Une des meilleures façons d’apprendre la photo, c’est de décrypter des images qui fonctionnent, de comprendre pourquoi, et d’en retirer des conclusions pour sa propre pratique photo (c’est ce qu’on appelle s’inspirer). Mais c’est parfois difficile de le faire par soi-même, alors quoi de mieux que quand c’est l’auteur qui l’explique ?

 

Il y a d’ailleurs beaucoup de livres sur le sujet qui fleurissent en ce moment, de grands photographes comme Steve McCurry ou Michael Freeman qui décryptent leurs images et en racontent l’histoire. Inutile de vous dire que vous y apprendrez énormément !

Modestement, j’avais déjà fait la même chose. Ca avait eu du succès par le passé, mais je ne le fais pas si souvent car je fais majoritairement de la photo de concert, pour lesquelles il n’y a pas si souvent à décrypter quelque chose. Par contre, en photo « de rue » (ou ici de musée), le plus souvent c’est un peu plus intéressant. Je vais donc vous expliquer toute la démarche photographique qui m’a permis de faire la photo suivante, qui a eu pas mal de succès (elle a notamment fait instantanément l’Explore de Flickr), et surtout, que j’aime beaucoup.

"Le dessin est la probité de l'art." - Ingres

« Le dessin est la probité de l’art. » – Ingres

Des débuts timides

J’étais au Louvre dimanche dernier, dans la partie sculpture. Quand je vous ai dit que je m’efforçaisd’inspirer beaucoup de belles choses pour finir par expirer du beau, je ne mentais pas ;) Je me sentais d’ailleurs d’une humeur particulièrement photographique ce jour-là, où j’ai pris beaucoup de photos que j’aime beaucoup sur l’espace d’une journée (et c’était pareil le lendemain).

J’étais de bonne humeur, reboosté, en forme, et la lumière dehors était celle que je préfère : celle d’unaprès-midi d’automne ou d’hiver, quand il fait froid et sec, et que le soleil bas dans le ciel fait des pieds et des mains pour nous réchauffer, en vain. Il y a une lumière rasante permanente, propice aux contre-jours, jamais trop dure ou alors joliment dure. Bref, j’avais l’appareil autour du cou et la déclenchite aigüe, et j’avoue qu’au Louvre, je cherchais plus des scènes attirant mon regard qu’à admirer les Chevaux de Marly (pourtant sublimes).

 

Bref, je passe dans ce grand hall magnifique où sont exposées de nombreuses sculptures, certaines proprement monumentales. Beaucoup d’étudiantes en art sont là, assises par terre avec un crayon et un calepin, et dessinent. Je ne vois pas un mec (comme quoi le cliché est vrai), mais un enfant de 10 ans peut-être, qui dessine mieux que tout ce que j’ai jamais fait. Tout ça m’incite à être un peu plus attentif : moi qui aime l’humain et surtout les artistes, je sens mon esprit photographique titillé. Plusieurs scènes s’offrent à moi, mais pas une ne déclenche (sans jeu de mot) vraiment mon envie. Je passe à côté d’une fille qui dessine debout, mon œil frétille comme un saumon qui remonte le courant en automne, cherche un angle de vue, mais au bout de 2 secondes elle remballe. Tant pis pour la photo spontanée.

Et puis je trouve ce qu’il me faut. Une étudiante, à l’air presque enfantin, dessine Amphitrite, de Jacques Prou (oui, j’ai recherché sur le site du Louvre pour trouver le nom :D ). Immédiatement, de l’endroit où je suis, je vois une image. Je peux en faire quelque chose, je le sais, je le sens. J’espère que vous avez déjà eu cette sensation, car je l’adore.

Seulement voilà, vu comment je veux cadrer (face à elle en me plaçant plus ou moins derrière la sculpture), elle va forcément me voir. Même avec un hybride, ce sera absolument évident que c’est elle que je photographie.
Alors je dois l’avouer humblement, sur le moment, j’abandonne l’idée. Je tourne un peu dans le musée, mais je suis terriblement frustré, et j’ai cette hypothétique image qui me reste devant les yeux, un peu comme une vive lumière s’imprime sur la rétine quelques minutes. Pour être honnête, j’ai bien du tourner 10 minutes avant de me dire que franchement, je pouvais toujours demander, et que ça ne coûtait rien. Surtout que j’ai fait des trucs bien plus flippants, mais que voulez-vous, on a tous des moments de manque de confiance.

Je me suis donc simplement dirigé vers elle :

- Bonjour, je suis photographe, et ça fait 10 minutes que j’ai une image qui me trotte en tête, et je n’arrive pas à m’en défaire. Il se trouve que t’es dedans ! Ca ne te dérange pas si je prends quelques photos ?

- Non, bien sûr ! :)

- Ok super, continue juste ce que tu faisais !

Oui, c’est tout. Pas de quoi en faire un plat. Tout ça pour vous dire que tout le monde a peur d’aller demander, et qu’il n’y a pas de quoi. Les gens vous diront oui. Et avec le sourire en plus. Surtout les artistes : son « bien sûr » était révélateur. Les artistes comprennent ce besoin de sortir quelque chose, car ils ont le même.

La prise de vue

Assez parlé poésie, et parlons prise de vue ! L’appareil est réglé en priorité ouverture, à f/1,7, l’ouverture maximale, car je veux l’isoler du reste de l’image, même si elle ne sera pas très près et donc que j’aurai quand même une assez grande profondeur de champ (la distance de mise au point étant assez lointaine). Je suis en RAW bien sûr, et en noir et blanc, car c’est comme ça que je vois la photo à ce moment-là. Même si le RAW apparaîtra en couleurs dans le logiciel, ça me permet de voir plus facilement comment se répartissent les tonalités.

 

Je commence par me placer là où je le voulais dès le départ : derrière la statue, légèrement à la gauche de la jeune fille, de manière à avoir la statue en premier plan un peu flou. Je cadre assez précisément, sans couper la statue, en positionnant mon sujet au mieux, et je prends un premier cliché.

(JPEG sorti de boîtier, comme les autres photos brouillons de la série)

(JPEG sorti de boîtier, comme les autres photos brouillons de la série)

Je remarque 2 défauts : c’est beaucoup mieux si elle regarde la statue quand je déclenche (évidemment), et les lignes ne sont pas forcément très bien alignées avec les coins ou les bords du cadre. Je les corrige dans une deuxième image, 17 secondes plus tard.

P1030577

 

Seulement voilà, il manque quelque chose à cette image. Ce n’est pas mauvais, mais quelque chose ne colle pas. La composition manque d’équilibre : les éléments principaux (la jeune fille et la statue) sont mal placés entre eux. Son pied est recouvert par la main de la statue. De plus, les lignes diagonales ne le sont pas assez pour donner une vraie force à l’image et servir le sujet. Si je me déplace à droite, je serais trop de profil par rapport à elle, considérant que je veux voir son visage. Si je me déplace un peu à gauche, je centre un peu plus les 2 éléments et l’équilibre de l’image est encore moins bon à mon sens, et en tout cas moins dynamique.

Considérez que j’analyse tout ça a posteriori, mais que sur le moment je fais simplement de petits mouvements et que je vois que ça ne fonctionne pas.

 

Mentalement, de façon semi-consciente, je passe en revue tout ce que j’ai comme outils à ma disposition pour améliorer la composition. Je ne le pense pas de manière consciente sur le moment, mais je vais choisir de me placer de manière frontale par rapport à mon sujet, et donc de me décaler vers ma gauche. Je vais donc placer la statue à droite de la jeune fille, et non l’inverse.

Ce positionnement a un double avantage (là encore, c’est une analyse a posteriori : sur le moment, je me dis juste « ah oui, ça c’est bien ! ») :

  • Il me permet d’éliminer le problème des lignes formées par les marches, qui deviennent horizontales et vont donner une assise à l’image (au propre comme au figuré). Par la même occasion, j’élimine l’escalier à l’arrière-plan. Ce dernier devient plus complexe mais finalement moins gênant car la composition est plus simple et claire.
    On pourrait se dire qu’il était possible d’exploiter les lignes pour mener le regard vers le sujet. On verra que le premier plan un peu flou qui agit comme un semi-cadre dans le cadre permet également d’obtenir cet effet-là.
  • Il me permet de placer la jeune fille par rapport à la statue de manière plus souple, et donc d’équilibrer mon image.

Je prends donc une nouvelle photo, 33 secondes après la précédente :

P1030578

J’aime beaucoup la composition, mais trop excité d’avoir trouvé le bon placement, j’en oublie d’attendre qu’elle lève les yeux. Je ne bouge pas mon cadrage, et 9 secondes plus tard je prends la bonne.

(JPEG boîtier aussi, histoire de vous montrer la différence après post-traitement)

(JPEG boîtier aussi, histoire de vous montrer la différence après post-traitement)

D’où le titre de cet article : 59 secondes se sont passées entre la première et la quatrième et dernière image, la bonne. Mais évidemment, j’avais hésité 15 minutes avant, ça m’a donné le temps de mûrir mon idée :)

Elle voit que je suis satisfait, me lance un regard, je lui murmure un merci de loin, et je m’en vais.

Le post-traitement

Le travail ne s’arrête pas là bien entendu ! Il faut ensuite sublimer son image au post-traitement, pour lui donner le traitement qu’elle mérite.

La première chose que je remarque est que l’image est clairement sous-exposée. A la prise de vue, de peur de rater l’instant, je n’ai même pas vérifié mon histogramme (ça arrive à tout le monde ! :D ). Fort heureusement, à f/1.7, 1/60s et 400 ISO, si j’avais surexposé à la prise de vue j’aurais de toute façon monté les ISO, ce qui revient plus au moins au même que de monter le curseur d’exposition au post-traitement (les 2 créent du bruit).

Après un passage en noir et blanc puisque c’est ce que je voulais, je commence donc par monter l’exposition à +1,5. C’est déjà bien mieux. L’image est lumineuse, et mon sujet, habillée de manière plus sombre, se détache bien sur l’arrière-plan (car le contraste attire l’oeil). Par contre les zones d’ombres sont un peu claires, du coup je baisse mes Noirs à -15, histoire de leur donner un peu de présence.

Je rajoute également +25 de Clarté, c’est-à-dire de micro-contraste, pour mettre en valeur les textures et donner un rendu un peu moins lisse.

Malgré tout, je ne suis pas tout à fait satisfait du rendu, il me faut ajouter du contraste. J’essaye d’abord directement avec l’outil de Contraste, mais pour cette image ça manque de subtilité : mon sujet devient trop sombre et l’environnement trop clair. Je passe donc par l’outil Courbe des tonalitéspour prendre la main. Comme l’aurait fait l’outil Contraste, j’augmente la luminosité des Hautes lumières (+20) et des Tons clairs (+10), mais par contre je ne baisse pas celles des Tons sombres (qui correspondent à la jeune fille), et encore un peu ceux des Ombres (-20).

Je suis presque content. L’image me va comme ça, mais je veux lui apporter un soin particulier, étant donné que je l’aime beaucoup. Je fais donc autre chose, et reviens sur mon image plus tard (c’est très utile pour prendre du recul par rapport à son propre post-traitement).

 

En la regardant de nouveau, je vais remarquer que mon œil a tendance à aller vers le haut de l’image. C’est normal, il y a des zones lumineuses et contrastées. Je l’avais vu à la prise de vue, mais pour les virer de l’image, il aurait fallu me placer plus haut, et ça aurait donné un point de vue que je n’aimais pas sur mon sujet : je la voulais à ma hauteur.

Je vais donc appliquer un Filtre gradué pour assombrir le haut de l’image, avec une Exposition de -0,5. Ca permettra de moins attirer l’attention dessus. Il passe sur la tête de la statue, mais ça ne choque pas. J’aurais sans doute pu aller jusque -1 s’il n’y avait pas eu cette tête.

J’applique ensuite une amélioration de la netteté et une réduction du bruit classiques, et puis voilà !

"Le dessin est la probité de l'art." - Ingres

« Le dessin est la probité de l’art. » – Ingres

 

J’espère que cette histoire vous a plu et vous aidera dans votre pratique photo ! :) N’hésitez pas à laisser un commentaire pour me donner votre avis sur l’image oui pour raconter vous aussi l’histoire d’une photo. Et si la jeune fille à la perle à la statue passe par là, je serais ravi de lui offrir un tirage ;)