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le 13.09.14 | 10h00 Réagissez
Salle comble, lundi dernier, à la deuxième soirée des 12es Journées cinématographiques de Béjaïa.
L’Oranais, le tout dernier long métrage de Lyes Salem, a tenu en haleine un public nombreux et comblé. Prévu pour ouvrir la présente édition des journées, le film a été finalement projeté, lundi, à la Cinémathèque de la ville, en présence de son réalisateur et de nombreux acteurs. Son report n’a fait qu’attiser la curiosité des cinéphiles. Une bien fascinante histoire, écrite pendant trois ans, d’une amitié forgée dans la lutte, fragilisée par le doute, et évanouie dans la désillusion. Quand Djaâfar (Lyes Salem), l’Oranais, s’est retrouvé à accompagner inconsciemment Hamid (Khaled Benaïssa) dans son engagement pour la guerre de Libération nationale, il ne se doutait pas qu’il serait aussitôt happé par la cause nationale. Il signe son premier «fait d’arme» en tuant Kotias, un garde champêtre, pour sauver son ami.
La revanche se fait promptement par le fils de Kotias qui s’en prend à Yasmine, la femme de Djaâfar. Engrossée, Yasmine accouche d’un enfant, Bachir, à la «tête d’un roumi». Les faits se passent en 1957, résumant par ellipse quatre ans passés au maquis. L’intrigue est insérée au commencement du film pour traverser toute sa trame et en faire un élément cauchemardesque dans la vie post-indépendance de Djaâfar. C’est là le volet identitaire de l’histoire qui construit son autre volet autour de la thématique des espoirs évanouis de l’après-indépendance, lorsque Hamid, devenu ministre, se laisse harponner par les privilèges et les dérives du pouvoir.
«Ce n’est certainement pas une remise en question de la Révolution. Le film parle de l’après-Révolution, c’est l’histoire de deux bonhommes qui ont fait la Révolution et qui se sont retrouvés avec la promesse de quelque chose de grand, et qui, à un certain moment, se sont trompés et s’en aperçoivent à la fin de leur vie», répond au public le réalisateur à la fin de la projection. Le film, dont les acteurs principaux parlent essentiellement en français, met le doigt sur plusieurs problématiques dont celles de la langue et de l’identité nationale. «J’avais envie que le film, sonore sur ce plan, ait cette dimension où l’on parle en français et en arabe. On m’a dit qu’ aujourd’hui encore le Conseil des ministres se fait en français», réplique Lyes Salem, qui ne fait que refléter une réalité sociale algérienne, y compris dans les insultes qui ponctuent certains dialogues du film. «Je veux donner un miroir, et si je commence à gommer les imperfections ce n’est plus un miroir», ajoute-t-il.
Une histoire d’eau
Le film engage en tout cas la réflexion sur les remises en cause des orientations de la Révolution algérienne, ses espérances, et ses engagements. «Tu as fait la Révolution pour qu’aujourd’hui tu n’aies pas de l’eau dans le robinet...», a dit Hamid, sur un lit d’hôpital, à Djaâfar. Hamid, un personnage complexe. «Ma difficulté par rapport au personnage, c’était de pouvoir l’aimer d’abord. Hamid m’a énormément énervé. C’est la boule de neige qui a pris Hamid et ceux à qui il nous fait penser», commente, au sujet de soupçons de corruption que suggère le film, Khaled Benaïssa qui «disculpe» le personnage qu’il a campé et que l’on a voulu ministre mais pas chef d’Etat.
Perte de confiance, perte de repères, perte d’amitié… L’Oranais est un film de désillusions. «Le personnage de Bachir, je l’ai construit comme une allégorie de la société algérienne à qui, à un moment donné, on a subtilisé une mémoire qui lui appartient, à qui on ne donne pas l’absolue vérité, même si elle n’est pas belle dans certains aspects. C’est un personnage qui a hérité d’un passé à qui on ne permet pas d’être tel qu’il est», déclare Lyes Salem qui ne cache pas qu’il s’inspire des œuvres de Sergio Leone dont Il était une fois l’Amérique duquel il a emprunté «la structure du scénario».
L’histoire de L’Oranais se termine dans les années 80’, n’empêchant pas, par certains indices (pénurie d’eau), d’entrevoir les prémices d’octobre 88. «Il n’y a aucune époque qui est clairement donnée, les unités m’importent peu. Par contre, il y a des marqueurs d’époque. Je ne ressentais pas le besoin absolu d’aller jusqu’à 1988. Il ne s’agissait pas de le montrer parce que d’un point de vue scénaristique c’est compliqué d’arrêter un film sur quelque chose qui commence. Je voulais que le film se termine sur une note d’espoir», a encore expliqué le jeune réalisateur. Beau plan pour le End : la main de Djaâfar posée doucereusement sur le visage enfin souriant du jeune Bachir, son fils et celui de Yasmine, la moudjahida.