Liberté : Avant votre retour à Annaba, vous avez exercé votre métier de réalisateur et d’artiste en Italie. Pouvez-vous revenir brièvement sur votre parcours ?
Dalil Belkhoudir : Artiste contemporain, sculpteur mosaïste et réalisateur. Je reviens d’un séjour de 35 ans en Italie, où j’ai fait des études de géologie. Suite à mon cursus universitaire, j’ai réalisé des films courts, participé à des expositions collectives et personnelles, dans de nombreuses villes italiennes, des pays européens, aux USA et au Canada. De retour à Annaba en 2019, j’ai réalisé le court-métrage Le Retour, qui parle du phénomène de l’émigration clandestine. Cette fiction a été réalisée avec un groupe de jeunes, et l’idée était de produire un film écologique, le premier en Algérie. À cet effet, j’ai eu recours pour le tournage à l’énergie solaire, notamment en utilisant des panneaux photovoltaïques. En concomitance du tournage, nous menions avec ces jeunes des campagnes de sensibilisation, comme le nettoyage, la plantation d’arbres… Et nous étions une centaine de personnes à travailler sur ce projet. Ainsi, j’ai décidé de créer l’association culturelle Founoun avec cette jeunesse, et depuis sa création officielle (obtention de l’agrément) en 2021, nous avons mis en place tout un projet d’activités.
Est-il possible de nous éclairer sur les activités de l’association Founoun ?
L’association Founoun pour la promotion culturelle dans la wilaya d’Annaba est composée uniquement de jeunes ; je suis le seul “adulte” parmi les membres. Je trouve qu’il est temps en Algérie de promouvoir l’action culturelle juvénile. Pour ce faire, nous devons interroger ces jeunes sur leurs attentes, afin de les comprendre et d’essayer ainsi de leur proposer des programmes et des activités qui correspondent réellement à leurs espérances, besoin et désir. D’ailleurs, l’un de mes rôles dans l’association est de leur proposer des idées, et ce sont les membres qui donnent leur feed-back pour la réalisation des projets. Parmi les accomplissements de Founoun, le lancement en mars dernier de “Kiteb international film festival”, dont le concept est la distribution de livres à différents groupes de jeunes d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, de Hollande… et de les inciter à reprendre la lecture. Suite à cette lecture, ces groupes ont participé à des ateliers d’écriture pour la transformation de leurs idées en scénario, puis en films, qui ont été projetés à Annaba. Nous avons également organisé des formations de cinéma, des sorties pédagogiques et différentes actions sur le terrain.
Au début de la pandémie, vous avez lancé le “Festival portail numérique du court-métrage”, qui depuis sa création a pris de l’ampleur au niveau international. Pouvez-vous revenir sur cette expérience, première du genre dans le pays ?
Le festival du film domestique (Donum festival) se tient depuis 2020, soit depuis le début de la pandémie. L’idée à son lancement était la diffusion en ligne de films tournés à l’intérieur (période de confinement), mais l’événement a pris de l’ampleur et ce, en devenant mensuel – une première dans le monde arabe et en Afrique – et international. À cet effet, nous avons changé l’appellation en “Digital Gate international film festival”. Pour ce mois de décembre, nous célébrons notre 20e édition, et nous avons reçu durant ces 20 mois pas moins de 3 000 films issus de 17 pays. Concernant le jury, il est international et permanent ; nous avons aussi des ambassadeurs de divers pays, notamment de France, de Nouvelle-Zélande, de Hollande, des Émirats, d’Oman, d’Espagne… En fait, je ne considère pas cet événement comme un festival virtuel mais comme un festival réel. Il existe réellement, car les films sont tournés par des personnes physiques ! Certes, les courts sont envoyés à travers l’espace numérique, mais la cérémonie de clôture est organisée en présentiel. C’est un festival hybride ; à mi-chemin du virtuel et du présentiel. À noter que ce festival est l’activité culturelle cinématographique la plus longue de l’histoire du cinéma algérien. Il a, entre autres, pour objectif de tisser des relations avec d’autres festivals à travers le monde. D’ailleurs, nous avons réalisé des partenariats avec une vingtaine de festivals dans le monde, notamment ceux de Venise, d’Atlanta (USA), d’Irak, de Paris, de Sardaigne, de Tunisie, du Caire, de Libye, du Liban… Nous sommes en train d’étudier la possibilité de signer d’autres accords de collaboration. Une fois que les restrictions dues à la pandémie seront levées, on pourra réaliser des formations et ce, en recevant des formateurs de nos partenaires, et envoyer des Algériens à l’étranger pour des formations dans la création cinématographique. On cherche à promouvoir la langue de l’image, celle des jeunes. Il y a un réel intérêt pour le cinéma, surtout pour les courts-métrages.
Outre le cinéma, l’association a donné vie à un autre projet, à savoir un musée du patrimoine virtuel. En quoi consiste-t-il ?
Ce projet est né suite à une étude que nous avons réalisée et qui révèle qu’il y a un risque réel de la perte d’une partie du patrimoine de la ville, et c’est le cas dans toute l’Algérie, car il n’y a pas de musées de ville. L’idée est de créer un espace virtuel, accessible du net et à travers des applications. Sur cet espace, nous allons entreposer des objets qui font partie de notre patrimoine culturel. Nous allons acquérir ces objets à travers le scan en 3D, pour qu’ils soient perçus à 360 degrés. Cette plateforme sera composée de photos d’archives d’Annaba, d’histoires de nos grands-mères, d’habits traditionnels comme lemlaya, de biographies de personnalités… tout ce qui touche au patrimoine de la ville matériel et immatériel. Nous allons conserver des morceaux de notre histoire, culture et patrimoine dans ce musée. Il y aura aussi des visites en 3D et en réalité augmentée. Nous allons également organiser des campagnes de sensibilisation sur la conservation du patrimoine dans les écoles. La Chambre de commerce d’Annaba nous a offert un lieu physique pour la réalisation de ce musée, qui sera hébergé au Centre de l’innovation d’Annaba (El-Bouni). Il abrite des start-up, et c’était logique d’avoir une domiciliation au niveau de ce centre-pilote.
La ville d’Annaba s’apprête à accueillir les journées culturelles tunisiennes, initiées également par votre équipe…
“Culture Med, Annaba et la Méditerranée” fait partie des projets phare de Founoun. C’est un projet très ambitieux qui a vu le jour il y a quelques mois seulement, mais qui germe dans mon esprit depuis plusieurs années. Le but de cet événement est de renouer culturellement avec plusieurs pays voisins du bassin et de retrouver les relations qu’entretenait Annaba avec les peuples de la Méditerranée. Du 13 au 18 novembre dernier, nous avons organisé la semaine culturelle italienne d’Annaba, en collaboration avec l’Institut italien d’Alger et d’autres partenaires, comme l’association Medina pour la sauvegarde du patrimoine, l’université Badji-Mokhtar, le musée Hippone… Cette manifestation a coïncidé avec l’anniversaire de saint Augustin – la personnalité bônoise la plus connue du monde – et a été marquée par des conférences, une sortie sur le terrain et la projection de dix films.
La prochaine étape de ce Culture Med est la tenue de la semaine tunisienne d’Annaba, prévue en février 2022, et ce, en collaboration avec le consulat de Tunisie à Annaba, avec le soutien de la wilaya. Il y aura au menu des conférences, des ateliers, des sorties, des projections, des concerts… Nous ambitionnons également d’avoir l’Espagne, l’Égypte, la Turquie, le Liban…
En tant qu’acteur culturel, quel constat faites-vous de ce secteur à Annaba ?
Le constat que je fais sur les activités culturelles organisées à Annaba, ou dans d’autres villes, est qu’il faudrait ajuster le tir en consultant les jeunes, car notre société est composée principalement de jeunes ! Il faut prendre le temps de les consulter, d’avoir leur feed-back sur les activités déjà programmées et de voir la possibilité d’en programmer d’autres en collaboration avec les jeunes eux-mêmes, afin d’apporter un produit qui soit proche de leurs attentes ! C’est une petite révolution qu’on veut faire au niveau de l’offre culturelle. Nous essayons de proposer ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent et de donner ainsi une version culturelle 2.0 à la ville d’Annaba, tout en incitant les jeunes à la lecture et à s’exprimer, car nous avons besoin d’écouter leur voix, leurs attentes, pour pouvoir construire avec eux le panorama cultuel de la ville.
Entretien réalisé par : HANA MENASRIA