(Deauville) Le réalisateur Lucas Belvaux a présenté vendredi à Deauville Des hommes, un film qui invite à comprendre ce qui s’est passé durant la guerre d’Algérie dans la tête d’un appelé, devenu un sexagénaire raciste interprété par Gérard Depardieu.

Publié le 11 septembre 2020 à 14h03
       
CHLOÉ COUPEAUAGENCE FRANCE-PRESSE

« C’est un film qui, comme le livre éponyme de Laurent Mauvignier dont il est tiré, se veut un peu réparateur » en « reconnaissant toutes les souffrances », explique le cinéaste franco-belge dans un entretien accordé à l’AFP.

« Il y a eu évidemment les souffrances du peuple algérien qui ont été très longues, mais celle des appelés a été extrêmement profonde aussi, la souffrance des harkis, la souffrance des pieds-noirs, avec énormément d’injustice dans tous les sens et de non-reconnaissance. On en subit les séquelles encore aujourd’hui ».

Interprété également par Jean-Pierre Darroussin et Catherine Frot, Des hommes, qui doit sortir le 11 novembre, a été brièvement applaudi vendredi soir après sa projection au festival de cinéma américain de Deauville (Calvados). Il fait partie de neuf films sélectionnés à Cannes, mais présentés en Normandie.

 

Feu-de-bois (Gérard Depardieu) est un imposant sexagénaire, explosif, raciste, qui un soir s’introduit ivre chez Saïd, comme s’il était chez lui, plaque sa femme au mur, traite la famille de « bougnoules ». Dans son village, il est peu aimé, même de Rabut (Jean-Pierre Darroussin) qui comme lui a fait la guerre d’Algérie, mais dont la retenue n’a d’égal que la truculence de son ennemi de toujours.

La tendresse que Feu-de-bois exprime pour sa sœur (Catherine Frot), qui condamne ses dérives, convainc toutefois le spectateur de tenter de comprendre cet ogre antipathique.

Alors que les gendarmes s’apprêtent à arrêter son frère, Solange se replonge dans les lettres qu’il lui envoyait d’Algérie.

Quarante ans plus tôt, celui qu’on appelait encore Bernard est un jeune homme qui découvre la beauté d’un pays. « Cela doit être formidable de vivre ici », écrit-il. Mais il y a aussi ce que le jeune homme de 20 ans ne raconte pas parce qu’« il n’y a pas de mots pour ça ».

Rentré chez lui, le sexagénaire se souvient du massacre de civils algériens auquel il a assisté impuissant. « Si j’avais été d’ici j’aurais été fellaga », pense alors le jeune homme avant que son camp ne soit à son tour victime d’une boucherie.

« Cassés à vie »

Les souvenirs de Bernard et Rabut sont ponctués de silences marqués.

« On dit souvent que les anciens d’Algérie n’ont pas raconté, je crois surtout que personne ne voulait les entendre. On les a condamnés à ce silence, qui est la marque de la guerre d’Algérie », commente le cinéaste de 58 ans qui s’est appuyé sur les recherches de Benjamin Stora.

« Ce qui est intéressant dans le film c’est sa lecture de ce conflit comme d’un secret de famille. Et on le sait un secret de famille c’est une violence sourde, très noire, enfouie... mais qui ressort inexorablement un jour ou l’autre », commente l’historien cité dans le dossier de presse du film.

Des hommes n’évoque pas la torture. « On ne peut pas tout raconter. Je n’allais pas faire un catalogue des horreurs », explique Lucas Belvaux pour qui le film vient « naturellement » après Chez nous, qui scrutait le FN en 2017. « Le FN s’est, en grande partie, construit sur les cendres de cette guerre-là », ajoute le cinéaste.

Dans le film certains appelés en revanche osent faire le parallèle avec le nazisme et en particulier le massacre d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), perpétré par les SS, 18 ans avant la fin de la guerre d’Algérie.

« À l’époque pour les appelés c’est extrêmement présent, comme la Résistance, comme l’occupation. Quand les enfants les regardent, ils se voient eux en train de regarder les soldats allemands, ils voient la peur et donc ça les trouble beaucoup », poursuit Lucas Belvaux.

« Ces jeunes gens sont entrés dans la guerre sans être prévenus de ce qu’ils allaient y voir et y faire. Beaucoup en sont sortis murés. Certains ont été cassés à vie », complète Benjamin Stora.