Monstre sacré du cinéma algérien, Athmane Ariouet fait partie de cette trempe d’artistes éternels ayant marqué la scène culturelle d’une empreinte indélébile. Malgré sa “retraite” anticipée depuis plus de vingt ans, il suscite toujours l’intérêt de son public, toutes générations confondues. Distingué dimanche par le président Tebboune, avec l’attribution de la médaille du mérite national au rang de “Achir”, la Toile a réagi rapidement pour témoigner de cette distinction plus que méritée pour son idole. Une réaction qui en dit long sur cette personnalité qui a su s’“imposer” par son talent, mais surtout pour des rôles cultes, comme celui de “Makhlouf Bombardier” dans le légendaire Carnaval fi dechra. Cette comédie, sortie en 1994, est une œuvre incontournable pour tous les Algériens. Réalisé par Mohamed Oukassi, ce film avant-gardiste à l’humour décapant dépeint notre société avec dérision à travers Ariouet, dans le personnage d’un maire de dechra (village).
Cette incarnation, une “caricature” parfaite des tenants du pouvoir de l’époque, reste d’actualité de nos jours, et les fans ne manquent pas de le rappeler régulièrement dans des “memes” ou montages vidéo sur Youtube et les dizaines de pages qui lui sont dédiées sur les réseaux sociaux. Connu pour sa finesse d’esprit, son humilité et sa droiture, Athmane Ariouet est cette étoile éternelle qui reste gravée dans notre imaginaire, notre patrimoine. Il a accompagné chacun de nous, grâce à ses majestueuses interprétations. Il a campé avec justesse ses rôles et ce, en donnant vie à ses personnages, qui nous ont marqués ; dans le film historique Bouamama, la comédie Le Clandestin et Ayla ki ness (une famille comme une autre), qui a tant fait rire avec des expressions légendaires ou encore le drame Deux Femmes.
Malheureusement, le parcours de Ariouet a été semé d’embûches, lui qui nourrissait tant d’espoir pour le 7e art algérien. Au début des années 2000, il porte la casquette de cinéaste en réalisant le long-métrage Chronique des Années Pub, mais rapidement il rencontre des difficultés : financières et interdiction de sortie en salles. La raison, comme il l’a expliqué en 2008 dans un entretien à Liberté (l’une des dernières apparitions dans les médias) : “C’est l’histoire d’un peuple qui vient de recouvrer son indépendance après plus de 130 ans d’occupation.
Un peuple aspirant à profiter des richesses d’un pays aux ressources naturelles inépuisables. Le film s’ouvre sur une scène de vie paisible. Et soudain, cette vie paisible cède la place, dans un plan suivant, à la violence et au mal incarnés par le personnage principal que j’interprète. Un mégalomane à la tête d’une horde sauvage. Des cavaliers vêtus de rouge obéissant au doigt et à l’œil aux ordres de celui qui a pour culte le cynisme et le machiavélisme.” Concernant le titre, il avait indiqué qu’“il avait comme titre initial L’Arche rouge compte tenu de la violence qu’il véhicule du début à la fin. Nous avons fini, mon équipe et moi, par opter pour Chronique des Années Pub. Une publicité mensongère dont on a gavé le peuple en promettant une vie meilleure qui n’arrivera que par une génération future porteuse d’espoir”.
En 2004, le film est interdit sous prétexte qu’il fait “allusion à l’armée algérienne”… Des décennies plus tard, l’ancien ministre de la Culture Azzedine Mihoubi avait annoncé en 2017, au forum du quotidien El Moudjahid, que “le film était en phase de montage et verra une réduction de séquences. Ainsi, sa sortie est prévue pour 2018”. Que des promesses vaines ! À l’âge de 71 ans, ce monument du cinéma algérien attend toujours la sortie de son film pour le partager avec son public et vivre sa passion cinématographique. Espérons que cette distinction au rang de “Achir” soit la première étape… pour réconcilier Athmane Ariouet avec la scène culturelle !
Hana. Menasria