier dans Libération, à l'occasion de la sortie de Délice paloma.