Indigènes
Rachid Bouchareb
Publié le : mercredi 27 septembre 2006

Un film de Rachid Bouchareb, Algérie France Maroc Belgique 2006, 128’ Sortie le 27 sep­tem­bre 2006

SYNOPSIS

1943. Ils n’avaient encore jamais foulé le sol fran­çais, mais parce que c’est la guerre, Saïd, Abdelkader, Messaoud et Yassir vont s’enga­ger comme 130 000 autres « Indigènes » dans l’armée fran­çaise pour libé­rer « la mère patrie » de l’ennemi nazi. Ces héros que l’his­toire a oubliés vain­cront en Italie, en Provence, et dans les Vosges, avant de se retrou­ver seuls à défen­dre un vil­lage alsa­cien contre un bataillon alle­mand.

LE REALISATEUR

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Rachid Bouchareb

Né en sep­tem­bre 1953 à Paris de parents ori­gi­nai­res d’Algérie. Il a fait ses pre­miè­res armes à la télé­vi­sion fran­çaise après l’obten­tion de son diplôme du Centre d’Etude et de Recherche de l’Image et du Son. De 1977 à 1984, il devient assis­tant réa­li­sa­teur, puis réa­li­sa­teur de films (SFP, TF1, Antenne 2) et réa­lise de nom­breux courts métra­ges. Il réa­lise en 1985 son pre­mier long-métrage remar­qué « Bâton Rouge ». En 1994 avec « Poussières de vie », Rachid Bouchareb connaît un succès d’estime inat­tendu ; Tourné en Malaisie, le film a été nominé à l’Oscar du Film étranger à Hollywood.

Il crée les socié­tés 3B Production en 1989 et Tadrat Films en 1997 avec son asso­cié Jean Bréhat et pro­duit de nom­breux films ainsi que tous ceux de Bruno Dumont (La vie de Jésus, L’Humanité, Flandres en 2006). Il signe en 2001 « Little Sénégal », long métrage qui a ras­sem­blé 350.000 spec­ta­teurs en France dans lequel il dirige pour la pre­mière fois Roschdy Zem. « Indigènes » a été récom­pensé par le Prix d’inter­pré­ta­tion mas­cu­line remis à Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem, Sami Bouajila et Bernard Blancan lors du Festival de Cannes 2006. Dans ses pro­jets, Rachid Bouchareb à l’inten­tion de porter à l’écran une vie de Bob Marley.

Filmographie 
· 1976 La pièce (CM) 
· 1977 La chute (CM) 
· 1978 Le banc (CM) 
· 1982 Peut-être la mer (CM, TV) 
· 1983 Exil, Algérie (CM, TV) 
· 1985 Bâton rouge (LM)
· 1988 Raï (TV) 
· 1991 Cheb (LM)
· 1992 Des années déchi­rées (TV) 
· 1994 Poussière de vie (LM)
· 1997 L’hon­neur de ma famille (TV) 
· 2001 Little Sénégal (LM)
· 2003 Le vilain petit pous­sin (CM) 
· 2004 L’ami y’a bon (CM) 
· 2006 Indigènes (LM)

CRITIQUE

Passée la sur­prise ini­tiale de voir se tenir la pro­jec­tion de presse de « Indigènes » en lieu et place du « Planet Hollywood » à Paris, il ne faut pas long­temps au spec­ta­teur pour entrer dans le récit de Rachid Bouchareb.

Les inten­tions du film, ouver­te­ment affi­chées, sont clai­res et appuyées, peut être trop, tout au long du récit. Il s’agit ici de valo­ri­ser l’enga­ge­ment massif et sou­vent volon­taire, comme le montre clai­re­ment l’ouver­ture, des tirailleurs au sein des trou­pes fran­çai­ses pen­dant la Seconde Guerre Mondiale – on sait d’ailleurs que cette « guerre étendard » n’est qu’un des nom­breux exem­ples des par­ti­ci­pa­tions des indi­gè­nes aux com­bats de la France pour défen­dre ses inté­rêts sur le plan inter­na­tio­nal. Bouchareb n’y va pas par quatre che­mins dans l’accom­plis­se­ment de la mis­sion qu’il s’est fixée. Si l’on a envie d’applau­dir des deux mains de l’homme, des hommes, dans ce défi poli­tico his­to­ri­que d’enver­gure, on déplore au vision­nage une appro­che hyper didac­ti­que, dépour­vue de second degré, na lais­sant au spec­ta­teur aucune prise à l’appro­pria­tion, à l’inter­pré­ta­tion. On flirte de ce point de vue avec le cinéma de pro­pa­gande, même si la noblesse du propos tend à jus­ti­fier la démar­che ren­dant le tout sup­por­ta­ble. On peut citer, à titre d’exem­ple, l’épisode du cour­rier cen­suré, dont on se dit que l’auteur aurait gagné à faire confiance à son public pour com­pren­dre de lui-même ce qu’il a pré­féré mon­trer dans le détail. Un tel tra­vail de démons­tra­tion, s’il atteste du degré de connais­sance et de fidé­lité his­to­ri­que de l’auteur, a ten­dance à alour­dir un propos déjà lim­pide.

La cons­truc­tion du récit, très clas­si­que, embrasse aussi cette volonté de péda­go­gie. Le cours d’his­toire est chro­no­lo­gi­que, cons­truit en cha­pi­tres par dates et lieux, depuis l’enrô­le­ment jusqu’à la libé­ra­tion. Il s’agit d’une vaste fres­que cons­truite autour de cinq por­traits, avec un fort parti pris nar­ra­tif de coller aux per­son­na­ges, cher­chant à pro­vo­quer la réflexion sur la ques­tion iden­ti­taire. Les nom­breux gros plans et plans rap­pro­chés créent une rela­tion spon­ta­née avec les indi­vi­dua­li­tés en pré­sence. Bouchareb reste d’ailleurs au plus près de ses héros dans la manière dont il tourne les scènes de bataille, insis­tant ainsi sur la volonté de raconter une Histoire humaine ou, pour­rait-on dire, l’his­toire des hommes qui ont fait l’Histoire. On saluera d’ailleurs de ce point de vue une grande humi­lité du réa­li­sa­teur qui à aucun moment ne cède à la ten­ta­tion de la forme dans les scènes da bataille en ques­tion : toutes jus­ti­fiées, ser­vant la cons­truc­tion nar­ra­tive, elles évitent les écueils de la suren­chère pathé­ti­que et de l’accu­mu­la­tion de plans esthé­ti­sants et réus­sis­sent leur gageure d’explo­rer d’autres pistes que le spec­ta­cu­laire de la guerre. On n’est jamais au spec­ta­cle dans « Indigènes », et cette pudeur déli­bé­rée nous rend d’autant plus sen­si­ble la fidé­lité du cinéaste à la cause qu’il défend. C’est un parti pris qui s’appli­que en fait à l’ensem­ble du film : économe d’effets visuels, optant pour une réa­li­sa­tion neutre, pres­que « trans­pa­rente », Bouchareb concen­tre l’inten­sité dans la sim­pli­cité des pro­cé­dés nar­ra­tifs et le jeu des comé­diens. Attendus après leur prix d’inter­pré­ta­tion col­lé­giale à Cannes, ceux-ci sont en effet glo­ba­le­ment irré­pro­cha­bles, même si l’on sou­haite tout de même rendre un hom­mage par­ti­cu­lier à l’inter­pré­ta­tion lumi­neuse de Sami Bouajila, ainsi qu’à la belle com­po­si­tion de Bernard Blancan, qui se dis­tin­guent de façon indé­fi­nis­sa­ble. Dommage tout de même que les per­son­na­ges, à l’exclu­sion de celui du ser­gent, un peu plus com­plexe, n’aient pas réel­le­ment offert de part d’ombre, d’ambi­guïté, de dupli­cité à exploi­ter pour sortir le récit de sa trop évidente voca­tion didac­ti­que. Là encore, ce manque de second degré a pour effet de rendre par­fois indi­ges­tes ces indi­gè­nes aux pro­fils clairs, entiers, immua­bles, que le trou­ble et l’absur­dité ne sem­blent guère ébranler. C’est une nou­velle fois la volonté de l’auteur de livrer (même s’il tient à se démar­quer du docu­men­taire) un docu­ment à valeur his­to­ri­que, qui a eu raison de la pro­fon­deur, de la consis­tance de ces per­son­na­ges un peu lisses, sans sur­prise. Une cri­ti­que qui s’appli­quait déjà en son temps au tra­vail de Sembène lorsqu’il abor­dait 1988 la ques­tion du trai­te­ment des régi­ments de tirailleurs au retour de la guerre dans « Le Camp de Thiaroye ». Sans doute n’est-on encore pas prêts à accep­ter quel­que peu ces figu­res néces­sai­res de mar­tyrs de la République, mais ce n’est qu’au prix d’un iné­vi­ta­ble et regret­ta­ble polis­sage que s’accom­plit la quête du consen­sus. L’épilogue final rap­pe­lant imman­qua­ble­ment un cer­tain « Soldat Ryan » enfonce défi­ni­ti­ve­ment le clou sur ce cha­pi­tre.

Bilan de l’opé­ra­tion : mis­sion accom­plie quant à la trans­mis­sion d’un mes­sage de pre­mière impor­tance, l’ambi­tion poli­ti­que et his­to­ri­que est effi­ca­ce­ment satis­faite, au détri­ment de la force et de l’ampleur des per­son­na­ges. Un film qui sort dif­fi­ci­le­ment de son carac­tère d’uti­lité, et dont la force tra­gi­que tient davan­tage à la réa­lité his­to­ri­que qui l’ins­pire qu’au tra­vail dra­ma­tur­gi­que.

FICHE TECHNIQUE

Réalisateur : Rachid Bouchareb 
Avec : Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem, Sami Bouajila, Bernard Blancan, Mathieu Simonet, Benoît Giros, Mélanie Laurent, Antoine Chappey, Assaad Bouab 
Scénaristes : Rachid Bouchareb, Olivier Lorelle 
Directeur de la pho­to­gra­phie : Patrick Blossier 
Chef déco­ra­teur : Dominique Douret 
Costumier : Michèle Richer 
Ingénieurs du son : Olivier Hespel, Olivier Walczak, Franck Rubio, Thomas Gauder 
Musiques ori­gi­na­les : Armand Amar, Khaled 
Effets spé­ciaux : Les Versaillais 
Monteur : Yannick Kergoat 
Producteur délé­gué : Jean Bréhat 
Coproducteur : Jamel Debbouze 
Producteur asso­cié : Thomas Langmann 
Producteur exé­cu­tif : Muriel Merlin 
Directeur de pro­duc­tion : Antoine Beau, Abdelwahab Adil 
Distributeur France : Mars Films www.mars­dis­tri­bu­tion.com 
Vente Internationale : info@­film­sdis­tri­bu­tion.com

©Sophie Perrin (Clap Noir)

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