• «Une machine de diabolisation et d?exclusion à mon égard?» MERZAK ALLOUACHE. Réalisateur

    MERZAK ALLOUACHE. Réalisateur

    «Une machine de diabolisation et

     

    d’exclusion à mon égard…»

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    le 07.09.13 | 10h00 Réagissez

     

     

    Le 6 septembre dernier, Les Terrasses (Es Touh), le dernier opus de Merzak Allouache, a concouru en compétition officielle dans le cadre du prestigieux festival de Venise.

    - Par quel miracle, quand on connaît les refus précédents, le FDATIC a adoubé le scénario des Terrasses, et par ailleurs que raconte votre dernier film ?
     

    La machine de diabolisation et d’exclusion à mon égard s’est mise en marche après la sortie de mon film Harraga. Avec le concours de quelques pseudojournalistes et de toute la bande des «désoccupés et assistés» d’Algérie, certaines autorités culturelles ont mis un veto incompréhensible sur mon travail allant jusqu’à ignorer l’existence de ce film, et par là même mon existence en tant que cinéaste. L’offensive s’est amplifiée autour de Normal, un film que j’ai réalisé avec de tous petits moyens et qui a provoqué une levée de boucliers quasi générale. J’ai été insulté, calomnié, nous avons même subi, mes acteurs et moi, des jets de bouteilles au cours de sa présentation dans un festival en Algérie, et ce, dans l’indifférence générale. Puis les choses se sont «éclaircies» avec mon avant-dernier film  Le Repenti, dont le scénario a carrément été refusé par la commission du FDATIC pour des motifs «politiques» qui m’ont été signifiés dans une note de lecture dans laquelle on me reprochait mon ambiguïté concernant le sujet de mon film (sic). La sélection du Repenti à Cannes a contraint «ceux» qui menaient contre moi cette guerre de tranchées à plus de retenue. Ce qui n’a pas empêché les attaques dont je fais l’objet depuis quelques années de se poursuivre, menées par une poignée de hargneux, de la soi-disant «corporation de journalistes» à la déontologie douteuse, allant jusqu’à passer sous silence la sélection du Repenti dans les nombreux festivals où il était sélectionné. Indifférent à cette atmosphère pourrie et fascisante, j’ai poursuivi mon travail et déposé au FDATIC le scénario de mon dernier film Les Terrasses qui a été accepté. Je m’en réjouis, tout en considérant que je ne dois rien à personne et surtout pas à la majorité de mes «collègues» qui se sont toujours réjoui des tracasseries que je subissais et qui ne m’ont jamais soutenu, participant même souvent aux campagnes calomnieuses à mon encontre. Je m’efforce de produire mes films avec les moyens du bord, j’adapte ma réalisation et l’esthétique de ma création aux maigres fonds que je peux réunir. Je réalise mes films avec de tous petits budgets. Je perds pas mal de temps et d’énergie à courir après les financements. Je tiens à préciser que je suis un cinéaste qui a toujours eu le minimum de financement étatique pour réaliser mes films. Je n’ai jamais eu un centime de rallonge ni pour terminer mes films ni pour les promouvoir. Mais comme le disait si bien Ho Chi Minh : «Il faut transformer sa haine en énergie». Mon dernier film Les Terrasses témoigne une nouvelle fois, à travers cinq histoires, des contradictions de la société algérienne. J’observe l’état de délabrement des valeurs, de l’hypocrisie ambiante, de la violence, du mensonge, de la malvie qui nous colle à la peau, de la hogra. A travers une série de personnages évoluant sur les terrasses de plusieurs quartiers d’Alger, j’essaie d’exprimer l’inquiétude grandissante qui m’étreint lorsque je vois ce que devient l’Algérie. Ce film symbolise la peur immense que j’éprouve en ce moment. La peur de devoir revivre ce que nous avons vécu dans les années 90. Je ne suis pas un homme politique, je suis un cinéaste inquiet.

     

    - Pourquoi avez-vous refusé l’AARC comme coproducteur des Terrasses, alors même que c’est une activité désormais annexe de cette Agence algérienne pour le rayonnement culturel ?
     

    Je me trompe peut-être, mais l’AARC comme son nom l’indique a pour vocation la promotion de la création artistique afin que celle-ci rayonne hors des frontières, donc je n’ai pas estimé utile la coproduction qui m’était proposée. Par contre, je considère que cet organisme doit participer à la promotion de mon film qui est un film algérien comme les autres. Si l’AARC estime que ce n’est pas le cas, cela ne me pose aucun problème, je me débrouillerai comme je l’ai déjà fait.

     

    - Comment avez-vous constitué le casting des comédiens auquel, en général, vous êtes très attentionné ? Vous diversifiez
    beaucoup : les acteurs de Harraga ne sont pas ceux de Normal ni ceux du Repenti, pourquoi ?

     

    Depuis quelques années, j’ai une idée de plus en plus précise du potentiel artistique qui existe en Algérie. J’observe la nouvelle génération et j’essaie d’élargir mes choix en évitant les mauvais acteurs. J’organise toujours des castings car je crains de passer à côté de l’oiseau rare. Comme dans toute relation de travail, après chaque film que je réalise, je me sépare de celles et ceux avec qui je considère que le courant n’est pas passé ou qui ne m’ont convaincu ni par leur professionnalisme ni par leur personnalité. Et je continue avec celles et ceux qui m’ont procuré émotion et amour. S’il n’y a pas amour et émotion entre l’acteur et le réalisateur les choses se compliquent. La réalisation d’un film est constituée de moments fugitifs d’une grande intensité. Pendant ces moments, j’aime être en présence de gens qui me nourrissent de leur confiance, de leur intelligence, de leur beauté et de leur professionnalisme. C’est ma conception du cinéma, je peux me tromper mais je suis mon libre arbitre.

     

    - Compte tenu de plusieurs refus, avez-vous le sentiment d’être persona non grata auprès des instances culturelles du pays et si oui, pourquoi ?
     

    J’ai déjà répondu en partie à cette question. Je suis marginalisé et très critiqué et souvent par des gens que je ne connais même pas et qui ne connaissent ni mes films ni ma personne. Alger est un vivier où s’épanouit une faune de médiocres (pseudocinéastes, pseudoacteurs, pseudojournalistes), des espèces de mutants, professionnels de la médisance qui colportent toutes sortes de rumeurs, de ragots, et comme ils sont souvent en relation (de soumission et de délation) avec les instances culturelles, leurs propos alimentent le rejet des autorités culturelles à mon égard. Il y a aussi ma liberté de ton qui gêne peut-être...

     

    - Le fait que vous soyez installé en France depuis vingt ans ne serait-il pas un obstacle à votre désir de continuer à tourner en Algérie ?
     

    Je vis à Paris, une ville cosmopolite et merveilleuse que j’adore. Je peux tourner sans problème mes films en France – je l’ai déjà fait – et pourtant je viens souvent tourner en Algérie. La raison c’est que j’ai ce pays dans les tripes et personne ne me fera changer d’avis. N’en déplaise à certains, ce sont mes films, algériens depuis Omar Gatlato qui ont le plus représenté ce pays dans les festivals internationaux. Mon film Les Terrasses va faire flotter le drapeau algérien sur Venise. J’en suis très fier.

     

    - Quel regard portez-vous sur la situation actuelle du cinéma en Algérie et de la culture en général ?
     

    Je suis très pessimiste. Aujourd’hui la réalité c’est qu’il n’existe plus de public, ni pour le cinéma, ni pour le théâtre, ni pour la peinture, ni pour la musique. Il faut arrêter de fanfaronner, s’avouer que la situation culturelle est catastrophique et trouver des solutions. Nous devons dès à présent agir pour les générations futures. La génération d’aujourd’hui, comme jadis la mienne, est sacrifiée. Il faut apprendre aux enfants à regarder, à aimer, à discuter de l’art sous toutes ses formes. Il faut faire barrage à l’obscurantisme, à la régression, à l’inculture. Tout doit commencer à l’école primaire.

    Le jour où je verrai des classes entières d’écoliers se rendre au cinéma, être émerveillés par les images qui défilent sur un écran, je serai heureux. C’est très dur de réaliser des films et savoir que le public principal concerné par des histoires que je raconte ne les verra pas. J’ai montré mes derniers films à une poignée de cinéphiles en Algérie, les projections étaient de très mauvaise qualité. J’enrageais que les gens voient mes films dans ces conditions, en DVD, à 30% de leur qualité d’image et de son…

     

    - Comment expliquez-vous le paradoxe selon lequel la création était plus développée et plus aidée sous le parti unique que dans la période actuelle de soi-disant libéralisme économique ?
     

    Il y a un fantasme sur la période «dite socialiste» de l’Algérie. Les jeunes ont l’air de penser que c’était le paradis dans tous les domaines. Loin de là. C’est vrai que la vie culturelle était plus intense car nous vivions les premières années de l’indépendance. Et il existait encore une élite intellectuelle avant les départs massifs des années 80 et 90.
    Les étudiants étaient intelligents et allaient au cinéma. La cinémathèque jouait son rôle. Nous étions une poignée d’artistes et malgré la pensée unique on essayait de créer vaille que vaille. Ce qui ne signifie pas que c’était facile. Ce serait long à expliquer mais disons que l’ambiance était différente, il y avait des possibilités. Mais la malvie existait déjà ainsi que la corruption, le régionalisme, les pénuries, l’autoritarisme, l’obscurantisme, etc.

     

    - Malgré de nombreuses fortunes constituées dans le monde des affaires, le mécénat ou l’implication des agents économiques dans la culture et le cinéma est égal à zéro, qu’en pensez-vous ?
     

    Je ne crois pas au mécénat en Algérie. Pour être mécène, il faut être cultivé, avoir de l’argent et du goût. Pour l’instant, les mécènes potentiels n’ont que l’argent.

     

    - Depuis la décennie 2000, de nombreux jeunes, grâce à l’irruption du numérique, semblent redonner un souffle nouveau. Comment l’expliquez-vous, vous qui vous intéressez à cette «nouvelle vague» ?
     

    Je suis un peu déçu par cette fameuse «nouvelle vague» qui aurait dû s’épanouir grâce au numérique et aux bouleversements politiques que nous vivons. Il y a quelques films par-ci par-là qui émergent. Dans cette situation calamiteuse, un certain intellectualisme sectaire et désuet s’est installé à Alger. Je lis et j’entends des discours prétentieux, ringards et arrogants, de plus ou moins jeunes cinéastes qui devraient être un peu plus humbles dans leur discours et nous en mettre plein la vue par leurs images. Le débat stérile sur le conflit de générations me gave autant que le discours pseudo intellectuel qui s’apparente plus à une posture qu’à une vraie réflexion sur le rôle du cinéma. Mon souhait, c’est la véritable démocratisation du cinéma en Algérie. Et cette démocratisation, pour l’instant, je la vois surtout fleurir sur Internet où des inconnus issus de toutes les régions du pays postent des vidéos qui témoignent et nous montrent leur ingéniosité, leur humour, leur ironie, leur regard acéré sur la société. J’ai envie de dire à ces jeunes qui aiment le cinéma, qui veulent faire du cinéma : «Prenez vos caméras, vos téléphones, vos appareils photos et tournez, racontez des histoires, témoignez sur tout ce qui se passe autour de vous. On n’a pas besoin de budgets mirobolants pour réaliser un bon film…».

     

    - Que pensez-vous du retour aux affaires de Mohamed Lakdhar Hamina qui vient d’achever un film à nouveau sur la guerre d’Algérie après avoir délaissé la caméra depuis 1986 (La dernière image) ?
     

    Mohamed Lakhdar Hamina est un grand cinéaste, c’est aussi le doyen des cinéastes actuels qui mérite le respect. Effectivement, c’est un challenge de se remettre à tourner après tant d’années d’absence. Je l’ai rencontré dernièrement. J’ai retrouvé le Lakhdar Hamina de l’époque avec sa verve habituelle et son franc-parler. Il est toujours en forme. J’espère que son tournage se passe bien. Et je lui souhaite de belles choses.  

     

    - Hormis l’adaptation par France Télévisions du très beau téléfilm La baie d’Alger d’après Louis Gardel, on a l’impression que vous êtes réticent à puiser dans un patrimoine littéraire pourtant très riche. Pourquoi cela ?
     

    L’adaptation de romans est toujours problématique. Je me suis risqué sur La baie d’Alger  parce que j’apprécie beaucoup l’écrivain Louis Gardel. Nous nous sommes bien entendus, mais c’était très compliqué de passer du roman au scénario. Par la suite, la reconstitution fut très difficile faute de moyens. En fait, je préfère travailler sur mes propres histoires.

     

    - Quels sont vos projets à venir ?
     

    Je vais présenter Les Terrasses à Venise, j’écris mon prochain scénario et je produis un premier film low budget pour une réalisatrice qui m’est très chère. Une comédie… 


     

    Mouloud Mimoun
    « «Je ne travaillerai plus jamais avec Abdellatif Kechiche»Films en détails »
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