Entretien avec Ahmed Benaissa (2001)
 
" On travaille dans le doute mais on ira jusqu'au bout "

Si Benaïssa et Ramas traînent derrière eux une longue carrière dans le monde du 4e art, Aziz Boukrouni fait partie de la nouvelle génération. Un groupe de " copains " qui se lancent dans une nouvelle aventure en créant leur coopérative théâtrale. Tous déterminés pour que Fruit de l'amour, leur première pièce, voie le jour. 

Pourquoi " Thé-âtre ", et comment est née l'idée de cette coopérative ? 

" Thé-âtre " est une méditation pour nous. Rien n'est aussi beau qu'une tasse de thé prise devant un petit feu. Il faut préciser qu'il s'agit d'une coopérative et pas d'une association. On a beaucoup cherché pour trouver un statut juridique pour former une société à caractère artistique, chose qui manquait à toutes les compagnies théâtrales indépendantes. " Thé-âtre " existe depuis deux mois, elle compte trois membres fondateurs : Aziz Boukrouni, Hamid Ramas et Ahmed Benaïssa. Pour les besoins des spectacles, on fait appel à d'autres personnes. 



En parlant de spectacle, on voit que vous êtes ici en répétition sur les planches du CCF. Pouvez-vous nous parler de la pièce que vous êtes en train de monter ? 

On est en répétition pour notre premier spectacle qui a pour titre provisoire Fruit de l'amour. C'est une adaptation scénique d'un poème de Smail Ait Djaâffar, écrit en 1951, intitulé Complainte des mendiants arabes de La Casbah et de la petite Yasmina tuée par son père. Un très beau poème que le large public ne connaît pas. Le texte traite du problème de la pauvreté et de la misère ; il est inspiré de faits réels. Un fait s'est déroulé en 1949 : un mendiant errait dans les rues, accompagné de sa petite fille Yasmina. 

Confronté à la pauvreté et n'arrivant plus à subvenir aux besoins de sa fille, et pris de désespoir, il pousse sa fille sous un camion. Ainsi, l'homme mettait fin à la souffrance de Yasmina. Par la suite, il tente de mettre fin à sa vie. Le mendiant, jugé et reconnu fou, finit ses jours dans un asile psychiatrique. 

Pourquoi avoir choisi ce texte spécialement ? 

Le problème de la pauvreté et de la misère resté d'actualité. Un phénomène qui a toujours existé et qui existe encore. C'est un problème universel. 

C'est notre manière de crier notre révolte car, à l'ère des technologies modernes, il existe encore des gens qui meurent de la famine. Chez nous, le problème a pris des dimensions effrayantes ces dernières années. On tente de faire découvrir l'oeuvre de Aït Djaâffar au large public, on essaie aussi d'universaliser le texte. 

Pourquoi le choix du français comme langue ? 

Dans notre société, on a la chance d'avoir un public bilingue et ouvert sur toutes les cultures. On a également la chance d'avoir de grands auteurs tels Yacine, Dib, Feraoun et bien d'autres qui font la fierté de la littérature algérienne. 

Ait Djaâffar fait partie de ces grands hommes même s'il n'est pas connu par tout le monde. On n'a pas pu résister à la tentation de monter ce beau poème en une pièce de théâtre dans sa langue d'origine. 

Et puis, il faut savoir que ce n'est pas la première fois que des artistes algériens montent des spectacles en langue français. Il y a eu déjà l'expérience de Sonia et de Benguetaf. On travaille bien sûr des textes étrangers qu'on adapte en arabe comme pour Le prix, de Arthur Muller, La Djadjbia, d'Edwardo Manet, adapté par Benaïssa. De toute manière, on a bien l'idée de traduire la pièce en arabe dialectal. 

Quand estimez-vous pouvoir présenter la pièce au public ? 

Normalement, tout est en place, malgré le manque de moyens. Il reste le détail de la mise en scène pour répondre aux besoins du spectacle. On profite de l'occasion pour lancer un appel à l'aide pour que la pièce puisse voir le jour. Mais, on fera tout notre possible pour y arriver. 

On est prêts à sacrifier nos salaires. Notre produit sera prêt d'ici à la mi-mars. 

Propos recueillis par W. LABRÈCHE 
Liberte 6 fevrier 2001
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