Je suis satisfait à plusieurs titres. Tout d'abord la qualité de la programmation. J'ai vu un certain nombre de films particulièrement réussis et d'autant plus réussis qu'ils étaient montrés en relation les uns avec les autres. Il y a un vrai souci de montrer les films, de créer des connivences, des correspondances, des dialogues, des films qui se trouvaient en une sorte de conversation les uns avec les autres. Ça c'est un travail de programmation qui a été fait. La deuxième chose, j'ai parlé précisément de ce pourquoi j'ai été invité, c'est-à-dire pour la figure de Serge Daney qui est pour moi un grand critique au sens professionnel du terme. Même si j'aime beaucoup écrire sur le cinéma, Serge Saney est un critique éminemment important et le fait d'intervenir ici à Béjaïa pour parler de mon rapport avec lui, m'a particulièrement plu, réjoui. Troisième élément, c'est la qualité du public. Les interventions des spectateurs algériens de Béjaïa et peut-être ailleurs, à la différence des débats français, des discussions qui suivent les films qui sont souvent «plon plon» sont très politisés. Je me suis rendu compte à quel point la culture peut être le vecteur d'expression politique et c'est particulièrement rassurant dans un pays comme l'Algérie et d'autant plus rassurant aussi et c'est le dernier élément qui m'a plus, c'est ce qui ressort de cette programmation aussi et des films que j'ai pu voir ces derniers mois. C'est qu'il y a une réelle vitalité du cinéma algérien. Vitalité des cinéastes algériens aussi. Il y en a beaucoup qui sont, à mon sens, très bons et beaucoup plus qu'au Maroc, en Tunisie ou en Egypte. J'ai l'impression que dans les pays du Maghreb, c'est en Algérie que ça se passe.
Vous avez aussi participé à la table ronde sur le cinéma algérien contemporain. Qu'est-ce qui vous a marqué justement par rapport à ce sujet? Qu'avez-vous retenu?
Ce que je retiens en premier lieu, est qu'il n'y a pas de cinéma algérien. Il y a des cinéastes qui travaillent, mais qui ne travaillent pas au même endroit. Il y a des cinéastes qui sont plutôt proches du Centre, ce sont des financements d'Etat et ces films en général sont moins intéressants que ceux de la périphérie qui essayent de se débrouiller et qui ont une grande marge de liberté. Ces gens ont un plus grand souci de faire du cinéma. Ces cinéastes algériens dont je pourrai citer les noms comme Abdenour Zahzah, Narimane Mari, Djamel Kerkar, Nazim Djemai sont d'une vitalité... Ce sont des cinéastes importants. Il existe plusieurs manières de financer et travailler des films. Après, il y a aussi des difficultés structurelles, industrielles. Il n'y a quasiment plus de salles. Il y a des évènements qui sont souvent orientés en fonction des endroits où ils se trouvent. On aperçoit aussi comment les rencontres ciné de Béjaïa peuvent servir comme lieu de résistance par rapport à des pressions de légitimé politique et c'est particulièrement remarquable. J'ai été très attentif à la qualité des interventions et la diversité des échanges sur la manière de faire. Et on voit qu'il y a autant de manière de faire que de cinéastes. J'ai enfin été interpellé sur un élément récurrent de discussion entre les réalisateurs et le public, sur la question d'identité. Je sens que c'est quelque chose qui fait beaucoup souffrir les Algériens. Je me sens très éloigné car je n'ai pas de problème d'identité. Mais je pense qu'on ne pose pas très bien cette question et c'est beaucoup plus un obstacle qu'un remède ici. Je disais qu'identité et idiotie c'est la même racine. Cela veut dire en grec être unique.
Personne ne me ressemble. Je pense qu'il faille aborder la question de l'identité avec de l'idiotie plus qu' avec de la stupidité et l'absurdité. On est multiple. Si on m'interpelle et on me demande mon identité je dirai je suis Bourguignon. Ça dépend de l'interpellation. Si je suis dans une lutte politique je dirai que je suis prolétaire. Si je suis interpellé sur faut-il liquider ou privatiser ou pas le service public, je dirai que je suis fonctionnaire. On est tellement multiplié à l'intérieur de soi-même. L'idée est de créer du commun, un espace commun à l'intérieur duquel toutes ces multiplicités entrent en connexion. Après, je comprends pourquoi cette question de l'identité peut être si importante ici quand un peuple qui a été colonisé a subi une identité forcée et qu'on veuille constituer une contre-identité. Le problème c'est depuis 1962, beaucoup de choses se sont passées.
Des histoires qui dépassent la question arabe, musulmane.. au contraire, il faut être le plus multiple possible. Si on me dit que je n'ai rien à voir avec l'Algérie? je dirai si! je suis complètement Algérien. Ça dépendra du contexte et de la situation. Toutes ces multiplicités, il faut absolument les mettre sur la table. Il ne faut pas en souffrir. C'est aussi l'héritage du colonialisme occidental quand on parle de la femme. Ça revient souvent. Je ne sais pas qui c'est. Je sais qu'il y a des femmes, qui par exemple? au Liban dans tel film que nous avons pu voir (Le muet de Corine Sahwi Ndlr) ont une sexualité très libre et puis, il y a des femmes en Algérie qui vivent dans des situations de contraintes corporelles très grandes Ce sont des femmes. Elles parlent l'arabe mais ne vivent pas la même situation. C'est très intéressant. Il n'y a pas de femmes donc avec un F majuscule tout comme il n'y a pas d'homme avec un H majuscule. Il n'y a pas d'identité non plus comme ça, fixée. Tout comme l'Algérie, aujourd'hui, elle est constituée du kabyle, de l'arabe, du musulman et tant d'autres choses. Ça me fait la peine de voir des gens qui souffrent de ces questions-là. La même chose existe en France, car il s'agit de stigmatiser un groupe ou une communauté sociale. Moi j'ai lutté contre ça en France. Parlant de multiplicité, il y a plein de films et de cinéastes qui sont si différents les uns des autres et le cinéma qui me semble le plus important et qui se passe en Algérie est celui qui a un sens du contemporain très fort, c'est celui qui articule le présent et le passé en même temps Le cinéma pour moi, c'est celui-là, le passé et le présent articulés. On pourrait parler du film de Karim Moussaoui et tant d'autres films. C'est donc une très grande réjouissance d'avoir été le témoin de cette vitalité-là de l'Algérien..
Dernière question:De par votre regard intrinsèque aux rencontres, s'il y avait des défaillances au niveau des RCB, que faudrait-il améliorer à votre avis en dehors des soucis techniques?
Etant particulièrement poli, comme vous l'avez remarqué et comme j'ai été invité j'aurai du mal à produire des critiques. Vous avez soulevé le côté technique, mais c'est aussi dû à un manque de moyens, d'argent. On voit qu'il y a du bricolage parce qu'il n'y a pas de moyens. Mais c'est l'énergie qui triomphe. Du coup, c'est ça qui est beau et tant pis si l'image n'est pas de superbe qualité, on n'a pas pu voir un film en 35 mm, le son parfois lâchait. Le plus important, est que les gens ont parlé. Tant pis pour la qualité de la projection. S'il y avait les moyens et si tout ça était abandonné, alors on pourrait produire des critiques. Même s'il y a des accrochages, notamment avec le réalisateur Lam Le, je trouve ça très positif. C'est vivant.
On peut ne pas être d'accord. Ça se discute. Si un spectateur n'aime pas le film, qu'il le dise. Il y a des cinéastes qui savent y répondre. Parfois certains sont sur la défensive, un peu crispés. Ils devraient peut-être mieux entendre ce que disent les spectateurs; en même temps c'est difficile de prendre la parole en public. Moi je la prends dans d'autres circonstances. J'ai quelques facilités qui ne m'ont pas été données. Je les ai apprises comme ça, tout seul. J'ai parlé de cette question de surexposition et quand on s'expose, on prend un risque, on peut dire une bêtise et on peut se surexposer et se prendre un contre-coup qui peut être brutal.
C'est pourquoi il faut que certains cinéastes apprennent pour bien négocier la question de prise de parole du spectateur même si parfois, il peut être un peu brutal ou pas approprié, mais c'est le jeu de toute façon. Parce qu'il n'y a pas de vérité définitive quand on fait une oeuvre d'art...