Oscars : revue de détail en attendant la nuit

Les Spirit Awards, trophées du cinéma américain, ont consacré 12 Years a Slave ; les adeptes de Nate Silver, pape du data journalisme américain, donnent Gravitygagnant. Quelques heures avant la 86e cérémonie des Oscars, un dernier regard sur les forces en présence.

Michael Fassbender, Lupita Nyong'o, Chiwetel Ejiofor dans

Michael Fassbender, Lupita Nyong'o, Chiwetel Ejiofor dans 12 Years a Slave, de Steve McQueen

Le trio de tête : l'espace, l'histoire comme tragédie, l'histoire comme comédie

Produit par un Britannique dans des studios londoniens, coécrit par des Mexicains, Alfonso et Jonas Cuaron, réalisé par le premier (qui est par ailleurs le père du second), Gravity est en tête des nominations avec American Bluff, dix chacun. La virtuosité de ce huis clos sans murs, de ce grand spectacle pour un personnage et demi a séduit la planète, puisqu'au dernier relevé, les recettes avaient passé la borne des 700 millions de dollars. Mais la science-fiction, même réaliste, n'a que très rarement séduit les votants de l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences. En 2010, Avatar s'est vu souffler le trophée par Démineurs.

American Bluff, de David O. Russell présente quelques ressemblances avec le vainqueur de l'an passé, Argo, de Ben Affleck. C'est aussi une version romancée d'un épisode de l'histoire des années 1970, ce qui permet aux acteurs d'arborer des tenues et des coupes de cheveux d'un kitsch réjouissant. Et comme les votants de l'Académie, dont le Los Angeles Times avait établi en 2012 que 86 % avaient plus de cinquante ans, ont été jeunes à cette époque, ils pourraient céder à la nostalgie. MaisAmerican Bluff est une comédie, et les Oscars vont généralement à des films (qui se prennent au) sérieux (une qualité qu'on ne peut dénier à Argo). Parmi ses dix nominations, c'est probablement celles qui sont allées aux acteurs (Christian Bale, Bradley Cooper, Amy Adams et Jennifer Lawrence) qui ont le plus de chances de rapporter une ou plusieurs statuettes à American Bluff.

Avec son budget modeste (20 millions de dollars), la réputation de son metteur en scène, le Britannique Steve McQueen, superstar de l'art contemporain passé au cinéma, et la gravité de son sujet, l'esclavage au Etats-Unis, 12 Years a Slave (neuf nominations) a le profil type d'un film à Oscars. Neuf fois nommé, il pourrait rééditer aux Oscars sa performance aux Bafta britanniques où Gravity a remporté la plupart des trophées ne laissant au long-métrage de McQueen que le Bafta du meilleur film.

Les outsiders : Le Loup de Wall StreetPhilomenaDallas Buyers Club,Capitaine PhillipsNebraska

Tom Hanks, dans

Tom Hanks, dans Capitaine Phillips, de Paul Greengrass

Cette année, le film le plus exorbitant des règles hollywoodiennes est l'œuvre d'un septuagénaire, Martin Scorsese. Une durée à faire tomber en syncope un exploitant, un budget pharaonique dans lequel pas un studio n'a investi un cent (une bonne part de l'argent vient d'une dynastie politico-financière malaisienne), un scénario et des images qui narguent sans cesse le puritanisme, Le Loup de Wall Street (cinq nominations) est sans doute un peu fort pour les goûts de l'Académie, mais pourrait valoir son premier Oscar de meilleur acteur à Leonard DiCaprio. Il faudrait pour cela que les votants ne succombent pas aux charmes de Matthew McConaughey dansDallas Buyers Club (six nominations). Le film du Canadien Jean-Marc Vallée, qui évoque les ravages de la pandémie de sida dans les années 1980 à travers un personnage hétérosexuel (un parti pris qui lui a été souvent reproché) offre à McConaughey l'occasion d'une de ces performances transformistes dont il s'est récemment fait une spécialité. Le second rôle masculin du film, un personnage transsexuel, pourrait valoir également un trophée à Jared Leto.

Quant à Philomena (quatre nominations), de Stephen Frears, on pourrait l'écarter d'un revers de la main si ce n'était un film britannique dont la campagne pour les Oscars a été  menée par Harvey Weinstein. Inspiré d'une histoire vraie (un argument auquel l'Académie est souvent sensible), l'odyssée d'une mère à qui l'église irlandaise a enlevé son fils a reçu l'imprimatur du Vatican, puisque Philomena Lee, inspiration du scénario, et l'acteur et producteur Steve Coogan ont été reçus par le pape François. La très révérée interprète principale, Judi Dench, pourrait faire de l'ombre à Cate Blanchett (Blue Jasmine) et à Meryl Streep (Un été à Osage County) dans la course à l'Oscar de la meilleure actrice.

Également réalisé par un Britannique, Paul Greengrass, également inspiré d'une histoire vraie, et interprété par un acteur respecté par ses pairs, Tom Hanks,Capitaine Phillips (six nominations) est un concurrent sérieux dans certaines catégories (acteur, second rôle masculin, avec le débutant d'origine somalienne Barkhad Abdi).

Enfin, Nebraska, d'Alexander Payne (six nominations) et Her, de Spike Jonze (cinq) semblent appartenir à une catégorie - des films d'auteur aux recettes modestes - qui rencontre de moins en moins la faveur des votants, soucieux d'affirmer la viabilité économique de leur industrie. Toutefois, la performance de Bruce Dern dans le film d'Alexander Payne pourrait lui valoir un trophée qui a pour l'instant échappé au septuagénaire.

Les nominations françaises

Une image d'

Une image d'Ernest et Célestine, de Benjamin Renner, Vincent Patar, Stéphane Aubier, d'après Gabrielle Vincent

On est loin des années fastes, celles de La Môme (2007) ou de The Artist (2010). Pour les longs-métrages de fiction en prises de vues réelles, on enregistre les nominations de Julie Delpy, en tant que coscénariste de Before Midnight, avec le réalisateur Richard Linklater et son partenaire Ethan Hawke et la sixième mention pour le compositeur Alexandre Desplat (Philomena) pendant que le directeur de la photographie Bruno Delbonnel a obtenu l'une des deux nominations décernées àInside Llewyn Davis des frères Coen, très négligés cette année par l'Académie.

Dans la catégorie du long-métrage d'animation, une victoire d'Ernest et Célestine, de Stéphane Aubier, Vincent Patar (tous deux belges) et Benjamin Renner (français) serait célébrée à part égale en France et en Belgique. Moi, moche et méchant 2, production américaine réalisée en France est cosignée par un Français, Pierre Coffin, et un Américain, Chris Renaud. Mr Hublot, de Laurent Witz et Alexandre Espigares, est un court-métrage animé de nationalité luxembourgeoise par sa production.

En revanche, Avant que de tout perdre, court-métrage de fiction en prises de vues réelles, réalisé par Xavier Legrand arrive à Hollywood avec un passeport bleu blanc rouge estampillé César.

Considérations extra-cinématographiques

Les films nommés aux 86es Oscars n'ont pas donné lieu à de grandes polémiques, comme au temps de Fahrenheit 9/11 ou même du Lincoln de Spielberg. Le débat de l'année a fait rage autour d'une personne, Woody Allen. Les accusations de violportées par sa fille adoptive, Dylan, auxquelles le cinéaste a opposé des dénégationsjusqu'ici validées par la justice, interrogent les votants : faut-il prendre en compte l'œuvre ou l'auteur ? Faut-il se substituer à des juges qui n'auraient pas fait leur travail, comme l'affirme Dylan Farrow ? Blue Jasmine est nommé trois fois : meilleure actrice pour Cate Blanchett, meilleur second rôle féminin pour Sally Hawkins et meilleur scénario pour Woody Allen.

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À propos de La rédaction cinéma

Les journalistes de la rubrique cinéma du Monde, Jacques Mandelbaum, Franck Nouchi, Isabelle Regnier, et du desk culture du monde.fr, Emma Jardonnet, Cristina Marino, Thomas Sotinel, la correspondante du Monde à Los Angeles, Claudine Mulard, suivent les péripéties des courses aux statuettes sur ce blog qui s'éteindra en même temps que les lumières de la cérémonie des Oscars.
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12 commentaires à Oscars : revue de détail en attendant la nuit

  1. J’ai une question pour nos amis les commentateurs !

    Est ce que les Oscars ça vous intéresse ?

    Je me pose vraiment la question car personnellement j’adore le Cinéma, j’ai beaucoup d’amis c’est pareil, on en parle très souvent et tout. Mais qu’est ce qu’on s’en fout des Césars, des Oscars et toute la clique (peut être moins Cannes mais hors la compétition – qui comme on l’a vu encore l’année dernière est plus politique qu’autre chose). Je sais pas mais, demain je vais entendre (au hasard) Gravity prix du machin truc. Ouais bah super. Et ?

    Rédigé par : __Toto | le 02 mars 2014 à 13:42 | RépondreSignaler un abus |
    • J’ai une question pour Toto : Est-ce que commenter des articles qui ne vous intéresse pas est une activité qui vous intéresse ? Non parce-que j’ai beaucoup d’amis qui comme moi se posent souvent la question de l’utilité de ce type de commentaire.

      Rédigé par : Olivier | le 02 mars 2014 à 13:51 | RépondreSignaler un abus |
    • __Toto : « Je sais pas mais, demain je vais entendre (au hasard) Gravity prix du machin truc. Ouais bah super. Et ? »

      Les Oscars vous vous en tamponnez l’oreille à notre niveau, mais au niveau de l’activité cinématographique c’est un gage de qualité et de reconnaissance. Les personnes ayant eu un oscar sont reconnues pour leurs talents (acteurs, réalisateurs, etc) et c’est je pense une des nombreuses consécrations dans le milieu.

      C’est aussi une image de marque par rapport à la vente de films par exemple. Tel film oscarisé, fera acheter des films qui ne l’auront pas été s’il n’y avait pas cette petite phrase marquée sur la boîte (tout comme la palme d’or du festival de Cannes, césars etc.)

      Rédigé par : Anthrax | le 02 mars 2014 à 14:02 | RépondreSignaler un abus |
    • Il en faut pour tous les gouts.
      Ca n’empeche personne de vivre je pense.

      Ceci dit, ils auraient quand même pu demander l’avis de Toto avant de créer cet event.
      C’est vrai quoi! Ca leur coutait quoi de le contacter?

      Rédigé par : Artyparis | le 02 mars 2014 à 18:09 | RépondreSignaler un abus |
    • Je remarque qu’amicalement Toto pose une question et se prend une volee de bois vert. On peut pourtant s’interroger sur la validite d’un label de qualite comme les Oscars, pour memoire Titanic en a quand meme empoche un paquet. Il s’agit par ailleurs comme les Cesars de recompenses hautement ethnocentrees, pour ne pas dire chauvines, et – moins dans le cas des Cesars-, l’impact de la campagne de promotion est tel qu’on peut s’interroger sur la valeur autre que pecuniaire des films presentes. Alors oui Toto moi aussi je trouve qu’on en fait (un peu) trop. Et oui, lire cet article n’etait pas absurde, meme au regard de votre position somme toute mesuree. Quant a poser la question de savoir si un commentaire est « utile » … je vous laisse presager de l’inutilite de ma reponse.
      Aaaah, moi le mec inutile, je me sens mieux d’avoir pris la defense d’un type ce matin. Belle journee n’est-ce pas ?

      Rédigé par : thibault | le 03 mars 2014 à 07:57 | RépondreSignaler un abus |
  2. Toto… Très honnêtement, quand on se contrefout d’un truc, on ne va pas lire les articles qui en parlent et on ne commente pas.
    Tu voudrais quoi, la suppression de la cérémonie? Que par ton souhait, on arrête de décerner ce qui pour beaucoup est une consécration, le sommet de la carrière en matière de gloire et de reconnaissance?
    On supprime ça parce qu’un type lambda du fond de son canap’ l’a décidé.
    Ouais ouais.

    D’habitude je commente pas, je me contente de regarder. Là c’est gros.
    (D’où le pseudo inspiré du commentateur précédent, let’s there be metal bro’/sis’)

    Rédigé par : Megadeth | le 02 mars 2014 à 15:38 | RépondreSignaler un abus |
  3. ottimo

  4. Oui, on peut critiquer un article sans l’avoir lu, et sans avoir aucune envie de le lire. La critique va effectivement droit au but, pour contester l’existence même de ces cérémonies ridicules.
    Pour faire court: tous ces Oscars, Césars, Globes, Mostras, Ours, Emmys, franchement, on s’en cogne a un point difficilement descriptible.
    Un bon vieux Cassavetes, voilà le remède.

    Rédigé par : Just1 | le 02 mars 2014 à 16:52 | RépondreSignaler un abus |
  5. en méme temps c’est normal que les oscar on en parle pas de toute façon les films en france qui sortent jamais pour oscar dans les salle sont pas forcément super pour les oscar

    Rédigé par : hector | le 02 mars 2014 à 17:37 | RépondreSignaler un abus |
  6. « Mais la science fiction, même réaliste, n’a que très rarement séduit les votants de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences. »

    Il faudrait sérieusement arrêter de décrire « Gravity » comme un « film de science fiction ». Vous n’êtes pas le seul blog ou le seul média à utiliser ce terme, mais l’utiliser pour « Gravity », c’est vraiment ne pas savoir ce qu’est la science-fiction.

    « Gravity » est un film de survie, et dans ce cas précis de survie dans l’espace. Il a lieu en orbite terrestre, dans une navette spatiale américaine, la Station Spatiale Internationale et une capsule Soyouz. Mis à part quelques entorses discrètes aux trajectoires et comportements des corps physiques dans l’espace, le film est plutôt réaliste et décrit un scénario qui a des chances raisonnables de se produire aujourd’hui au dessus de nos têtes.

    La définition de base de la science-fiction est, comme Wikipédia le formule assez bien, « un genre narratif qui met en scène des univers où se déroulent des faits impossibles ou non avérés en l’état actuel de la civilisation, des techniques ou de la science, et qui correspondent généralement à des découvertes scientifiques et techniques à venir. »

    Or, comme je viens de l’expliquer, le scénario de « Gravity » reste possible: on peut même le rapprocher du film « Apollo 13″, qui racontait l’histoire vraie d’astronautes américains ayant un problème technique alors qu’ils sont en route vers la lune (le fameux « Houston, on a un problème ! »).

    Lorsqu’il s’agit de parler de science-fiction ou simplement de fiction en milieu spatial, j’ai l’impression que les journalistes ne maîtrisent pas vraiment les termes utilisés: il y a une semaine, j’ai ainsi pu voir « Gravity » décrit dans un article du Monde comme un « thriller intergalactique ».

    Or « intergalactique » signifie que l’on voyage d’une galaxie à une autre. « Gravity » se déroule à seulement 400 km au dessus de nos têtes, en orbite terrestre.

    Bref, une mise au point sur le vocabulaire s’imposait.

    Rédigé par : Tom | le 02 mars 2014 à 17:37 | RépondreSignaler un abus |
  7. Et bien moi, ne vous en déplaise, je suis entièrement d’accord avec Toto ! Ces soirées d’auto-compliments, je trouve cela ridicule ! Inutile de me rétorquer que mon commentaire est nul, inutile, je le sais !

    Rédigé par : Achille | le 03 mars 2014 à 08:54 | RépondreSignaler un abus |
  8. Mais pourquoi même pas un mot sur l’oscar du meilleur film étranger?
    C’est quoi cette journalisme chauviniste qui parle des dentelles et pas des oscars de manière correcte?
    La France n’est pas au centre du monde et c’est un journalisme vraiment franco-centrique.
    Et tout ça parce que ce super film qui est « la vie d’Adèle » (je plaisante naturellement) n’a pas été nommé et il s’est fait ramassé partout dans le monde?
    Sortez un peu le tête!