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Contribution / Les premiers pas du cinéma algérien

Contribution / Les premiers pas du cinéma algérien

On continue d’affirmer que « le cinéma algérien est né dans les maquis ». Cette croyance laisse entendre que les premiers films furent tournés dans les maquis. Si c’est le cas, on est en droit de se demander qui sont ces cinéastes et quels films ils ont réalisés.
 

Le cinéma algérien est-il né dans les maquis ?L’histoire connue nous rapporte que Djamel Tchanderli a été l’unique cameraman algérien à avoir filmé dans les maquis de la Wilaya II (nord constantinois). Rentré à Tunis Djamel envoya ses bobines à New York pour être développées, mais elles seront à jamais perdues. Le GPRA soupçonna les Américains de les avoir détruits, à la demande des Français. Quant aux films documentaires « Djazaïrouna » « Yasmina » et les « Fusils de la liberté » ils ont été filmés sur le territoire Tunisien par Djamel et Lakhdar Hamina et complétés avec des images d’actualités glanés en Europe. Peut-on dire que le cinéma algérien est né dans les maquis? Je ne le pense pas, car pour que le cinéma puisse naitre au maquis il aurait fallu une ou des équipes disponibles et du matériel adéquat. Or, il n’ y en avait pas. Les images prises dans les maquis sont l’œuvre de cinéastes Français et Américains travaillant pour leur compte. Ces films de propagande (au sens positif du terme) ne répondent pas aux critères artistiques définis par l’industrie cinématographique mondiale. . Qu’importe, ces premiers courts-métrages sont les prémisses du futur cinéma algérien qui naitra effectivement durant les premières années de l’indépendance. 
 

LES PREMIERS PAS
 

Je suis cinéaste depuis 1963. Auparavant j’étais technicien à la RTF (Radio télévision française puis à la RTA) j’ai donc assisté aux premiers pas de la production cinématographique de l’Algérie indépendante, qui ont vu naitre les premiers films grâce aux artisans que sont les techniciens d’alors. Sans ces pionniers aucun film n’aurait pu être tourné. C’est une évidence qui a échappé aux historiens et critiques qui n’avaient d’yeux que pour les deux réalisateurs venus de Tunis :Lakhdar Hamina et Djamel Tchanderli. Avant l’indépendance, ces techniciens travaillaient à la télévision française (RTF) qui les a formés. Il faut rappeler que c’est grâce à la révolution que le pouvoir colonial avait ouvert les portes de la télévision naissante aux « indigènes » dans une tentative désespérée de rallier le peuple à son « Algérie française ». 

Les Algériens recrutés n’étaient pas dupes. Ils réalisaient des sketchs sur des sujets de société tout en essayant de contourner la censure par l’ironie. Évidemment, leurs œuvres n’avaient pas juridiquement la nationalité algérienne, mais elles contiennent les germes d’un futur cinéma national. Un bon nombre de ces techniciens militaient dans des cellules FLN, ce qui à valu la prison à certains. 

Donc, aucun doute sur leur patriotisme à l’exemple de Ali Djennaoui dont il convient de rappeler ici son exploit et sa fin tragique. Répondant à l’appel de l’ALN, ce jeune réalisateur diplômé de l’ l’IDHEC organisa le départ vers la Tunisie d’un groupe de neuf techniciens de la télévision avec du matériel image et son. Arrivés dans les maquis en Kabylie, ils sont assassinés sur ordre d’un officier intoxiqué par la «bleuite». Seul Youcef Sahraoui y échappa. Il racontera plus tard à René Vautier le récit détaillé de cette terrible tragédie, recueilli dans « Caméra citoyenne ». À l’indépendance, il y avait Nouredine Adel, Rachid Merabtine, Youcef sahraoui, Mahmoud Lekhal, au montage Arezki Haddad, au son Hocine Abdelkader au montage Larafi Mouaki, au décor Hassan Chafai….J’ajoute les électriciens et les machinistes. Finalement, c’est en grande partie grâce à leur savoir-faire que les premiers films fiction ont été tournés.

Parmi les réalisateurs, Tahar Hannache premier cinéaste bien avant la guerre, et les trois Mustapha : Badie, Gribi, Tizraoui. À cette période 61/62 j’étais technicien à la RTF station de Constantine. Dès l’annonce du cessez-le-feu, l’ensemble des techniciens français a fui l’Algérie, nous étions alors trois techniciens algériens et deux jeunes présentateurs à maintenir vaille que vaille le fonctionnement de la station, la peur au ventre parce que l’OAS nous menaçait. Une bombe venait d’exploser à la sortie des câbles de transmission vers l’émetteur, heureusement sans gros dommages matériels. Elle n’était pas assez puissante. Fin 1962, René Vautier de passage à Constantine était venu à la station, il avait besoin d’une aide technique. C’est là que j’avais fait sa connaissance. Il m’avait dit qu’il était entrain de constituer une équipe cinéma à Alger j’ai sauté de joie et je lui avais exprimé mon souhait de rejoindre cette équipe. Il accepta ma demande.
 

LE CENTRE AUDIO VISUEL, PREMIÈRE STRUCTURE
 

En février 1963 je quitte la RTA ou aucune perspective de production ne se dessinait et je débarque à Alger au centre audio visuel installé au château royal à Ben Aknoun. J’avais 19 ans. Ce centre était sous la tutelle du ministère de la jeunesse et des sports alors dirigé par Abdelaziz Bouteflika. C’est là que Mouloud Feraoun et cinq de ses collègues ont été assassinés par l’OAS. On voyait encore l’impact des balles sur le mur. J’y retrouve Ahmed Rachedi qui venait de Tunis avec René Vautier. Ce centre fut la première structure de production cinématographique. Il sera suivi par d’autres. Pendant ce temps la télévision, nationalisée en novembre 1962, produisait ses propres programmes qui n’ont rien à voir avec le cinéma. 

C’est plus tard qu’elle se lancera dans les téléfilms. Impossible d’évoquer le centre audio visuel sans parler de son directeur René Vautier, cinéaste breton comme il aime se qualifier. Durant les trois premières années de l’indépendance, il fut très actif dans les débuts du cinéma. Il avait notamment collaboré avec Yacef Saadi pour lancer la production du film « la bataille d’Alger » ainsi qu’avec Lakhdar Hamina pour le « vent des Aurès ». Il était gratifié du titre de « Père du cinéma algérien » ce qui me semble exagéré. Je l’ai filmé en 2000 et je lui ai demandé si cette paternité est réelle. Il a répondu qu’il ne s’est jamais considéré comme le père du cinéma algérien, mais que cela lui fait plaisir de l’entendre dire. (« René Vautier, un maquisard à la caméra ». sur YouTube). René avait rejoint la révolution algérienne en tant que cinéaste.  Étant communiste il était favorable à la lutte pour l’indépendance. 

À Tunis où il résidait, il avait rencontré Abane Ramdane alors responsable de l’information pour lui faire part de son projet d’un documentaire qui aura pour titre « Algérie en flammes » à la condition qu’il sera le seul auteur et producteur. Abane, vivement intéressé par ce projet, accepta et lui accorda l’autorisation de filmer dans les bases de l’ALN. René s’était débrouillé une caméra 16mm et le GPRA lui fournit la pellicule. Après avoir terminé le tournage dans les Aurès-Nemamchas, dont la célèbre scène du déraillement du train minier Ouenza/Annaba par l’ALN, il avait contacté la société Est-Allemande la DEFA pour la postproduction. Une fois terminé, le GPRA avait failli interdire le film. 
 

 

(René Vautier, un réalisateur et scénariste français, communiste et anticolonialiste, connu par son film Avoir vingt ans dans les Aurès )

 

Pourquoi ? René Vautier raconte dans son livre « Caméra citoyenne » qu’à l’issue d’une projection de « Algérie en flammes » au Caire devant des cadres du GPRA l’un d’eux reprocha à René une scène où on voit des djounouds pleurer la mort de leurs compagnons tombés en martyrs. « Les moudjahidines ne pleurent pas il faut couper cette scène ». 

Un censeur « bête et méchant ». Abane Ramdane était absent à cette projection et pour cause il venait d’être assassiné et Vautier ne le savait pas à ce moment. Il avait répliqué «  Je parie que le frère qui me demande de couper la séquence parce que les djounouds ne pleurent pas n’a jamais mis les pieds au maquis et n’a jamais vu un djoundi de sa vie ». Il gagna son pari et le film a été diffusé un peu partout dans le monde sans la moindre coupure. Un peu plus tard, René, accusé d’être un agent de Moscou, fut jeté en prison. 

Auparavant, Abane Ramdane avait averti René qu’il existe au sein de la révolution algérienne « des gens pour qui le communisme est l’ennemi principal, qu’ils n’ont pas compris que cette idée-là, c’est le colonialisme qui la leur a mise dans la tête ». Mais Abane n’était plus là pour le défendre. Après 25 mois de détention, René a été libéré et innocenté avec les excuses du GPRA. La suite de ses aventures et mésaventures, en Algérie et en France, le lecteur la trouvera dans l’ouvrage « Caméra citoyenne » un récit palpitant et très instructif. 
 

D’autres cinéastes étrangers filmèrent dans les maquis. Dans son livre « Cinéma et guerre de libération » Ahmed Bedjaoui relate avec force détails les exploits de ces amis de l’Algérie, dont Pierre Clément. Revenons au centre audio visuel. Les débuts furent très difficiles. Les caisses de l’État étaient vides on ne percevait pas de salaire et on mangeait à crédit dans un restaurant rue Auber. 

On avait deux caméras 16mm, une Paillard et une Beaulieu. Nous étions une poignée de techniciens dont quelques-uns travaillaient dans ce centre géré par les ex services sociaux fondés par Germaine Tillon. J’étais le seul caméraman et Ahmed Rachedi faisait ses débuts dans la réalisation. On suivait de très près l’actualité politique, sociale et économique en cette période de l’édification du socialisme.  

Nous avions tourné plusieurs courts-métrages sur l’auto-gestion, le reboisement, le volontariat étudiant et le volontariat des cheminots pour réparer les tracteurs sabotés par les colons, la médecine dans les campagnes, la reconstruction des villages bombardés, le déminage aux frontières…on tournait parfois ensemble parfois séparés.

 On parcourait le pays dans toutes les directions. Une fois, nous étions partis à Adrar, la capitale du Touat, avec pour mission de projeter des films aux habitants et de filmer les effets sur la population des radiations de la dernière bombe atomique française qui venait d’exploser non loin d’Adrar, à Reggane. Notre équipe comprenait Mario Marret un cinéaste français ami de René avec lequel j’ai beaucoup appris sur la réalisation, un projectionniste et moi. En cours de route, à hauteur de Maghnia, notre chauffeur, Mustapha Bellil, prit par erreur la direction du Maroc. Et nous voilà face à un poste douanier marocain. 

À cette date la paix régnait entre nos deux pays. Les douaniers nous avaient bien accueillis, eau fraiche et thé à la mente. Et après mille excuses formulées avec insistance par notre chauffeur, on nous laissa reprendre la route vers la ville de Bechar à l’intérieur du territoire marocain alors qu’on n’avait pas de passeport. C’était avant la guerre des sables. Lorsque le Maroc envahit la frontière sud, je m’étais porté volontaire pour aller filmer. J’étais accompagné de Claude Huhardeaux un photographe français ami de l’Algérie et d’un assistant. 

Après notre arrivée à Bechar, l’armée nous intégra à un convoi qui, trois jours plus tard, nous déposa près de la zone des combats au lieu dit « les deux palmiers » L’aviation et l’artillerie marocaines ne nous laissèrent pas le temps de nous préparer. Bombardés et mitraillés, nous ne savions ou nous abriter, aucun arbre ni rocher. C’était la débandade. Enfin, les officiers ordonnèrent le repli général. J’ai réussi à prendre quelques images qui disparurent une fois de retour à Alger. Plus tard, j’avais appris par la presse que l’armée algérienne avait lancé une contre offensive victorieuse. Une grande partie de ces images brulât dans l’incendie d’un studio de montage parisien. 

Le centre acquis une caméra Arriflex 35mm. Enfin! on allait filmer avec un format professionnel. René écrit un scénario fiction sur l’histoire d’un enfant qui a eu les mains arrachées par une mine anti personnelle à la frontière Est. La réalisation fut confiée à Ahmed Rachedi et moi à la caméra, Guennez au son. Problème, le centre n’avait pas de voiture pour nous transporter. Qu’à cela ne tienne, grâce à ses relations René obtint de la présidence (Ben Bella) une DS dernier modèle avec chauffeur et en route pour la Calle ou des soldats soviétiques secondés par des djounouds faisaient exploser avec leurs chars des milliers de mines françaises plantées le long de la ligne Morice. Le tournage fut très dangereux. Le film, un court-métrage, ne fut jamais terminé. Pourquoi ? Peut-être que Rachedi le sait. 

Ensuite, nous avions réalisé « Peuple en Marche » un documentaire moyen métrage monté avec les images filmées précédemment et d’autres ajoutées. Le film était produit par le BP du FLN, un peu grâce à moi. En effet, je connaissais personnellement depuis Constantine un responsable du département information du FLN, Mahmoud Tlemçani. Je lui avais parlé de l’idée de faire un film sur la base de la charte de Tripoli. Ensuite, je lui ai présenté René Vautier lequel, après accord, dirigea la réalisation assisté de Ahmed Rachedi. 

Le film entièrement financé par le FLN fut projeté lors du premier congrès du FLN sans censure. Puis régulièrement projeté dans les salles du pays. Mais cela n’allait pas durer ; le film finit par disparaitre des écrans. Vautier explique pourquoi dans ses mémoires « Caméra citoyenne ». 

Pendant ce temps, Yacef Saadi créa vers fin 1962 sa société privée « Casbah Film » et lança la préparation du film la « Bataille d’Alger » avec au début l’aide de René Vautier. À la création du CNC (centre national du cinéma) en juin 1964 notre équipe du centre audio visuel y fut détachée. 

A. Rachedi est nommé chef de la division diffusion populaire et moi chef du service des cinémas d’art et d’essai. Il a fallu attendre encore un peu avant de reprendre la caméra. L’occasion s’est enfin présentée quand le gouvernement s’était mis à préparer la première conférence des pays du tiers-monde qui devait se tenir à Alger en 1965. Il avait commandé au CNC un film sur les méfaits du colonialisme en vu être projeté à cette conférence. René Vautier écrit le scénario et Ahmed Rachedi désigné comme réalisateur et moi comme cadreur. 

A.Rachedi engagea un directeur photo italien, le talentueux Mario Bernardo, auprès duquel j’ai beaucoup appris sur l’éclairage. « L’Aube des damnés » un long métrage mi-documentaire, mi-fiction, venait de naitre. Mais la conférence fut annulée par Houari Boumedienne et le CNC fermé à jamais, ainsi que l’institut national du cinéma où une nouvelle génération de jeunes cinéastes venait d’être formée. 

Une fermeture incompréhensible. Le film est quand même terminé et obtint plusieurs prix dans les festivals des pays socialistes et du tiers-monde. Parallèlement à ces évènements, le ministère de l’information créa en 1963 l’OAA l’office des actualité algériennes pour produire des journaux filmés destinés aux salles obscures. Mustapha Badie fut son premier directeur, Lakhadar Hamina s’était débrouillé pour le

(Le célèbre cinéaste, Mohammed Lakhdar-Hamina, récipiendaire de la Palme d’Or au Festival 1975 pour le film Chronique des années de braise)

 

Comme il ne voulait pas se cantonner dans le journalisme, Lakhdar se lança dans la réalisation de documentaires puis réalisa « Le vent des Aurès ». De son côté Mustapha Badie tourna en 1965 le premier long métrage fiction algérien produit par la RTA. « La nuit a peur du soleil » entièrement servi par de talentueux techniciens, Nouredine Adel et Youcef Sahraoui et de comédiens issus de la télévision : notamment, les grands comédiens tels, Yasmina, Mustapha Kateb, Sid Ahmed Agoumi, Taha El Amiri, Boualem Raïs… Durant ces trois premières années j’ai vu arriver de nouveaux réalisateurs et techniciens comme Mohamed Zinet et son fameux « Tahya ya Didou » , Ghaouti Bendedouche, Mohamed Bouama

 

D’autres issus du défunt institut, comme la script Keltoum, le monteur khodja yazid, les réalisateurs Rabah Laradji, Sid-Ali Mazif, Farouk Beloufa… Sans oublier ceux qui firent des études de cinéma à Moscou, Belgrade, Paris, Lodz, Bruxelles, Varsovie, tels Ahmed lallem qui réalisa son audacieux documentaire « Elles », Amar Laskri et son « Patrouille à l’Est », Azzedine Meddour, Jean pierre lledo, Brahim Tsaki etc.. Hélas, aujourd’hui un grand nombre de ces pionniers n’est plus de ce monde. Paix à leur âme. Avec la création de l’ONCIC en 1967, on avait cru à une relance sérieuse de la production. 

Ce ne fut pas le cas, on tournait à peine deux longs métrages par an alors que nous étions nombreux, compétents et enthousiastes pour démarrer une véritable industrie cinématographique dans notre pays. Malgré nos incessantes luttes syndicales et politiques contre la bureaucratie et la censure, des luttes qui méritent que des historiens s’y intéressent, c’est l’échec. 

Près de 60 ans d’indépendance toujours pas d’industrie. Cependant, L’histoire n’est pas finie car une nouvelle génération de réalisateurs et de techniciens s’annonce. Ils poursuivront la lutte entamée par leurs ainés.

 

Par  Nasredine Guenifi  , Réalisateur décédé le mois dernier
14/09/2021

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