Jean B. Vous êtes resté huit mois dans les Aurès, qu'est-ce qui vous a le plus marqué pendant votre séjour?Malek Bensmaïl. Le plus marqué, c'est l'accueil du village, de toute la région, qui a été formidable. Le tournage s'est passé difficilement au début, parce que la région des Aurès est une région fermée, frondeuse, qui n'accepte pas l'étranger, même je viens de Constantine, les choses se sont faites tout au long de l'année.

Genêt. Pourquoi avez-vous choisi les Aurès comme lieu de tournage?

J'ai voulu revenir dans les Aurès, à Ghassira, là où a eu lieu le premier attentat, le 1er novembre 1954, dont les victimes furent le couple d'instituteurs. J'ai installé ma caméra cinquante ans plus tard, dans la même école, voire dans la même classe. J'ai donc voulu faire un film sur le thème de la transmission, aussi bien au sein de l'école, mais aussi au sein de l'histoire du village.

Omar Gatlato. De quel oeil les autorités algériennes ont vu votre tournage

 

?Il faut savoir que les autorités algériennes ont bien voulu aider le projet. C'est le premier film qui été aidé financièrement par les autorités algériennes, ce qui n'empêche qu'après visionnage du film, ils n'ont pas souhaité verser les secondes tranches de subventions. Mais un pas a été fait...

Morgan. J'avais vu le film au festival des 3 continents à Nantes l'année dernière. Un bon souvenir de ce festival?Un très bon souvenir puisque c'était la première nationale en France, d'autant qu'il a obtenu un prix spécial du jury.

Michel. Pour réaliser ce film combien étiez-vous? Votre présence pendant huit mois n'a-t-elle pas trop pesée sur le village?

Il ne s'agit pas de huit mois consécutifs, mais de tranches de 20 jours par saison.

Franck. Pourquoi consacrez-vous votre travail artistique à l'Algérie?

Le documentaire a une importance en Algérie, et plus particulièrement dans le monde arabe. Il est difficile aujourd'hui de réaliser et produire des documentaires dans ces régions, où les gouvernants sont plutôt autoritaires, voire totalitaires. Ils n'acceptent pas facilement de voir des documentaires dont la thématique serait socio-politique. Mais, en même temps, il est important, en tant que cinéaste, d'enregistrer notre mémoire contemporaine et de filmer le quotidien de notre vie, même si cela nous fait mal.

Basile. Après cinquante ans, comment les habitants de Ghassira perçoivent-ils la France? Entretiennent-ils de l'hostilité à l'égard des Français?

Non, il n'y a pas d'hostilité envers les Français. Mais à travers la transmission des manuels scolaires, le système éducatif oriente la pensée des enfants, dans une direction justement plutôt hostile vis-à-vis de la France. Le film travaille justement sur cette démystification de la «Guerre d'Algérie» ou de la «Révolution algérienne».

Filip. Vous avez passé beaucoup de temps avec les instituteurs de Ghassira, est-ce qu'ils vous ont exprimé leur désir de voir changer le système éducatif algérien? Quels changements? 

Au début, non. Mais, au fil des saisons, ils ont compris que je ne faisais pas un film sur eux, mais avec eux, et qui questionne le système éducatif. Peu à peu, ils ont saisi l'importance, en tout cas de ce qui était transmis, et que parfois les choses n'étaient pas aussi claires pour eux. Ils prenaient conscience, au fur et à mesure de l'enjeu, de la transmission en Algérie.

Surprise. Avez-vous vu «Entre les murs» de Laurent Cantet, ce film vous a-t-il inspiré pour réaliser le vôtre?

 Mon film a été finalisé en décembre 2008, bien avant la sortie du film de Laurent Cantet. Donc, il ne m'a pas du tout inspiré. Nous n'avons pas eu la même problématique économique pour terminer chacun son film.

Arnaud. Avez-vous projeté «La Chine est encore loin» à Ghassira?

Si oui, comment a-t-il été perçu? 

Non, le film n'a pas encore été montré au sein du village, puisque nous attendons toujours le visa d'exploitation pour pouvoir le montrer en Algérie.

Ali. Est-ce qu'il existe des DVD de vos oeuvres?

Pas pour l'instant. L'INA, qui a souvent coproduit mes films, réfléchit en ce moment à une sortie d'un coffret de mes films.Curieuse.« La Chine est encore loin » va-t-il être diffusé à la télé? 

France 2 et France 5 sont coproducteurs du film. Ils vont d'ici quelques mois, après la sortie salle, pouvoir le diffuser. La télévision algérienne, elle aussi coproductrice, a décidé, pour le moment, de ne pas le diffuser, comme l'ensemble de mes autres films.

Patatra. Quelles sont vos dernières collaborations cinématographiques ?

De quelles collaborations parlez-vous?

Figue. Quelles perspectives voyez-vous pour la jeunesses algérienne? 

Je crois qu'il est nécessaire de réformer d'urgence le système éducatif pour pouvoir donner les possibilités à la jeunesse algérienne de s'autocritiquer, et de pouvoir mettre en place une mise en perspective d'avenir, sans pour autant tout attendre d'un Etat défaillant.Omar Gatlato. Comment se fait-il que 50 ans après, où des Algériens sont morts pour l'indépendance de ce pays, des algériens meurent (harragas) pour venir vivre sur la terre de leurs anciens colonisateurs?

Cela fait partie des paradoxes de l'être humain. Les relations franco algériennes existent, on devrait plutôt les améliorer, et probablement mettre à plat l'Histoire franco algérienne. Je pense qu'il serait souhaitable de mettre en place peut-être un comité d'historiens franco algériens pour écrire des manuels d'Histoire aussi bien pour les enfants français que pour les enfants algériens, une Histoire définitivement commune.Omar Gatlato. ça ne répond pas du tout à ma question. 

Je n'ai pas de réponse toute faite à votre question, mais peut être des solutions à proposer, je ne suis qu'un cinéaste.

N'est-ce pas un peu langue de bois de parler des paradoxes de l'être humain, là où d'autres parleraient avec courage de l'inaptitude des dirigeants algériens? 

Ce que vous dites est juste, ce qui n'enlève en rien l'espoir que je porte en l'être humain pour pouvoir faire avancer une société, sinon je ne ferais pas de film.

Omar Gatlato. Est-il facile d'aller tourner en Algérie ?

C'est toujours compliqué de tourner en Algérie, les choses ne sont pas aussi simples, mais il faut continuer à faire des films.