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le 24.10.14 | 10h00 1 réaction
Lotfi Bouchouchi, réalisateur et producteur, a présenté cette semaine à Alger son premier long métrage de fiction, Le puits. Cette fiction, qui est produite par l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et par le Centre national du cinéma et de l’audioviuel (CNCA), raconte l’histoire d’un village du Sud assiégé par des soldats français durant la période coloniale. Entre soif et balles, les villageois, des femmes et des enfants, surtout, doivent résister. Le puits sortira sur les écrans en Algérie en 2015.
-Vous avez adapté la nouvelle de Mourad Bouchouchi, votre oncle, pour réaliser Le puits. Qu’est-ce vous a plu dans ce texte paru à la fin des années 1960 ?
Ce qui m’a plu est ce face-à-face entre une frange de la population algérienne et les militaires français. Le petit village dans le film symbolise le peuple algérien et sa faiblesse à l’époque de la colonisation. Il symbolise l’Algérie de ces années-là. Une Algérie qui n’avait pas des armes sophistiquées, des d’hélicoptères, mais qui a battu l’une des plus grandes puissances au monde. C’est une manière de rendre hommage au peuple algérien…
-Il y a donc des civils désarmés forcés de ne pas quitter le village face à des militaires armés décidés à tirer sur tous…
Tout à fait. On n’est jamais sûr où se trouve la force. Celui qui a les armes n’a pas forcément raison ou a la puissance. La force, c’est dans la croyance, dans de ce que vous êtes en train de faire. Ce que je fais est-il légitime ? crédible ? Où est-ce que je suis en train de défendre une cause qui n’est pas juste… Les militaires français montrés dans ce film finissent pas se poser cette question. A la fin, ils hésitent de tirer. Et quand on commence à hésiter, c’est bien le début de la fin.
-Avez-vous pris tout de cette nouvelle ?
Nous avons pris l’idée des femmes qui sortent et qui sont la cible des balles des soldats français postés en face du village. C’est la dernière séquence. Tout le reste est un nouveau scénario, une fiction.
-Et comment s’est fait le travail justement avec le scénariste Yacine Mohamed Benelhadj ?
Yacine est très discret, intelligent, il a beaucoup de talent. Nous avons discuté plusieurs jours sur le film, sur la construction des personnages. Il est parti avec ces idées et est revenu deux mois après avec un superbe scénario que nous avons quelque peu retouché. Peu de choses ont été changées finalement. Contrairement aux autres films consacrés à la guerre de Libération nationale, nous n’avons pas vu de moudjahidine dans Le puits, sauf un, le jeune transporteur d’armes, Toufik. Je rends hommage à tout ce que les moudjahidine ont fait pour libérer le pays du colonialisme. Je ferais peut-être un film sur ce combat libérateur dans le futur. Mais, aujourd’hui, Le puits s’intéresse à une frange de la population de l’époque. J’ai supprimé une petite séquence où l’on voit le passage d’un moudjahid dans le village pour consacrer l’histoire au huis clos entre femmes et enfants démunis et les soldats français armés.
-Est-ce une nouvelle manière d’écrire, par l’image l’histoire de la résistance au colonialisme français sans forcer le trait sur l’héroïsme patriotique, l’invincibilité ?
Je pense qu’il faut rester dans la subtilité et dans la sensibilité. Je ne donne aucune leçon dans ce film, ni d’un côté ni de l’autre. Je ne juge pas les soldats français qui étaient là, je dirais presque, malgré eux. Mais les exactions, ils en ont fait. Ils ont tué des gens, des civils. A la limite, c’est la situation qui les a poussés à faire cela. Sans les dédouaner, bien sûr. Dans le film, tout le monde est humain, a quelque chose à dire, défend son périmètre. Est-ce une nouvelle façon de faire du cinéma ? Je ne sais pas. J’ai choisi d’évoquer une histoire qui se passe à l’intérieur du pays en évitant de montrer beaucoup de militaires français d’un côté et de moudjahidine de l’autre… C’est donc une autre approche. J’ai voulu faire un film universel, humaniste.
-Il y a dans Le puits une petite part de tragédie grecque également…
Qui dit tragédie, dit émotion. J’ai voulu effectivement faire un peu de tragédie grecque en choisissant un lieu unique, un lieu où toute l’histoire se déroule même si parfois il y a un petit road movie (des soldats français qui marchent derrière un âne qui avance vers le village). Une manière de rajouter de la tension et de la dramaturgie dans le film.
-Les gens du village parlent une langue où les accents algériens paraissent mélangés. Pourquoi ?
Je n’ai pas voulu trop en faire à ce niveau-là. Par contre, il y avait des mots qui passaient entre les personnages sans aller vers des accents différents. Nous étions à l’aise dans un algérien soigné que tout le monde peut comprendre. Même à travers les tenues, les visages, j’ai voulu que toute l’Algérie soit présente, sans privilégier une région ou une couleur de peau. Je veux que toutes les régions d’Algérie se reconnaissent dans ce film et que personne ne se sente exclu. Il y a une seule Algérie. Et elle est unique et unie.
-Qu’en est-il de l’absence de nom pour le village où l’histoire se déroule. Cela obéit-il à la même logique ?
Tout à fait. J’ai tout fait pour rester dans quelque chose de neutre. Le village ne porte pas de nom, on entend parler des autres villages aux alentours… Au début, je voulais tourner dans un village en Kabylie, mais cela n’aurait pas donné cette aridité qui était voulue dans la narration dramatique. Et c’est comme ça que j’ai décidé d’aller tourner dans le sud du pays pour avoir ce côté jaune, ocre, chaleureux, sans verdure. S’il y avait des arbres et des plantes, cela veut dire qu’il y a de l’eau. Or, toute l’histoire du film est bâtie sur la rareté de l’eau
-Mais il est tout de même dramatique de sacrifier le seul puits du village en jetant les cadavres des soldats français...
Les villageois n’avaient pas le choix. Ils ne pouvaient pas laisser les cadavres à l’air libre, les enterrer dans la terre fraîche toute retournée qui serait visible ou les mettre dans une maison d’où s’échappera l’odeur…Il fallait qu’ils trouvent rapidement une solution. Jeter les cadavres dans le puits était alors la seule solution, le moindre mal. Les villageois, qui transportaient de l’eau à dos d’âne, ne pensaient pas qu’ils allaient être mis en quarantaine par les soldats français.
-Freha (Nadia Kaci) est dure avec ses enfants. D’où vient cette dureté ?
Freha a un conflit avec elle-même. Elle ne sait plus quoi faire. Va-t-elle dans ce sens où vers l’autre ? Elle ne peut pas être gentille avec ses enfants parce que la situation ne le permet plus. C’est dur pour elle. Elle essaie donc de trouver une solution. A un moment, elle tente de pousser son fils vers la sortie du village. Nadia Kaci a superbement bien exprimé ce conflit interne dans son interprétation.
-Justement, le choix de Nadia Kaci pour ce rôle s’est-il imposé de lui-même ?
Nadia Kaci est une bonne comédienne. Une comédienne que je connais depuis très longtemps. Elle m’a épaté par son jeu dans Le puits. Elle a bien suivi les directions, a même proposé des choses au cours du tournage. Je ne regrette aucun de mes choix pour les comédiens. Après, c’est au public d’évaluer.
-Dans le film, les pères sont absents, mis à part les trois vieux, Benaouda, Belgacem et Si Moulay. Sommes-nous devant un autre film algérien où le père est invisible ?
Nous ne sommes pas dans la philosophie de l’absence du père. Nous sommes en plein Révolution. Les hommes du village sont au maquis. A l’époque, les hommes qui habitaient les villages retirés avaient deux choix : rejoindre les moudjahidine ou partir ailleurs au risque d’être persécutés par les Français.
-Le puits, Lotfi Bouchouchi est votre premier long métrage de fiction en tant que réalisateur. Parlez-nous de cette expérience ?
J’ai déjà réalisé des documentaires et des courts métrages. Réaliser un long métrage de fiction est quelque chose qui me tient à cœur depuis très longtemps. J’ai adoré faire Le puits, même si je portais la double casquette de réalisateur et de producteur exécutif. Cela n’a pas été facile tous les jours. Mais si c’était à refaire, je le referais avec plaisir. Nous avons eu sept semaines de tournage, cinq à Laghouat et deux à Biskra. Il fallait fournir beaucoup d’efforts, mais une telle joie à la fin (BL Production, l’entreprise de Lotfi Bouchouchi, est le producteur exécutif du film Le puits).
-Beaucoup de films ont été réalisés autour de la thématique de la guerre de Libération nationale. Quel rapport doit avoir le cinéma à l’histoire, selon vous ?
Le grand problème est le financement et les moyens pour le cinéma. Un historien n’a pas cette contrainte. Un cinéaste est obligé de chercher de l’argent pour concrétiser ses projets. Et qui dit argent, dit l’existence de personnes qui vous imposent de dire ceci et de ne pas dire cela. Il est plus facile d’écrire l’histoire avec une plume qu’avec une caméra. Plus facile pour le choix et pour la neutralité. Produit et financé par l’Etat algérien, Le puits est un film juste.
Né le 18 mai 1964, à Alger, dans une famille de cinéastes, Lotfi Bouchouchi est diplômé de l’Ecole supérieure de cinéma et d’audiovisuel (ESEC) à Paris. Au début des années 1990, il est premier assistant-réalisateur sur plusieurs longs métrages, entre autres avec Merzak Allouache et Mohamed Chouikh. A partir de l’année 2000, il a réalisé quelques documentaires et films publicitaires et surtout coproduit quatre longs métrages entre autres Viva l’Aldjeri, de Nadir Moknache et Barakat, de Djamila Sahraoui. En 2013, il réalise son premier long métrage de fiction Le Puits que sa société de production BL Films a produit pour le compte de l’AARC.