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Par : Sara Kharfi
Le passé, l’identité, la mémoire sont les thèmes qui habitent, jusque-là, les œuvres projetées dans le cadre de la 2e édition du Festival d’Alger du cinéma maghrébin. Avant-hier, le long métrage marocain, C’est eux les chiens, projeté dans le cadre de la compétition longs métrages, a réussi à créer des ponts entre le passé (1981) et le présent (2011), à travers le personnage de Majhoul, une ombre qui refait surface et aspire à (re)découvrir qui elle est.
Comment fait-on pour trouver une bonne information ? Une équipe de télévision (un journaliste, un opérateur et un stagiaire), à la recherche du sensationnel, se retrouve confrontée à cette problématique, au tout début du long métrage marocain, C’est eux les chiens, de Hicham Lasri. Couvrant des manifestations en 2011 à Casablanca, cette équipe ne trouve plus rien à dire sur le sujet, après avoir pris des images et des témoignages. Malgré cette impasse, le téméraire reporter et ses acolytes continuent de chercher, au milieu de la foule, une personne intéressante à interviewer, et c’est à ce moment-là qu’apparaît un homme, tenant des roses à la main et semblant tomber du ciel ou, peut-être, est-ce le ciel qui lui est tombé sur la tête. Ils décident de le suivre et apprendront que cet homme, arrêté en 1981 durant les “émeutes du pain”, a passé trente années en prison. Hagard et désemparé, cet individu n’est plus qu’une silhouette qui semble perdue au milieu d’une foule qui reprend les mêmes codes et scande les mêmes slogans que ceux de “l’ancien temps”, le temps que l’homme sans nom qui se présente avec son matricule de prisonnier 404 connaît bien. L’équipe suit cet homme et, sans le vouloir, l’aide à retrouver qui il est, en partant sur les traces de son ancienne vie. 404 se rend dans son ancien quartier et son ancienne maison, part à la rencontre de ses amis qui ont bien changé, de son ex-maîtresse également, et finit par retourner chez lui pour retrouver son épouse et ses enfants. Mais trente ans ce n’est pas rien !
Même si 404 est toujours le même homme, et même si les gens aspirent toujours à vivre mieux, beaucoup de choses ont changé, et le personnage principal du film (incarné magistralement par Hassan Badida) finira par comprendre qu’il ne pourra pas reprendre sa vie là où il l’avait laissée. Où est la place de 404 dans le (son) monde ? Vaste question à laquelle le réalisateur et scénariste du film, Hicham Lasri, ne répond pas. Il préfère laisser la liberté au spectateur d’écrire sa propre fin, parce que la vie est un éternel recommencement. Filmé à la manière d’un reportage et parfois d’un thriller, C’est eux les chiens, un film dans un film (sorte de making off), renverse les codes cinématographiques et propose une œuvre qui transgresse les règles esthétiques, et va même jusqu’à frustrer le spectateur, en coupant le son lors d’un grand moment d’émotion : une discussion entre 404 et son fils, comme pour nous signifier qu’un film sollicite chez le spectateur son esprit et ses sens. La fiction de Hicham Lasri est parfois éprouvante visuellement, mais elle utilise les règles et les technologies de notre époque ou, du moins, elle les suggère : parfois, on croirait que cette caméra est en réalité un smartphone ou un appareil photo non professionnel. En plus d’une réflexion (plutôt technique) sur le cinéma, on retrouve également dans ce film une réflexion sur les médias et sur le rapport à la caméra et à l’image. Enfin, C’est eux les chiens est une œuvre drôle, pleine d’esprit, de musique et de paysages urbains, pas féeriques mais en tout cas réalistes.
S. K