le marathon estival de Sid Ahmed Agoumi
le 08.08.13 | 10h00 Réagissez
Avignon
de notre envoyé spécial
-Qu’est-ce que vous aimez dans Terre sainte ?
C’est qu’au niveau de l’architecture et de l’armature, tout est dit sur la violence, avec beaucoup de dérision, de cynisme, de recul, ce qui touche beaucoup les gens qui sortent bouleversés du propos du spectacle. Kacimi est un poète. Il a dit la dureté sous une poésie sidérante qui ne laisse personne indifférent. Mon personnage, Yad est homérique, il a un côté un peu tragique, mais détaché, et cela me plaît.
-Ce personnage vous ressemble-t-il ?
C’est un peu ce qu’on a vécu en Algérie pendant la décennie noire. Cela laisse des plaies ouvertes chez moi, comme chez les personnages dont Yad. Mon personnage et moi, nous nous sommes retrouvés à nous consoler de nos plaies ouvertes.
-Lorsqu’il n’y a plus rien que l’horreur, c’est le cynisme et l’humour grinçant qui prennent le dessus ?
Par rapport à certains événements, je préfère encore le cynisme. L’humour, on le fait contre soi plutôt que contre les autres. Le cynisme est un moyen de donner de la distance par rapport aux événements. Il ne faut pas faire de pathos. Il est déjà dans l’écriture et dans les événements. La distance donne plus de douleur car, si on prenait le pathos à bras-le-corps, cela diminuerait le propos. La distance transcende la dimension tragique.
-Kacimi a donné cette œuvre qui concerne le Moyen-Orient. On peut le transcrire à ce que nous avons vécu en Algérie. Dans la peau du personnage, vous êtes-vous retrouvé dans l’Alger des années 1990 ?
Je suis surtout dans la même situation lorsque je vois qu’au nom de Dieu on fait n’importe quoi. Et au nom d’une mauvaise interprétation de la religion, on ose faire des choses absolument monstrueuses. Cela nous relie. Kacimi est algérien, c’est normal qu’il ait pensé à l’Algérie et moi, en jouant, je pense en Algérien. Propos recueillis par
Sid Ahmed Agoumi n’a pas chômé cet été. Entre le 8 et le 31 juillet, tous les soirs, sans relâche, il était sur la scène du Off, à la Chapelle du verbe incarné, à Avignon. Un véritable marathon théâtral pour le comédien qui, à 73 ans, garde la verdeur de ses vingt ans. Il a joué dans Terre sainte, avec les comédiens Pierre Bourel, Mireille Delcroix, et Layla Metssitane.
«Ce qui est très étonnant, nous dit Agoumi, c’est que j’ai un destin avec cette pièce. Cela fait trois fois qu’on me la propose et, lorsque Mohamed Kacimi a pensé le personnage de Yad, il a pensé à moi.» Après deux manquements, «voilà, cette fois c’est la bonne. Je me dis que cette pièce me voulait à tout prix». Le beau texte, écrit par Mohamed Kacimi, était mis en scène par Armand Eloi. Le spectateur entre sur le plateau d’un état de siège.
Carmen a disparu à un check point, sa fille, Imen, affronte les perquisitions d’Ian, le soldat, tandis que Yad (Agoumi), le mari de celle-ci, s’évade dans la saveur des pistaches et l’ivresse de l’arak de Zahlé, alors que leur fils est tenté par la revanche et le terrorisme islamiste. Loin et proche du bruit des fusillades qui ne cessent pas en cet été 2013, on fait face avec lucidité aux ravages des incendies du monde. La pièce a été une des plus remarquées parmi les 1250 présentées au festival Off d’Avignon qui vient de s’achever.