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le 11.04.14 | 10h00 2 réactions
Mardi 15 avril, il faudra vous retrouver devant votre petite lucarne, branché sur Arte à 23h35 pour y découvrir le passionnant et important dernier film de Bruno Ulmer. Le titre ? Paroles d’Algérie. Rencontre avec l’auteur.
-D’où naît le désir de venir en Algérie pour y réaliser un film ?
Je pense que, plus le désir de venir en Algérie, c’est le «désir d’Algérie» que j’éprouve. C’est un pays que je connais peu mais avec lequel je sens un lien, une amitié. Je suis venu ici plusieurs fois déjà, j’ai découvert Alger, Oran, Béjaïa, j’y ai rencontré des artistes, des cinéastes, des photographes qui m’ont parlé du pays, de leur amour pour ce pays et aussi de leur quotidien, de leurs rêves, ici ou ailleurs. J’ai aussi «appris» le pays par la littérature, la musique… Et puis, je travaille une bonne partie de mon temps à Marseille, l’Algérie n’est jamais loin… Il y a des années, j’avais écrit un projet, pendant la décennie noire, qui s’appelait L’Algérie au cœur, avec ma productrice, Hélène Badinter. On voulait proposer à la télévision française des petits formats courts, des témoignages d’Algériens, on voulait «sensibiliser» comme on dit, faire savoir en France ce qui se passait en Algérie, être solidaires. Ce projet ne s’est pas fait, mais j’avais gardé l’envie de filmer ici, un jour…
-D’emblée, en guise d’introduction, vous annoncez que votre film ne pourra se faire compte tenu du refus des autorités de vous donner des autorisations. Y a-t-il une différence entre ce que vous souhaitiez faire et le résultat, entre le film non autorisé et celui fabriqué de manière underground ?
C’est vrai que je voulais faire un «grand film», grand dans le sens d’un portrait du pays tout entier, parler des gens, de l’économie, des richesses du pays… Bref, un film documentaire comme il y en a beaucoup, sur de nombreux pays, du monde, mais qui, à ma connaissance, n’existe pas pour l’Algérie. J’ai commencé à y réfléchir il y a des années déjà, fait des recherches, j’ai beaucoup lu, et j’ai aussi rencontré Jean-Pierre Séréni, un grand journaliste qui connaît bien le pays. On a réfléchi ensemble à ce projet, on y a beaucoup travaillé. C’est ce film-là que nous aurions dû faire. Nous avons eu l’autorisation, on a mis le temps pour l’avoir… Mais une fois arrivé en Algérie, les problèmes ont commencé. Le matériel est resté bloqué à l’aéroport, on a commencé des démarches, mais la situation est restée bloquée, et il a fallu repartir. On n’a jamais eu d’explications précises à ce refus. Je suis resté très amer après cette impossibilité.
-Comment s’est porté votre choix sur ces visages que nous voyons et écoutons ?
Les choix se sont faits un peu au hasard au début. J’ai rencontré des jeunes, hommes et femmes, des situations, des âges différents. Au début plutôt des jeunes intéressés par le cinéma. Puis, de «fil en aiguille» comme on dit, par des contacts croisés, j’ai rencontré des jeunes plus engagés, des bloggeurs par exemple. Il faut dire que je suis arrivé en Algérie au moment où on commençait à beaucoup parler de politique, dans l’optique des élections. Les débats dans le pays ont fait que très vite, quand j’interrogeais sur la vie quotidienne, les études, le travail… la discussion prenait vite un tournant plus politique.
-Il y a une phrase qui revient sans cesse : «Attendre, attendre....» Ces paroles tendent-elles réellement, selon vous, à un changement démocratique des choses ?
Je ne peux pas être aussi catégorique. L’attente est d’abord un sentiment, une situation du quotidien. On attend un logement, on attend un travail, on attend un mariage, un visa, des soins… Il y a beaucoup de choses qui sont attendues, avant même un changement politique. C’est avant tout, la vie de tous les jours. Bien sûr, j’ai rencontré des gens qui disent que le pays change, et vite, qu’il y a des grands travaux, des projets. C’est vrai. Mais ce qui est ressenti, vécu pour le plus grand nombre, c’est l’attente, chacun à son niveau. On parle aussi d’immobilisme dans le pays, je l’ai senti moi aussi. Même si le pays avance, le sentiment est que rien ne se passe… Quant à la démocratie, c’est une autre question, ce n’est pas juste le fait de voter. La démocratie, c’est à l’Algérie de l’inventer, de s’inventer sa propre démocratie. Et je le redis, ce n’est pas juste voter, c’est être entendu. Que les politiques entendent et répondent aux attentes. Reste aussi, en parallèle à cette attente, la capacité qu’ont les jeunes de parler, de s’exprimer librement. Parler et être écouté, c’est la base, non ?
-Comment, selon vous, le cinéma peut pénétrer dans ce genre de sujet sans forcer le pathos ou verser dans le discours politique ?
Chaque film a une dimension politique, on ne fait pas des films, et plus particulièrement des films documentaires, sans engagement politique, d’une certaine façon. Parler d’une situation sociale, du parcours d’un travailleur, de la place des femmes, de l’égalité, tout ça est politique. Il ne faut pas être naïf, le monde n’est malheureusement pas aussi beau qu’il peut le paraître. Les films sont utiles, ils portent la connaissance, donnent la parole à ceux qui ne l’ont pas, rendent visibles ceux qu’on ignore. C’est pour ça que je fais des films, c’est pour ça que je prends parfois des risques. Quant à la question du pathos, je ne crois pas l’avoir forcé. Il ne faut pas confondre la sensibilité de quelqu’un qui parle de sa vie, les émotions qu’il ou elle ressent en évoquant des moments difficiles, avec le pathos. Il n’y a justement pas de «mise en scène» dans les paroles que j’ai recueillies. La caméra est fixe, concentrée sur le visage et les mots. C’est là l’essentiel.
Né en 1959 au Maroc, Bruno Ulmer est réalisateur de documentaires. Ses films attestent de son intérêt pour les questions de jeunesse et d’identité, liées au bassin méditerranéen : Casa Marseille Inch’Allah (2002), Petites bonnes (2004), Welcome Europa (2008), Les Scouts d’Al-Madhi (2011). Avec Orsay’ (2012) et Il était une fois les Mille et Une Nuits (2013). Bruno Ulmer explore le monde de l’art et de l’imaginaire, créant ainsi un pont avec son activité parallèle d’artiste plasticien.