[Critique] Les Secrets (2009)
 
Les Secrets de Raja Amari (2009)

 
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Réalisateur
 
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Bottom Line

Après un beau petit scandale en Tunisie avec Satin Rouge pour son image de la femme jugée comme déplacée (il était question d’émancipation à travers la danse), Raja Amari revient avec un film surprenant à plus d’un niveau. Un véritable film de femmes dans lequel le seul véritable personnage masculin ne sera jamais vraiment dévoilé, […]

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CRITIQUE
 

Après un beau petit scandale en Tunisie avec Satin Rouge pour son image de la femme jugée comme déplacée (il était question d’émancipation à travers la danse), Raja Amari revient avec un film surprenant à plus d’un niveau. Un véritable film de femmes dans lequel le seul véritable personnage masculin ne sera jamais vraiment dévoilé, mais surtout un film qui déstabilise dans sa construction. En effet, un peu à la manière de Martyrs (dans un tout autre style toutefois), les Secrets navigue en permanence à travers les genres à tel point qu’il est impossible de savoir où on va. La recette est formidable pour accrocher le spectateur qui se prête au jeu et accepte de se faire balader, et l’effet de surprise est imparable. Ainsi, ce qui au premier abord laissait transparaitre une sorte de huis clos à tendance claustrophobique prend une toute autre dimension. Les Secrets est un film très ambitieux, qui manie autant les genres que les thématiques, et qui propose une réflexion intéressante sur la place de la femmes en Tunisie (et par extension dans les autres pays du Maghreb, sachant que c’est sans doute la Tunisie le moins traditionaliste, le plus “occidentalisé”). Pour cette raison, on peut penser que ce nouveau film de la réalisatrice risque de souffrir à nouveau d’un accueil difficile. Il n’empêche qu’il est brillant et inattendu.

les secrets 1 [Critique] Les Secrets (2009)

Fascinant et dérangeant, ce sont à peu près les mots qui nous viennent à la sortie de la salle, avec l’envie d’y retourner et l’impression d’être passé à côté de toutes les clefs du mystère. Car intelligemment, la réalisatrice ne joue pas la carte de la facilité, à aucun moment. Tandis qu’elle nous manipule, c’est à nous de chercher la réflexion qui pourra éventuellement nous en dire d’avantage. Rarement drame n’aura revêtu une forme aussi complexe, car s’il y a bien une certitude c’est celle d’assister à un drame familial, cruel et puissant. Mais pas seulement car Raja Amari brouille judicieusement les pistes en gardant précieusement ces secrets enfouis jusqu’à la toute fin quand elle dévoile enfin, pour qui parvient à saisir le message, les tenants et aboutissants de cette histoire sordide. À plusieurs reprises on croit tenir les informations, on en vient à être persuadé d’être devant une sorte de relecture tunisienne de les Autres, à tort, cela serait bien trop facile et tellement peu original!

Dans cette majestueuse bâtisse qui semble hors du temps au niveau architectural, 3 femmes vivent cachées. 3 générations qui à leur tenue vestimentaire semblent elles aussi aussi hors du temps, à tel point que pendant longtemps on ne sait pas à quelle époque se situe le récit, ni en quel lieu précis. Ce n’est que par petites touches subtilement dévoilées qu’on va comprendre, notamment avec l’arrivée du couple et donc d’un nouveau personnage féminin, définitivement moderne. Avec elle, le personnage d’Aïcha, au centre de toutes les attentions, va se révéler. Et tout ce qui était enfoui refait surface, à commencer par sa féminité. Au drame familial secret se superpose cette lutte éternelle entre tradition et modernité, symbolisé par les deux extrêmes: la mère et Selma. La première représente le déni total du monde et de la civilisation(quand la sagesse laisse place à la tyrannie) pendant que la seconde est l’incarnation même de la femme libre (mode, sexe, langage, à tous les niveaux). De ce contraste Aïcha va se réveiller et va vivre ses rêves si longtemps muselés par une autorité qui était tout ce qu’elle connaissait.

les secrets 2 [Critique] Les Secrets (2009)

Et ce portrait de femme prend alors des allures de récit initiatique. La découverte de sa féminité, de son corps, de celui des hommes (secret ultime, ils sont sans doute à l’origine de ce mode de vie coupées du monde), du plaisir de vivre tout simplement. L’aspect fantastique/horreur laisse place au conte de fée cruel qui évolue jusque dans un final aussi libérateur qu’étonnamment glauque et violent. En variant le rythme et les styles, la réalisatrice réussit son pari et ne tombe jamais dans le déjà vu, au risque de dérouter le spectateur qui se retrouve chahuté, hors des sentiers battus. Il faut dire aussi qu’en termes de mise en scène, c’est d’une classe folle. Qu’elle s’attarde sur des décors splendides ou qu’elle colle au plus près des personnages, Raja Amari est toujours juste, d’autant plus qu’elle bénéficie d’une lumière magnifique (du multi récompensé Renato Berta) qui synthétise à merveille l’évolution d’Aïcha de la pénombre vers la pleine lumière.

Bien entendu pareil drame méritait de grandes actrices pour qu’on y adhère. On est particulièrement gâtés car elles sont toutes magnifiques. Même si une d’elle est clairement au-dessus du lot, il s’agit d’Hafsia Herzi. La révélation de la Graine et le Mulet atteint ici le sommet. D’abord à la limite de l’autisme, elle incarne à merveille cette fille tout simplement différente, surprotégée et enfermée, qui rêve de robes de princesses plus que du prince charmant. Son évolution est un modèle de construction d’un personnage solide et l’actrice lui donne corps de la plus belle des manières.

 

Tour à tour beau et cruel, noir et lumineux, Les Secrets est un film qui passionne, vraiment, et qui bouleverse dans son dernier acte. La réalisatrice joue avec nos émotions ainsi qu’avec celles de ses personnages qu’elle fait passer par tous les stades (domination, amour, plaisir, haine,…), on en ressort un peu déboussolé, mais avec la certitude d’avoir vu une oeuvre engagée, poignante et d’une puissance libératrice inattendue.

 

 

 

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