(c) Thibault Degenne LA SCRIPT GIRL
Par Chloé CHAMBARET
Photos de Thibault DEGENNE


Sil ne devait rester sur le plateau qu’une seule personne avec le metteur en scène, ce serait elle...

La scripte est née à l’ère hollywoodienne, sur les plateaux des " major " productions américaines. Elle était alors la secrétaire des plus grands metteurs en scène, qui la faisaient venir sur le plateau pour lui dicter le courrier, et lui permettre de rendre compte du tournage aux monteurs. Mais c’est avec l’avènement du cinéma parlant quelle s’est épanouie et quelle est rapidement devenue indispensable. Alors secrétaire de production (c’est elle qui avait dactylographié le scénario, la continuité et le découpage), elle était chargée de prendre en sténo les changements de dialogue et de noter les éléments de raccord. Aujourd’hui, être scripte est une profession à part entière, synonyme de responsabilité et de disponibilité.

  Script girl (c) Thibault Degenne
   

Cela suppose d’abord des qualités physiques : un bons sens de l’équilibre (car il faut parfois se percher dans des endroits insolites), pouvoir écrire en voiture, en bateau, en avion, ne pas être dyslexique, ni daltonienne, ni hypoglicémique, ni végétarienne...Si vous souffrez de cystites à répétitions, pensez à chercher un métier plus adapté ! Parce que les conditions de travail sont souvent rudes et précaires, Sylvette Baudrot vous conseille de privilégier le confort sur l’élégance, en décrivant ainsi la valise d’une bonne scripte : un ciré, des bottes en caoutchouc, de grosses chaussettes, un bonnet de laine, et l’accessoire indispensable, le " pliant " qui vous permettra l’espace de quelques secondes de vous asseoir n’importe où.

Quant aux qualités psychologiques requises, ce sont les mêmes que pour les autres coéquipiers avec lesquels la scripte passe ses journées...et parfois ses nuits. Car si tous ont besoin d’elle, " elle a besoin de tous " La scripte est donc priée de laisser ses états d’âme au vestiaire. La connaissance de l’anglais ne lui nuira aucunement. Plus spécifiques au métier de scripte, sont recommandées une véritable aptitude au calcul mental (combien de secondes dans 1h 27?), une rapidité de pensée et d’exécution (qui ne laissent pas de temps à l’hésitation), une bonne dose de clarté, de concentration, et pourquoi pas d’anticipation.

Script girl (c) Thibault Degenne  
   

On l’appelle aussi " la mémoire ambulante du film ", " la roue de secours ", " le pense-bête du metteur en scène ", " le fil dAriane ", " le nœud de l’équipe ", " la plaque d’aiguillage ", " le bureau des renseignements ", " l’oreille attentive du metteur en scène ", " son image rétinienne ", " sa mauvaise conscience ", " sa sage-femme ". Cette liste ne prétend pas être exhaustive mais seulement esquisser limage du soutien organisé que la scripte s’efforce d’apporter à la réalisation de l’œuvre cinématographique. Concrètement, voyons à présent comment la scripte s’est vue qualifiée de ces épithètes élogieux.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

Vis à vis de la production, la scripte joue le rôle d’une comptable qui tient à jour le nombre de plans tournés, le nombre de bandes utilisées, sans oublier la présence des comédiens et le minutage : il serait fâcheux pour elle qu’un film prévu pour une durée de 90 minutes en compte déjà 70 alors qu’on n’en est même pas à la moitié du scénario ! De même, la production verrait d'un mauvais œil d’avoir à faire revenir Depardieu pour un plan raccord, surtout sil s’agit d'un spot publicitaire pour des pâtes, où son cachet avoisine " plusieurs " millions de francs, tarif journalier j’entends.

  Script girl (c) Thibault Degenne
   

Vis à vis de la réalisation, son travail se fait surtout en préparation. Tous les ordres que lui intime à ce moment le réalisateur seront à exécuter au fur et à mesure du tournage, car celui-ci aura bien d’autres chats à fouetter sur le plateau et doit donc -théoriquement- être libéré de toute contrainte technique, pour se concentrer sur l’aspect artistique de la chose. Ce qui n’empêche que c’est à la scripte qu'incombe la douce tâche de prévenir les débordements imaginatifs d'un metteur en scène fantaisiste, à qui le souci de réalisme peut parfois échapper.

En effet, la crédibilité d'un film se décline en une multitude de paramètres qu’il faut contrôler à chaque instant. Pour que la mayonnaise prenne, tous les ingrédients doivent fusionner harmonieusement. Et si Peter O'Toole avait gardé sa montre Cartier dans un seul plan de Lawrence d'Arabie, si la barbe du père Noël avait pris dix centimètres en une seule nuit...la magie du cinéma en fût rompue. Sylvette Baudrot raconte : " dans La main au collet, d’Alfred Hitchcock, l’équipe s’était installée devant l’hôtel Carlton, avec un mouvement compliqué de travelling, une batterie d’énormes projecteurs pour l’arrivée de la voiture de Cary Grant, qui déposait Grace Kelly en ravissante robe rose. Le soleil et les arcs à contre-jour étant très puissants, notre vedette portait des lunettes noires pendant les nombreuses répétitions. Les premières prises ont été filmées avec les lunettes, et sans que cela choque personne. Heureusement, Grace Kelly elle-même finit par sen apercevoir. Mais les deux scriptes " auraient sûrement préféré être à cent pieds sous terre " !

La soif du mal (c) D.R.  
   

En revanche, certains maîtres du grand écran ont exigé de faux raccords. Dans La soif du mal,Orson Welles a employé dans la même séquence trois ponts différents servant au même décor sans que cela gêne personne " se souvient Sylvette.

Vis à vis des comédiens, la scripte doit vérifier les raccords qui les concernent, c’est à dire les raccords vestimentaires bien sûr, mais également les raccords de mouvement, de regards, de jeu. D'où la nécessité de faire plusieurs lectures du scénario, en fixant à chaque fois son attention sur ce qui peut sembler n’être qu’un détail. " Ainsi, nous confie Super Sylvette dans Pirates, j’ai relu le scénario en ne suivant que le tricorne de Red, et je notais : " sur tête, blanc de sel, plume arrachée, tombé, mordu, sec, à la main, etc ". Ensuite je lai relu en ne m’occupant que de sa jambe de bois, et je spécifiais dans la marge : " vieille, séchée, mouillée, tailladée, neuve, un peu moins neuve, etc ".

Le nec plus ultra, en matière de casse-tête chinois pour script-girl, c’est une scène où vingt personnes dînent et conversent autour d’une grande table ovale. Il ne lui reste plus alors qu’à sortir une règle et un crayon, en espérant bien connaître sa géométrie spatiale. Car il n’est pas question qu’un convive s’adresse à son voisin de droite en regardant sur sa gauche !
 

 

es raccords de jeu sont encore une occasion pour la scripte détaler au grand jour sa merveilleuse culture générale. En effet, elle est probablement la seule sur un plateau à savoir qu'on ne regarde pas à travers ses lunettes avec les mêmes tics selon qu'on est astigmate, myope, presbyte ou hypermétrope. Elle est une pinailleuse professionnelle, un as du détail, et je défie qui que ce soit daller au cinéma avec elle...c’est un calvaire. La déformation professionnelle est inévitable chez la scripte. Elle ne peut empêcher ses deux yeux de fouiner partout, à l’affût de la moindre terreur...forcément impardonnable. Mais on n’accuse pas sans preuve : à la suite d'un déplacement en province, l’équipe d'un court-métrage regagnait la capitale en train. Pendant tout le trajet, alors que les travailleurs exténués s’affalaient sur les banquettes, il ne se passa pas une seconde sans que la scripte ne mit ce temps à profit pour rédiger ses rapports. A l’arrivée en gare, elle se leva pourtant devant les autres et leur dressa une liste complète et détaillée des manteauxbagages, et accessoires avec lesquels ils étaient montés à bord ! Par respect pour la profession, la petite histoire ne retiendra pas que la scripte, trop assidue, en oublia les siens propres !

Vis à vis du monteur, la scripte se doit de fournir des rapports très précis, prenant en compte les défauts et les qualités de chaque prise. Parés tout le mal quelle s’était donnée sur le tournage pour éviter les faux raccords, il serait effectivement mal venu que le monteur choisisse parmi d’autres la seule prise qui " cloche ", script-ologiquement parlant. Imaginez la tête de Sylvette Baudrot si le monteur de " Monseigneur " (de Roger Richebé) avait monté la prise dans laquelle l’actrice principale ne porte qu’une boucle d’oreille ! (" j’ai toujours des problèmes avec les actrices à qui les boucles d’oreille font mal " admet-elle encore aujourd’hui).

La main au collet (c) D.R.  
   

La scripte participe ainsi à toutes les étapes de fabrication d'un film. Elle est présente pendant la préparation, débordée sur le tournage, encore active en post-production. " J’ajouterai que les carrières du cinéma sont plus que des métiers : ce sont des sacerdoces ". Ce qui n’empêche pas Sylvette Baudrot, 47 ans de carrière, de conclure en ces termes : " arriver le matin sur un plateau, voir les techniciens et les comédiens travailler, travailler avec eux, c’est un plaisir merveilleux. Toujours. " Et travailler avec Sylvette, c’est tout aussi merveilleux, vous diront ceux qui ont eu ce plaisir (Jacques Tati, Alain Resnais, Louis Malle, Costa Gavras, Roman Polanski, Luc Besson, etc.) !

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