• Mustapha Badie Mission accomplie

    La nuit n'aura plus peur du soleil par Abdelhakim Meziani

     

     

    DÉCÈS DE MUSTAPHA BADIE
    La nuit n'aura plus peur du soleil
    Après Omar Boudia, c'est au tour de Mustapha Badie de nous quitter sur un fondu enchaîné, ou presque ...

    La Casbah se meurt. En plus de la dégradation, chaque jour davantage, de ses somptueux parements, ce sont ses meilleurs enfants qui partent, rappelés qu'ils sont par la volonté divine. Après Omar Boudia, c'est au tour de Mustapha Badie de nous quitter, sur un fondu enchaîné, ou presque ... 

    Dans une relative indifférence, convient-il de souligner ici, et ce, à l'instigation de la culture de l'oubli et de la haine de la citadinité. Deux fléaux qui tendent de plus en plus à réduire le champ culturel national à une portion congrue et à faire en sorte que les meilleurs enfants de La Casbah soient victimes d'un exil intérieur lourd de sens qui fonde et explique l'émoussement des capacités créatives d'un espace citadin ayant pourtant tant donné à notre pays. 

    Ayant vécu la Révolution nationale dans sa chair, alors qu'il avait toutes les chances de profiter pleinement d'une intégration, Mustapha Badie prenait très tôt conscience de sa situation objective. Il était l'un de ceux qui croyaient dur comme fer en le rôle décisif que pouvait jouer la culture dans la prise de conscience du fait national. Et c'est assurément pour ces raisons qu'il s'investit dans les activités artistiques et culturelles, avant de choisir le théâtre comme moyen d'expression directe. Ce choix sera judicieux à bien des égards, les arts dramatiques étaient les seuls à pouvoir refléter à merveille, à l'époque, l'exploitation et l'occultation d'un peuple ainsi que les luttes menées par celui-ci au plan social. 

    A l'école du nationalisme et du théâtre populaire 

    L'influence du théâtre populaire algérien dont les bases constitutives ont été jetées par Mahieddine Bachetarzi, Allalou et Rachid Ksentini l'aida énormément à affiner sa vision des choses, en même temps qu'elle lui permit d'esquisser les contours de sa propre représentation des choses et. des événements, dans une dynamique en adéquation avec les exigences du moment et les idées nationalistes qui allaient en se radicalisant. 

    Son sens inné de la représentation et son rapport à l'imaginaire d'un peuple meurtri, mais encore debout, allaient lui permettre de brûler les étapes pour faire une carrière fulgurante à la station algérienne de l'Office de radiodiffusion et de télévision française. Réalisateur, il donnera le meilleur de lui-même pour restituer à ce même peuple des facettes importantes de la richesse de son patrimoine artistique et culturel. De mémoire d'Algérois, qui ne se souvient pas de ces moments pathétiques proposés tant par les sketches que par des tours de chant où l'Algérien avait le sentiment d'appartenir à une grande civilisation, un sentiment irréfragable qui lui permet d'ailleurs de remettre irrémédiablement en question l'hégémonisme de la culture de l'autre ? 

    Formé à l'école du nationalisme autant que par un théâtre populaire offensif, contestataire et éminemment social, c'est sans surprise qu'il se mettra, au lendemain de l'indépendance nationale, au service de la libération de l'âme de tout un peuple. A un moment surtout où le pays connaissait un renouveau culturel salvateur à l'initiative de feu Mohamed Boudia, un autre enfant de La Casbah, et de plusieurs mouvements représentant une société civile alors conquérante. 

    Ce n'est donc pas sans raison qu'il optera, après sa sortie des geôles de la soldatesque française, pour la civilisation naissante de l'image. Un moyen d'expression que la caste coloniale a savamment utilisé pour souligner la suprématie de sa superstructure et asservir spirituellement et culturellement la société globale algérienne. 

    D'ailleurs, les premiers films algériens constituent, en quelque sorte, un miroir fidèle, témoin d'une époque effervescente et forcément créatrice où l'Algérien créait l'événement en se libérant du joug colonial d'abord, et en jetant les bases de sa souveraineté culturelle, ensuite. C'est justement la Révolution nationale qui a donné à des cinéastes comme Mustapha Badie l'impulsion idéologique décisive. 

    Une oeuvre aussi marquante que prestigieuse comme La Nuit a peur du soleil a participé pleinement à cette fondation, dès 1965 avec Une si jeune paix de Jacques Charby. La représentation de la Guerre de Libération nationale par l'image a indiscutablement donné à l'Algérie des films de qualité susceptible de rivaliser avec la production cinématographique internationale. 

     

    Une détermination à faire figure de défricheur et de réfractaire 

    Avec La nuit a peur du soleil, le premier long métrage entièrement algérien, Mustapha Badie annonce vite la couleur et sa détermination, à peine contenue, à faire figure de défricheur et de réfractaire. C'est un cinéaste qui a vite compris aussi que sa tâche consistait à ouvrir des brèches dans le dos de nos institutions dominantes, à essayer de dénouer la chaîne des oppressions, à voir et à entendre le travail castrateur d'interdits, d'inhibitions, de refoulements et de leurs séquelles sur des corps, des voix, des discours, des textes, des sentiments et des idéaux. 

    La Nuit a peur du soleil se présente sous la forme d'une fresque historique de 195 minutes, qui retrace les étapes les plus, importantes de la guerre de libération nationale. Bien que très mal accueilli par certains critiques de cinéma, ce film a obtenu un immense succès populaire. 

    Toutefois, cette réussite ne relève pas uniquement du rapport du signifiant aux mélodrames égyptiens et au western. Elle est par ailleurs portée et justifiée par un énoncé des plus efficients où la bourgeoisie terrienne, la voracité des parvenus, la déception de certains révolutionnaire et les alliances tissées entre des officiers de l'ALN et des représentants de la féodalité occupent une place de choix. Pour le critique de cinéma français Claude-Michel Cluny c'est, à l'évidence, une fresque ambitieuse, avec des moments d'éclat, et des pans d'ombre d'où Mustapha Badie faisait surgir un monde compromis, prêt à tout vendre, ou à tout acheter. En dépit de longueurs pas toujours justifiées, estime la même source, la mise en scène était bien tenue en main, et la charge critique, à l'égard de la bourgeoisie avec laquelle la Révolution allait devoir compter, donnaient à ce film un ton assez personnel et vigoureux. Il ne pouvait en être autrement, surtout lorsque le réalisateur concerné tenait à souligner, à propos de son premier long métrage : « J'ai reproduit les choses telles que je les ai vues, j'ai mis en scène des situations telles que les ai senties. J'ai traité cette histoire avec spontanéité. » Après le très discutable La mort de Hassan Terro, ainsi que, cette fois-ci pour la télévision, Le Charlatan, il adapte pour le compte du même média deux romans de Mohammed Dib, L'Incendie et La grande maison qui donneront Al-Harik, en 1976, et Le Suicide, en 1997. 

    Mustapha Badie occupera, par ailleurs, des fonctions administratives, en qualité de directeur des arts audio-visuels, au ministère de l'Information et de la Culture. 

    C'est à ce moment-là qu'il se fera une idée précise sur les intentions réelles du système, s'agissant du devenir du cinéma national. Il retournera à la Télévision algérienne où il s'essaiera à d'autres genres qui seront, cependant, en deçà des prouesses enregistrées par les feuilletons en relation étroite avec l'œuvre de Mohammed Dib. Désabusé et aigri, il ne cachait nullement son indignation, invitant, dans Ecrans du Sud, une émission de Canal Algérie, les cinéastes algériens à accorder plus d'importance à la vidéo dont les coûts de production sont de loin inférieurs à ceux du secteur cinématographique. Le cas échéant, le désengagement de l'Etat aidant, la représentation du peuple algérien par l'image redeviendrait de la compétence de l'autre ... 

    La nuit n'aura plus peur du soleil 
    Par ABDELHAKIM MEZIANI 
    L'Expression vendredi 29 - samedi 30 juin 2001

     

     

    Mustapha Badie
    Mission accomplie

    Le réalisateur de La nuit a peur du soleil et de L'incendie a été porté à sa dernière demeure hier au cimetière de Ben-Aknoun.

    On se croit préparé à recevoir sans chanceler la nouvelle de la disparition d'un être que l'on a aimé, apprécié, admiré ou simplement connu, le sachant atteint d'un mal sévère, la réalité nous prend toujours de court. À la dernière apparition publique de cet homme, dont le nom est indissolublement lié à une production artistique de haut niveau, mais en même temps très proche du grand public, on le sentait très fatigué. C'était il y a quelques semaines, dans ce théâtre qui a vu ses débuts sur les planches, il y a près d'un demi-siècle. L'hommage que lui ont rendu les membres de l'émouvante équipe, avec laquelle il a peuplé La Grande Maison de Mohammed Dib, s'adressait au prodigieux réalisateur qu'il était, cet artiste "colossal" pour reprendre le terme de Chafia Boudraâ, qui a su user de tous les moyens d'expression pour donner la pleine mesure de son génie.

    Pour tous les Algériens, le nom de Mustapha Badie évoque essentiellement ce long métrage tourné en 1964 et présenté deux années plus tard, La nuit a peur du soleil, une fresque historique dédiée aux artisans du retour à la souveraineté nationale, puis l'inénarrable Évasion de Hassan Terro, où il a su tirer parti de la verve et du talent de Rouiched, et, surtout, une dizaine d'années plus tard, l'inoubliable feuilleton télévisé L'incendie, adapté de la célèbre trilogie de Dib. S'il est vrai que ces productions furent autant de grands moments du parcours créatif de Mustapha Badie, elles n'ont représenté que des étapes importantes de l'itinéraire de cet homme-orchestre qui ne saurait se résumer à ces œuvres si prestigieuses et mémorables soient-elles.

    En effet, Mustapha Badie, de son vrai nom Arezki Berkouk, a fait irruption dans l'histoire artistique algérienne dès le milieu des années 40. À dix-huit ans, ce natif de La Casbah d'Alger faisait ses premiers pas dans la réalisation cinématographique avant de bifurquer vers le théâtre qui lui permettait, dans sa forme radiophonique comme sur les planches, de s'inscrire dans l'action nationaliste. Aux ELAK (émissions en langues arabe et kabyle) de

    Radio-Alger, où il réalise des dramatiques, comme à l'Opéra d'Alger où il fait

    partie de la troupe de Mahieddine Bachetarzi, il déploie une créativité inlassable, faisant preuve d'imagination et de professionnalisme. Il sera de ceux qui, en 1957, si l'on en croit ses compagnons de l'époque, procéderont clandestinement, dans les studios de la radio, à l'enregistrement de Qassamen que venait de composer Moufdi Zakariya. Il est certain que son engagement en faveur de la libération du pays ne sera pas étranger à son arrestation en 1957 par les autorités françaises

    et à son incarcération jusqu'à l'indépendance.

    Son retour à la liberté dans un pays libre sera le point de départ d'une nouvelle carrière au cours de laquelle il sera reconnu dans l'univers de la télévision et du cinéma comme un metteur en scène exceptionnel, dont le savoir-faire professionnel, tout d'exigence et de rigueur, se combine avec des qualités humaines de manière à ce que techniciens et acteurs soient toujours heureux de tourner sous sa direction. Hors du plateau, son caractère bon enfant, son humour difficile à ébranler "voisinent" avec une culture solide et un vécu artistique d'une extrême richesse. C'est cette grande culture et la haute idée qu'il se faisait du devoir des hommes de culture de son pays qui l'ont conduit à accepter, à la fin des années 70, la fonction de directeur des arts et lettres au ministère de la Culture et d'y renoncer, trois années plus tard, déçu de n'avoir pu convaincre la hiérarchie de mettre en œuvre l'ambitieux programme de relance qu'il avait proposé.

    Presque septuagénaire, à la veille de l'aggravation du mal qui devait triompher de son extraordinaire vitalité, Mustapha Badie trouvait encore assez d'énergie pour réaliser une dramatique télévisuelle en plusieurs parties. La mort l'aura empêché de donner suite à de nombreux projets dont parlaient encore mezzo voce ses compagnons venus nombreux le conduire à sa dernière demeure hier, vendredi, après la prière du dohr. Des compagnons qui auront beaucoup appris de l'homme et de l'artiste, qui savait faire partager ses enthousiasmes et avait le secret des mots et attitudes qui désignent l'activité des hommes de culture moins comme un métier que comme une mission.

    Puisses-tu reposer en paix, Mustapha Badie et puissent de nombreux jeunes artistes algériens avoir ce feu sacré et cette ambition que tu as eus à cœur de mettre au service de tes concitoyens, au mépris des obstacles et des difficultés.

    M. A.

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