
Réalisateur: Rachid Bouchareb
Il aurait sans doute dû titrer son film “Il était une fois en Algérie” mais cela aurait tout de suite éveillé les soupçons sur son ambition démesurée par rapport à son pseudo-talent de metteur en scène. Rachid Bouchareb est franco-algérien, son cinéma est bien français. Car à l’image de la plupart des tentatives de construire des films historiques sur la base d’un sujet grave, il s’efface quelque peu derrière son sujet et en oublie de faire du cinéma. C’était le cas sur Indigènes, prix d’interprétation collectif à Cannes qui tenait plus du hold up face à une concurrence supérieure plutôt qu’à une véritable consécration, et qui était objectivement un film de guerre extrêmement faiblard, impression renforcée par la sortie de l’Ennemi Intimequelques temps plus tard et qui était lui un vrai grand film. Bouchareb est donc un réalisateur sans véritable talent particulier mais assez intelligent pour faire parler de lui en abordant des sujets qui dérangent. Et en cela il parait évident, après avoir vu la chose, que Hors-la-Loi est un film artistiquement assez pauvre et qu’il ne s’est vu sélectionné dans le festival le plus prestigieux du monde que pour la polémique en carton qu’il allait lancer. En termes qualitatifs, ce film n’avait absolument rien à faire à Cannes, mais comme il manquait un trublion qui pourrait faire quelques vagues en dehors de toute considération cinématographique, c’est tombé sur lui et la polémique fut aussi brève qu’inintéressante. Rachid Bouchareb se veut provocateur, engagé politiquement, grand bien lui fasse. Il n’empêche que son film est bien trop ambitieux pour lui, à tous les niveaux, qui n’atteint que rarement son but et qui, au lieu d’ouvrir un débat comme il le souhaiterait, risque bien à sa sortie d’attiser un peu plus la haine raciale qui parasite notre pays. Ainsi Rachid Boucharebse pose comme un réalisateur pas particulièrement intéressant mais surtout dangereux car manipulant des choses qui le dépassent clairement et dont il ne semble pas vraiment saisir les éventuelles conséquences sur le public facilement manipulable.
En première lecture Hors-la-loi n’a pourtant rien d’un film très engagé. Bien entendu le contexte est là et toute l’intrigue garde pour toile de fond les suite du massacre de Sétif, mais il apparait clairement que Rachid Bouchareb cherche à nous raconter autre chose, il essaye de faire du grand cinéma sans en avoir les moyens. À ce niveau on peut saluer son ambition, même si elle est un peu vaine. Car ce à quoi il tente de se frotter ce sont les grands classiques du cinéma hollywoodien, rien que ça. Hors-la-loi se veut prendre la forme d’une saga familiale, mafieuse et révolutionnaire, genre auquel quelques grands noms tels que Francis Ford Coppola, Martin Scorsese ou Sergio Leone ont donné ses lettres de noblesse. Et l’ambition démesurée de Bouchareb vise clairement le monumental Il était une fois en Amérique. Sauf qu’il a beau être très sympa dans ses déclarations à la presse, Rachid Bouchareb n’a pas ne serait-ce qu’une fraction du talent de Sergio Leone et cela se ressent du début à la fin, terriblement. Car forcément une fresque d’une telle ampleur se doit de durer longtemps afin de développer un minimum les personnages, là ça dure 2h20 qui semblent en durer 10.
Hors-la-loi est avant tout un film long et ennuyeux, et c’est bien dommage. Bouchareb n’a absolument pas les épaules pour rendre sa fresque passionnante et il se plante dans les grandes largeurs en éliminant toute forme d’empathie envers ses marionnettes qui s’agitent à l’écran sans qu’on puisse s’identifier à qui que ce soit. De cette débâcle on retiendra pourtant deux moments largement au dessus du lot. Une fusillade finale qui n’a pas vraiment à rougir face aux modèles du genre et surtout la séquence d’introduction. C’est la scène qui a tant fait couler d’encre, le fameux massacre de Sétif avec la police française qui a ouvert le feu et tué on ne sait trop combien de personnes sans qu’on sache trop pourquoi. La séquence est dure, la violence viscérale, le choc immédiat, sauf qu’il sera bref étant donné que le reste du film nous plonge dans une torpeur embarrassante. On ne reviendra pas sur ce massacre, sur qui a commencé, on n’en sait rien de toute façon mais cela sert de point de départ à une intrigue qui mêle histoires de famille, combines de voyous, lutte armée et création du FLN, avec une fâcheuse tendance au manichéisme et à l’orientation délicate du propos.
Pas tant que Hors-la-loi soit un film anti français, mais c’est un film dans lequel le seul camp bénéficiant de quelques nuances est le clan algérien, où on trouve les bons et les moins bons. Les français sont tous les enfoirés de toute façon, au mieux ils sont les plus lucides, mais ce sont les envahisseurs, et l’envahisseur c’est le mal incarné. Il a beau s’en défendre, Rachid Bouchareb a pondu un film bien trop engagé dans le camp algérien pour convaincre un large public, et connaissant les réactions parfois stupides d’un public qui prend tout ce qu’on lui donne comme argent comptant, la sortie du film risque bien d’être houleuse. À moins qu’il passe inaperçu, et ce serait le mieux qui pourrait lui arriver. Car très franchement mis à part quelques scènes réussies et une photographie souvent très belle il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent en termes de pur cinéma. C’est un peu du Coppola du pauvre qui essaye de reprendre une formule sans en maitriser les mécanismes, que ce soit techniquement ou narrativement, à tel point qu’on peut même se demander pourquoi le film sort au cinéma et n’a pas atterri directement en diffusion TV. Au niveau de l’interprétation on va de la déception pour Sami Bouajila et Roschdy Zem qui en font des tonnes au point qu’on n’y croit plus, le second se croyant un peu trop dans Scarface, à la confirmation que Jamel Debbouzeest parfois capable d’être un grand acteur. Il explose facilement tout le casting par son naturel et un personnage qui lui va comme un gant.