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Par hechache2 le 16 Février 2014 à 12:38
RACHID BOUCHAREB. Cinéaste algérien
«Je veux aller vers des endroits qui m’ont raconté une histoire»
le 15.02.14 | 10h00 Réagissez
zoom | © Photo : B. SouhilLe cinéaste algérien, Rachid Bouchareb, était à Alger la semaine écoulée avec l’équipe du film Enemy Way (La voie de l’ennemi) pour la projection en avant-première. Il était accompagné des célèbres comédiens Forest Whitaker et Luis Guzman. Etaient du voyage également la Britannique Brenda Blethyn et la Mexicaine Dolores Heredia. L’équipe était présente lors de la projection du film à la salle El Mougar, à Alger. Le film, en compétitition officielle au Festival de Berlin, raconte l’histoire de William Garnett (Forest Whitaker) qui sort de prison après 18 ans de détention. Converti à l’islam, il tente de «refaire» sa vie, mais rencontre une hostilité du shérif Bill Agati (Harvey Keitel) et le soutien de l’agent de probation Emily Smith (Brenda Blethyn). La filmographie de Rachid Bouchareb est riche de plusieurs films marquants comme Bâton rouge (1985), Poussières de vie (1995), Little Senegal (2001), Indigènes (2006) et Hors-la-loi (2010).
- Comment est né ce projet de Enemy Way dont le récit est quelque peu inattendu ?
J’ai rencontré Forest Whitaker il y a quelques années. Il y a eu l’idée de faire un film, et j’avais également envie de faire un deuxième long métrage aux Etats-Unis avec un acteur connu. Dans mon travail avec le scénariste Olivier Lorelle, j’aime bien enquêter aux Etats-Unis et voir ce qui se passe sur le terrain. Certains thèmes m’intéressent. D’où l’installation du film Enemy Way aux frontières américano-mexicaines.
- Justement, pourquoi ce choix borderline, la frontière, l’entre-deux ?
C’est ce que j’ai fait entre l’Algérie et la France pour évoquer l’immigration, sauf que la Méditerranée séparait les deux pays ! Les Américains bâtissent actuellement un mur entre eux et le Mexique. Ils veulent couper physiquement la frontière pour qu’elle devienne de plus en plus infranchissable.
- La thématique de la migration est souvent présente dans votre travail cinématographique…
Dans Enemy Way, l’immigration mexicaine et sud-américaine. Des Péruviens, des Boliviens et d’autres vivent aux Etats-Unis. Ils font un long trajet pour y arriver…
- Enemy Way est inspiré librement du film de Joe Giovanni, Deux hommes dans la ville (1973). Pourquoi le choix de ce film ?
Il y a peut-être vingt ans, j’ai vu Deux hommes dans la ville. Un film qui m’a beaucoup marqué. Il s’agit d’un film politique qui dénonçait la peine de mort. Le rôle du prisonnier a été interprété par Alain Delon. Un prisonnier qui n’avait pas le droit à une seconde chance après avoir purgé sa peine. Cette histoire m’est restée. J’ai pris cette base pour l’écriture du scénario. Après un long travail, il ne restait pas grand-chose de l’histoire initiale.
- Avez-vous pensé à Forest Whitaker pour le premier rôle dès le début ? Est-ce lié à sa manière de jouer ?
Oui, parce que Forest Whitaker est un acteur du silence. C’est un acteur de l’intérieur. J’ai toujours aimé le travail qu’il a fait dans de nombreux longs métrages. Un travail étonnant. Il est pour moi l’un des grands acteurs américains actuellement. Forest travaille beaucoup sur la préparation. Par exemple, pour la conversion à l’islam dans le film, il a rencontré et travaillé avec deux imams. Il a essayé pendant quelques mois de «rentrer» dans la religion musulmane. Beaucoup d’acteurs américains travaillent comme cela… Je voulais aborder la question de musulmans afro-américains dans le film.
- Et pourquoi le choix de Harvey Keitel ?
Comme Forest Whitaker ou Brenda Blethyn, Harvey Keitel a une histoire importante avec le cinéma. Il fait partie de ces acteurs qui à chaque fois veulent faire des choses différentes. Harvey Keitel n’a jamais interprété le rôle d’un shérif du Sud américain. Il voulait tenter l’expérience.
- Pour vous, il fallait d’abord faire un film sans se limiter au scénario...
Il y a peu d’intérêt à se limiter à raconter les scènes écrites du film les unes après les autres. Il faut inventer et réinventer le film à chaque fois. Il faut éviter de raconter l’histoire d’une manière mécanique, mais essayer de construire un film, avec le jeu des acteurs, un film au-dessus du scénario.
- Enemy Way est planté dans des espaces ouverts, le Sud américain. Vous avez beaucoup insisté sur l’éclatement, les maisons sont éloignées, la ville est peu présente…
Même si elle existe, je ne voulais pas d’une ville. Dans le film, la ville est petite, les personnages vivent tout autour. Les paysages montrés sont ceux des Etats américains du Sud. Les villes y sont petites. On habite donc à dix, quinze kilomètres de la cité. C’est tellement grand ce pays. D’où l’idée de personnages habitant à peu près à ces distances dans le film. Et pourtant, ils arrivent à vivre comme s’ils étaient dans une petite ville !
- Vous avez travaillé avec Yasmina Khadra pour le scénario de Enemy Way ; comment s’est faite la rencontre ?
C’est la première fois que je travaille avec lui. Nous avions envie de travailler sur des sujets. Il vient de m’écrire le scénario d’un film qui se passe à Cuba. On préfère attendre un peu avant d’en dire plus.
- Etes-vous intéressé par l’adaptation des romans de Yasmina Khadra ? deux l’ont été déjà, L’Attentat et Ce que le jour doit à la nuit ?
J’ai tellement d’idées de films que j’aimerais faire. Et, pourquoi pas, adapter un roman de Yasmina Khadra au grand écran. Là, je m’oriente vers de nouvelles idées. Par exemple, aller à Cuba réaliser un film, évoquer la Révolution cubaine. Je veux aller vers des endroits qui m’ont raconté une histoire, qui m’ont marqué. Cela me donnera de l’énergie pour faire un film.
- Vous avez dit que vous voulez faire rencontrer des comédiens algériens et américains dans un film. Qu’en est-il ?
Oui, oui, j’aimerais bien concrétiser ce projet ! Les acteurs qui sont venus à Alger partagent la même idée que moi. Leur envie de se déplacer en Algérie était très grande. Ils ont aimé le pays, la chaleur des gens. Je veux bien voir Forest Whitaker, Harvey Keitel et Luis Guzman avec un casting algérien. Il suffit de trouver une belle histoire à raconter. De tout façon, je ferai un film avec cette idée… Il y a eu une rencontre ici à Alger, par exemple, entre Fawzi Saïchi et Forest Whitaker et Luis Guzman. D’autres acteurs du film Hors-la-loi sont également venus. J’ai trouvé cette rencontre formidable.
- Comparé à vos précédents films, Enemy Way nous fait découvrir un autre Rachid Bouchareb, une autre manière de voir le monde... Ou s’agit-il d’une simple impression ?
Il faut que je trouve à chaque fois un challenge. J’ai envie de grandir dans le cinéma. Je vais vers des enjeux plus importants, je tourne aux Etats-Unis en langue anglaise avec des acteurs de grande envergure. Je veux aller vers d’autres terrains vierges, vers du nouveau… Cela me permet d’avoir un souffle. Je ne suis pas usé parce qu’à chaque fois je vais dans des mondes différents, avec des gens et des talents différents, cela me secoue.
- A peine achevé, Enemy way est en sélection officielle au festival de Berlin…
Je suis ravi que le Festival de Berlin ait retenu le film au milieu de toute la production mondiale. Je viens juste de finir le film comme vous le dites. Je suis ravi que le film soit projeté en Algérie aussi. A Berlin, le public a très bien accueilli le film. Pas mal de questions intéressantes nous ont été posées lors de la conférence de presse d’après la projection. La presse internationale s’est intéressée aussi au film. Nous avons passé une journée à répondre aux demandes d’interviews.
- Après l’épisode Hors-la-loi, vous ne tournez plus en France. Allez vous y revenir ?
Je vais tourner partout. J’ai des projets de films en France. Quand le moment viendra, je vais lancer le tournage. Je n’ai aucun problème. Produit par l’Algérie et les Etats-Unis, Enemy way a bénéficié également d’une contribution française et belge. Tous les partenaires qui étaient avec moi dans Hors-la-loi sont également présents dans Enemy way. Sur le plan économique, il n’y a pas eu de coupure.
- L’épisode Hors-la-loi a-t-il été oublié ?
Hors-la-loi a été un film qui a bousculé des gens en France, qui a suscité des réactions au moment du Festival de Cannes. Je ne pense pas que ce soit oublié… Le film a été vu ailleurs dans le monde. Les réactions à Cannes lui ont fait une très bonne publicité !
- La guerre de Libération nationale vous inspire-t-elle toujours pour d’autres longs métrages ?
J’aimerais bien faire un autre film sur cette guerre. J’ai quelques idées. Il reste encore des choses à raconter. Il n’y a pas eu beaucoup de films sur ce thème-là. Je ne me censure jamais, ne me pose jamais de questions : est-ce que je vais attaquer un tabou ou pas, dire ou pas dire ? Non, ce n’est pas comme cela que je fonctionne. Je mène mon enquête, élabore mon histoire sans me limiter.
- Revenons à l’idée de l’ennemi. Dans Enemy Way, on ne sait pas si le shérif Agati est raciste et islamophobe. Mais, disons que la méfiance à l’égard des musulmans est présente dans l’Amérique post 11 septembre...
J’ai discuté longuement avec Harvey Keitel sur la complexité du shérif, le montrer ému lorsqu’il trouve des migrants morts en plein désert après avoir été trahis par les passeurs. Le shérif a donc cette humanité parce qu’il est un père de famille.
Garnett se convertit à l’islam, il suscite donc la méfiance. Double méfiance même : préparait-il un mauvais coup ? Est-il crédible dans sa conversion ou pas ? Il y a tout cela dedans. Aux Etats-Unis, dans les Etats reculés, il y a une méconnaissance de l’islam, une peur des musulmans. Le shérif, fils de chrétien, est quelque peu dans cette situation, déstabilisé. Il se pose des questions sur la conversion de Garnett qui, lui, est allé en prison pour avoir commis un crime. Avant qu’il ne soit musulman, Garnett est pour le shérif un criminel qui a tué un de ses hommes. Dans les milieux de la police, on déteste les assassins des agents. Il y a donc une pression supplémentaire au sein de la corporation.- Existe-t-il un lien entre Enemy Way et votre précédent film Just like a woman ?
Just like a woman s’intéressait à une famille algérienne installée à Chicago. Je voulais aller dans le sens de la comédie dramatique avec cette idée de Billy dance (danse orientale), de jeunes femmes qui fuguent, l’une quitte son mari, l’autre sa famille. Elles fuguent pour avoir une autre vie, engagées sur les routes d’Amérique. Elles gagnent leur vie en dansant dans les restaurants et bars avec de la musique arabe. C’est une manière d’aborder la question du racisme.
- Y aura-t-il une suite à ces deux films ?
J’ai déjà un scénario. C’est l’histoire d’un policier musulman qui débarque aux Etats-Unis pour mener une enquête avec un policier américain. Il s’agit d’un film de tandem sur le modèle de Rush hour (de Brett Ratner avec Jackie chan) et de 48 heures (de Walter Hill). D’ailleurs, mon scénario a été écrit avec un des scénaristes américains de 48 heures.
C’est donc une comédie où l’on voit l’affrontement entre deux policiers venant d’univers différents. C’est classique comme sujet, mais au fil de l’histoire, beaucoup de choses seront découvertes. Je ne vais pas commencer le tournage tout de suite. Mais ce prochain film, un policier avec un peu plus de sourire, sera le troisième volet de Just like a woman et Enemy Way. J’ai déjà rencontré une actrice pour interpréter un rôle de son film, c’est Queen Latifah (actrice et chanteuse américaine).
Fayçal Métaoui
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Par hechache2 le 11 Février 2014 à 12:34
Entretien avec le realisateur Lamine Merbah
" J'ai raconté la cassure de notre société "
Il s'est involontairement éclipsé de la scène cinématographique à cause de son état de santé. Le réalisateur Lamine Merbah revient et signe un nouveau film intitulé Le miroir brisé. Dans l'entretien qui suit, et qu'il a eu l'amabilité de nous accorder, le réalisateur fait une lecture générique de son film.
Le Soir d'Algérie : Pendant huit ans vous avez été contraint de vous éloigner de la scène cinématographique, comment s'est effectué votre retour au cinéma ?
Lamine Merbah : Ce fut un peu difficile. J'ai rencontré pas mal de problèmes, c'est évident, c'est la maladie qui a fait que j'ai arrêté mes activités cinématographiques. Une occasion m'a était donnée d'écrire et de réaliser une oeuvre. J'ai donc rattrapé le temps perdu et le fait d'avoir vécu à l'écart pendant ces huit ans m'a transformé en observateur. Je voyais la société évoluer. C'est vrai que tout le monde est là pour reconnaître qu'en dix ans l'Algérie a profondément changé. Je ne porte pas de jugement de valeur. En tant que citoyen, je peux dire que notre société a beaucoup changé, mais en tant que cinéaste je suis là pour renvoyer cette réalité au spectateur tout en conservant ma part de la vision des choses, c'est-à-dire décrire la société en mouvement. C'est de là que j'ai puisé ce thème de la cassure et de l'effritement qui découle de notre société éclatée.
Selon vous, à quoi est dû cet éclatement ?
Ceci peut être expliqué par l'effet de la longue nuit coloniale dont a profondément souffert notre peuple. La société algérienne est caractérisée, depuis toujours, par l'éclatement. Pendant la guerre de Libération, le peuple algérien a goutté à toutes les souffrances. Après l'indépendance, ce peuple a souhaité vivre dans l'harmonie, l'entente et la connivence, mais malheureusement, ce qu'on observe, notamment ces dernières années, est tout à fait le contraire, c'est l'éclatement de nouveau et cette fois ce n'est pas par le fait d'une intervention étrangère.
C'est là le thème du film, Le miroir brisé.
Dans Le miroir brisé, on note la présence, un peu frappante, d'une certaine incompréhension entre les générations ...
Enfin, je crois que le conflit de générations a toujours existé, parce que l'humanité ne cesse de progresser, mais, chez nous, il est aussi exacerbé par le fait de multiples contradictions d'ordre culturel, économique ... En fin de compte, plus personne ne comprend l'autre, même au sein d'une même famille. Le père qui pratique la religion selon les normes de sa société se retrouve devant ses enfants qui la pratiquent autrement.
On y dégage également une certaine lutte de classes ...
La lutte des classes, il est tout à fait évident qu'on retrouve cela dans mon film. On voit notamment à travers la personne du patron et de l'ouvrier. Et avec le capitalisme sauvage qui prend ses racines, l'effet s'exacerbe de plus en plus. Aujourd'hui, on est en train d'assister au développement vertigineux d'un certain capitalisme " médiéval " avec une mentalité féodale. C'est un capitalisme qui n'a rien à voir avec celui pratiqué en Europe, par exemple, où il existe quand même des lois et des syndicats qui préservent les droits de l'ouvrier, ce qui n'est pas le cas chez nous.
Quel est, au juste, le problème que vous posez dans Le miroir brisé ?
Dans le synopsis, je pose le problème suivant : comment réunir les morceaux du miroir brisé ? Comment tenir l'équilibre ? Je pense que c'est au politique de répondre à ces questions. A mon humble avis, je pense que c'est l'évolution de l'histoire qui a engendré toutes ces contradictions. Mon point de vue, en dehors de l'art, n'est pas de condamner X ou Y, tant que cela reste au niveau de l'opinion, du comportement légal, mais dès que les contradictions s'exacerbent au point où cela provoque des déviations, là, évidemment, le problème devient sérieux et plus complexe.
Concernant les acteurs, on voit dans votre film des jeunes qui font, et pour la première fois, leur apparition sur l'écran. Quelle est votre appréciation ?
Pour certains, je les ai déjà connus pour avoir travaillé avec eux, par contre, il y en a d'autres que j'ai vus pour la première fois. Je n'ai fait le casting qu'après avoir fait passer une annonce dans les journaux.
Tous les jeunes acteurs qui se sont présentés sont passés devant la caméra, ils ont joué des petites scènes, il y a eu également des étudiants venus de l'INADC, qui n'ont jamais fait de cinéma, c'est leur première expérience, et je peux dire que cela a été positif.
On remarque aussi que la plupart des séquences ont été tournées dans des décors naturels ... Est-ce un choix ?
Oui, c'est une question de choix ... Vous savez, les gens se sont habitués à tourner dans des décors réels. En ce qui me concerne, je préfère travailler dans un décor naturel, ça aide même le directeur de la photo pour mettre ses projecteurs là où il veut, mais aussi pour que je puisse faire correctement les mouvements de la caméra.
Enfin, je tiens à souligner que le film est actuellement présenté par l'ENTV sous forme de feuilleton d'une durée de 2 h 30. Il est réparti en 13 épisodes avec une durée de 25 minute chacun. Maintenant, en ce qui concerne le tournage, le film m'a pris quatre mois.
Entretien réalisé par Kamel C.
Le Soir d’Algérie jeudi 8 mai 2003 p. 11
www.kabyle.com - Le miroir brisé de Lamine Merbah (Liberté)
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Par hechache2 le 11 Février 2014 à 12:19
ENTRETIEN AVEC LE REALISATEUR ALGERIEN MOHAMED HAMIDI "L'Algérie est une partie de moi et je l'assume pleinement" Entretien réalisé à Cannes par Salim AGGAR
Alors que l'Algérie n'avait pas de film à présenter sur la Croisette, nous avons rencontré le seul cinéaste algérien sélectionné au Festival de Cannes avec son film français Né quelque part. Présenté en séance spéciale en sélection officielle, c'est la première expérience cinématographique de Mohamed Hamidi, un cinéaste au parcours rempli, qui a décidé de prendre la caméra et raconter l'histoire de son père et de son retour en Algérie. Entretien avec un cinéaste en colère qui espère un jour tourner en Algérie.
Né quelque part est un film sur l'identité et l'intégration. Pourquoi ce film aujourd'hui?
Mohamed Hamidi: Parce qu'en fait, c'est une histoire que je voulais raconter, il y a longtemps, c'est l'histoire de mon père et sur les rapports avec l'Algérie. C'est un pays que je connaissais très peu, que j'ai recommencé à découvrir vers l'âge de 28-29 ans, quand mon père était malade. J'ai compris que ce pays était important pour lui et important pour moi. Pour moi, c'est surtout des images d'adolescent, je ne suis pas allé en Algérie, parce que c'était les années noires. Quand j'avais 18 ans, il y avait une histoire de service militaire et une histoire de terrorisme et c'est vrai que l'ado que j'étais, j'avais plus envie de passer des vacances en France. Mais avec l'âge, j'ai découvert que c'est mon pays et j'avais envie de le redécouvrir, donc je suis retourné en Algérie, j'ai pris possession des lieux de la maison de mon père et de la petite terre de ma famille, c'est mes racines quoi! Aujourd'hui, ça prend son sens. J'ai des enfants et je m'aperçois que la transmission est importante et je n'ai pas envie de couper cet héritage, j'avais envie de le porter avec moi. L'Algérie, c'est une partie de moi et j'ai envie de l'assumer pleinement.
Le titre du film c'est Né quelque part, vous pensez que la question de l'identité se pose toujours?
En fait, moi je suis né en France et c'est vrai qu'il y a des tiraillements, moi et mes parents qui sont nés en Algérie. Dans ma famille, on est neuf enfants, seul ma grande soeur est née en Algérie en 1954. Ma mère a rejoint mon père en 1960 et on est tous nés en France.
Le pays où on est né et le pays où on a grandi nous conditionne; je suis persuadé que si j'étais né en Algérie dans le village d'où je viens, Mzaourou à côté de Nedroma, je n'aurais pas eu l'accès à l'éducation et à la culture; j'aurais eu une vie rurale, mes cousins qui sont de la même souche ont tous commencé à bosser à 13 ans parce qu'il fallait aider la maison!
Les années 1990, c'était les années dures en Algérie! Je sais que le fait d'être né en France ça m'a apporté autre chose et le fait de grandir en Algérie, je n'aurais pas été le même homme.
Votre film est présent à Cannes. Qu'est-ce qui fait que votre film soit sélectionné à la dernière minute?
Je pense que Thierry Frémaux a aimé le film, il nous a sélectionnés hors compétition parce qu'il voit plus de 3000 films et qu'il n'y avait plus de place dans les autres sélections. Il a tout de même voulu qu'on soit là parce qu'il aime le sujet et il nous a proposé d'être en «sélection officielle» en séance spéciale, c'est une bonne exposition pour le film, pour parler du sujet, pour nous c'est une grande joie, puisque ça nous donne une visibilité qui nous permette de faire connaître ce film et de le montrer à plus de gens, notamment à la presse internationale.
Vous êtes en sélection officielle hors compétition, mais vous concourez pour la Caméra d'or.
Effectivement, on concourt pour quelque chose, on n'est pas totalement hors compétition.
Alors Hamidi, vous ne venez pas du monde du cinéma, vous êtes venu du monde de l'Internet, de la vie associative, est-ce que vous aviez envie de faire du cinéma avant?
Moi, je fais des choses comme elles arrivent, j'ai eu une vie remplie, j'ai fait des études, j'ai enseigné, j'ai toujours été militant et artiste, depuis l'âge de 12 ans je fais de la musique, j'ai travaillé avec Jamel Debbouze (Ndlr). J'ai composé pour ses spectacles et dans la famille on est un peu comme ça, c'est notre père qui nous a transmis ça.
Mon frère est auteur dans les Guignols durant plus de 12 ans, il s'appelle Ahmed Hamidi. J'ai eu envie d'écrire et de raconter cette histoire.
Ça pouvait peut-être devenir un roman ou un récit, après j'ai rencontré Jamel et j'ai commencé à travailler avec lui, avec des artistes avec Malik Bentallah, avec Abdelkader Secteur, puis cette histoire s'est développée petit à petit et on m'a demandé de l'adapter au cinéma. J'ai toujours été une attirance pour le cinéma, je suis cinéphile. J'adore les films.
C'est votre premier film donc, mais pour réussir il vous faut du soutien et vous avez deux parties importantes qui ont porté votre projet, Jamel Debbouze et les producteurs du film Intouchables, mais qui a été réellement le plus important soutien dans votre aventure cinématographique?
Franchement, les deux. Jamel c'est celui qui a porté l'histoire au début et le premier qui a cru en cette histoire. Par contre, ont avait besoin d'avoir des producteurs expérimentés qui avait déjà fait de grands films, donc on a trouvé les producteurs de Intouchables pour le rôle de producteur exécutif et Jamal a tenu le rôle artistique. Il a été dans toutes les étapes dans le choix du casting, le choix du décor. Ce sont deux maisons totalement différentes mais c'était vraiment une collaboration pleine.
Votre film a été tourné entièrement au Maroc. Pourquoi ce choix pour un lieu et un espace pour une histoire qui est totalement algérienne?
Parce qu'en fait, quand j'ai voulu tourner en Algérie j'ai commencé à faire mes démarches, je suis allé voir Merzak Allouache, je suis allé voir un producteur algérien. J'avais peu de moyens pour tourner le film, Merzak Alouache m'a dit: «En Algérie, ça peut très bien se passer j'ai fait des films avec des équipes locales et on a eu toutes les autorisations possibles, mais parfois j'ai galéré, parfois j'ai attendu une autorisation pendant deux semaines, parfois je n'ai pas eu les équipes sur place.» Moi je n'avais pas les moyens ni les capacités de travailler comme ça, parce que c'était mon premier film et comme c'est un film qui se passe dans la campagne algérienne, pour moi et par souci d'efficacité j'ai préféré le situer dans un endroit où il y avait des structures de production et de cinéma un peu plus élaborées. Je rêvais de tourner en Algérie vraiment.
Il y a tout de même une image tournée en Algérie c'était l'atterrissage à l'aéroport de Zenata, c'était une galère. Il y a une image qui a duré 12 secondes et cela grâce à Air Algérie et grâce à l'aéroport, il a fallu intervenir on l'a eue. Je suis très fier d'avoir une image algérienne dans le film. C'est important. Moi, j'encourage le gouvernement algérien, les producteurs algériens et le nombre de réalisateurs français qui veulent tourner en Algérie et qui ont peur d'y aller! Le Maroc a une expérience depuis 30 ans, ils ont tourné des films américains, il y a des structures d'accueil, il y a même des encouragements pour revenir tourner au Maroc. Moi, j'encourage vraiment d'aller tourner en Algérie. Moi, je rêvais de tourner dans mon village, dans la maison de mon père à Mzaourou et Nedroma mais franchement je n'aurait pas eu l'aide et les structures nécessaires sur place! Il n'y a pas les techniciens sur place, j'ai enquêté j'ai essayé! Je n'étais pas assez implanté en Algérie pour pouvoir le faire. Je sais que quelques films se font en Algérie, Djamel Bensalah a tourné en Algérie ça été difficile, il a dû terminer le tournage au Maroc, ça a coûté plus cher, je ne voulais pas prendre ce risque! Pour moi, l'important, c'est ce que je raconte, pas le lieu où j'ai tourné!
Il n'y a pas de frontières entre les pays du Maghreb quoi?
Moi j'habite à 40 km du Maroc et Jamel à 50 km de l'Algérie, on parle pareil, par contre, j'ai fait attention pour le dialecte, ça parle algérien dans le film. J'ai écrit moi-même les dialogues en algérien, je les écris en phonétique j'ai fait des CD avec l'accent authentique, je ne voulais pas qu'il y ait un «wakha» dans le film. Seulement, voilà, c'est un film sur l'Algérie qui a été tourné au Maroc comme un film sur le Vietnam qui est tourné en République dominicaine. C'est un problème technique, mais en tous cas il y a le coeur en Algérie.
Quel est votre rapport avec le cinéma algérien aujourd'hui?L'Algérie a un stand même s'il n'y a pas de films en compétition, vous êtes malgré vous le seul cinéaste algérien présenté à Cannes! Je suis fier de représenter l'Algérie et la France, je ne connais pas beaucoup les cinéastes algériens, je les suis en tant que spectateur, Je suis Merzak Allouache depuis longtemps, Nadir Moknache, Rachid Djaïdani...
Qui est venu en Algérie à l'occasion du Festival du film engagé!
Oui, j'aimerais bien faire une projection en Algérie, j'en ai parlé lors des spectacles de Jamel Debbouze à Alger et Oran. Je suis le cinéma algérien, je sais qu'il est en croissance, je sais qu'il n'est pas forcément aidé, encore j'espère qu'il soit développé parce qu'il y a des talents. Il faut aider les gens. En France, il y a le CNC, au Maroc il y a le CCM qui aide les cinéastes à faire leur film. En Algérie, il faut des instances comme ça qui aident les cinéastes algériens à faire des courts métrages....
Mais il y a des instances d'aide au cinéma en Algérie!
Oui, mais est-ce qu'elles sont suffisamment démocratiques, suffisamment accessibles au peuple, est-ce que ces subventions vont vers les bons artistes, est-ce qu'ils recherchent les vrais talents, moi je suis prêt à faire plein de choses, mais je pense qu'il faut lâcher les chiens, il faut regarder vers l'avenir. On est fier de notre passé, de notre histoire, il faut arrêter d'être dans l'esprit revanchard, l'esprit hargneux. Il faut être positif, on a un beau pays, une belle jeunesse, une fierté et une histoire formidable, il faut la tourner en notre faveur, il faut vraiment qu'on s'ouvre un peu!
Pour revenir au film, vous avez décrit une Algérie profonde qui n'est pas celle d'aujourd'hui?
Franchement, le décor est construit sur la base des photos prises dans mon village, c'est une zone rurale dans une petit bled, mais on a voulu faire la comédie en créant cet arbre phone; Mais à l'heure de la téléphonie mobile, cela offre une image d'un pays sous-développé!
Eh ben, l'Algérie est un pays en voie de développement, comme le Maroc, il ne faut pas avoir peur de le dire! Ces pays qui ont de grandes richesses, mais ne sont pas partagées avec le peuple! L'Algérie est un pays riche, mais les gens ne le sont pas encore assez. Il ne faut pas avoir peur de dire des choses, moi j'aime mon pays, mais j'aimerais que dans mon bled, il y ait plus de taxis plus d'accès à Internet, plus de routes goudronnées. J'aimerais que dans mon bled, je fasse le plein d'essence sans attendre 12 heures pour que les trafiquants remplissent leur camion, j'aimerais que dans mon bled, qu'il y ait un hôtel à Nedroma! C'est une ville qui n'a pas d'hôtel... il faut aller à Tlemcen.
Pour finir, qu'est-ce que vous avez à dire aujourd'hui en tant que cinéaste algérien installé en France?
Je souhaite qu'on encourage tous les gens qui ont des choses à raconter sur l'Algérie et raconter de manière ouverte et intelligente leur histoire, je pense qu'il faut leur donner les moyens. Je pense qu'il y a une vraie force en Algérie, des comédiens des humoristes. Abdelkader Secteur par exemple, il était là, personne ne le regardait. Il était de mon village, je le connais depuis longtemps, il était de Ghazaouet et moi de Nedroma, mais qui faisait marrer les Algériens, des copains, des mecs qui travaillaient à la Télévision algérienne. Ça s'est terminé aujourd'hui! Parce qu'il y a Internet, YouTube... Il faut révéler les vrais talents, pas parce que c'est le copain des copains des gens qui tiennent les clés de la télé algérienne ou du ministère de la Culture. Il faut mettre en avant les bons et pas les mieux placés. Il faut arrêter avec cette politique du piston, du cousin, du machin... Il faut prendre les bons, les plus sérieux et leur donner leur chance.Partager cet article sur lien Cette Actualité a été lu 342 fois.
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Par hechache2 le 11 Février 2014 à 12:00
Forest Whitaker : «Le monde ne pourra pas retrouver la paix si l’Afrique n’est pas guérie de ses maux»
le 11.02.14 | 10h00 Réagissez
zoom | © D. R.-Qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario d’Enemy Way pour accepter de jouer le premier rôle ?
Avant de décider de travailler avec Rachid Bouchareb, je n’avais pas lu le scénario. J’ai vu ses films et j’aime ce qu’il fait. Je l’ai rencontré et discuté avec lui. Rachid est venu vers moi, m’a pas présenté le projet d’Enemy Way. Nous avons eu des discussions sur le contenu du scénario. Le projet m’a plu et j’ai décidé d’accepter le rôle (William Garnett). J’ai fait des recherches sur le sujet. J’ai travaillé avec un imam à Los Angeles pour mieux connaître les pratiques de l’islam. J’ai également lu énormément pour comprendre cette religion. J’ai fait du sport et contrôlé mon alimentation pour m’adapter au physique de Garnett !
-Oui, il paraît que Forest Whitaker fait des enquêtes sur ses personnages...Il est vrai que je fais des recherches pour me familiariser avec les personnages que je joue. J’essaie de mieux comprendre leur psychologie, leurs capacités de réaction dans une situation donnée. Cela m’aide à me lancer dans l’interprétation et à évoluer dans le jeu une fois le tournage du film commencé.
-Existe-t-il beaucoup de cas de Noirs convertis à l’islam, ex-détenus, qui tentent de retrouver leur place au sein de la société dans l’Amérique d’aujourd’hui ?Actuellement, dans les prisons américaines, la plupart des détenus rejoignent des groupes pour survivre et résister à l’univers carcéral. L’un des groupes les plus importants véhiculant des valeurs et des attitudes différentes est celui des musulmans (Nation of islam). Beaucoup de détenus, surtout noirs, ont décidé de se convertir à l’islam. Ce qu’ils ont reçu en échange, à travers la croyance, à travers la religion musulmane, est la possibilité d’avoir une deuxième chance, de retrouver la paix intérieur, de restructurer leur vie, de mettre de l’ordre dans leur existence. Tout cela leur permet d’évoluer vers le positif. Dans la ville du New Mexico où le film a été tourné, il y a une mosquée qui a un programme spécial de réinsertion des prisonniers. Les détenus qui ont accepté de faire partie de ce programme ne sont pas revenus en prison et ont réussi à refaire leur vie. La mosquée a reçu un prix pour cette action. J’ai découvert ce programme en allant au New Mexico. Cette mosquée particulière accueille des personnes qui viennent de plusieurs pays, de Syrie, d’Algérie et d’ailleurs pour les aider à travailler. Ces personnes qui viennent de l’extérieur travaillent également avec les prisonniers.
-Vous avez joué le rôle principal dans Le Majordome (The Butler) de Lee Daniels. C’est un film plutôt positif, puisqu’il plaide pour un dialogue entre Noirs et Blancs, Enemy way est dominé par le pessimisme. Comment peut-on présenter ces deux histoires où l’homme noir est présent ?Dans Le Majordome, il est question de comprendre mieux tout ce qui a été fait dans le combat pour les droits civiques. Un combat marqué par des violences. Ce que Rachid Bouchareb a essayé de montrer dans Enemy Way est que Garnett a tout fait, à travers la religion notamment et toute la structure qui a été mise en place autour de lui, pour avoir une seconde chance. Il y a eu tellement de pressions sur lui que cela est devenu inévitablement pessimiste. C’est une véritable tragédie pour lui puisqu’il a perdu son chemin…
-Vous vous êtes engagés dans plusieurs fondations en Ouganda, au Soudan et ailleurs. Qu’évoque l’Afrique pour vous ?Il est très important pour moi de travailler en Afrique. Mes ancêtres sont africains. Cela fait partie donc de moi-même. L’Afrique est un continent très riche avec une culture et une diversité importantes. Le monde ne pourra pas retrouver la paix si l’Afrique n’est pas guérie de tous ses maux. Aussi, m’est-il important de contribuer de mon côté pour que l’Afrique retrouve la paix.
-Ces derniers temps, plusieurs films sont sortis aux Etats-Unis où l’esclavagisme est évoqué, à l’image 12 years a slave, de Steve McQueen, et Django Unchaïned de Quentin Tarantino. L’Amérique est-elle prête à assumer ce passé ?Il y a effectivement un grand débat ouvert aux Etats-Unis sur le thème de l’esclavage et sur ce passé. Certains sont en train de constater cela et ont accepté le débat. A mon avis, c’est un début pour guérir les plaies…
-Vous êtes présent dans plusieurs films cette année. Après Le Majordome, vous interprétez le rôle d’un policier dans le thriller Le Brasier de la colère (sorti aux Etats-Unis en décembre 2013) de Scott Cooper et Repentance de Phillipe Caland (la sortie est prévue pour le printemps 2014). Vous êtes très dynamique…Oui, beaucoup de films sortent cette année. C’est une année chargée pour moi. J’ai interprété des rôles intéressants. J’aime jouer, camper des personnages, ce qui me permet d’avancer. J’ai été dirigé par de grands cinéastes comme Rachid Bouchareb. Je produis aussi des films (dernier en date Fruitvale Station de Ryan Coogler sur un crime raciste aux Etats -Unis, sorti en 2013, ndlr). Je ne sais pas pour l’année prochaine, peut-être que je ne ferai pas autant de films.
-Et comment avez-vous trouvé l’Algérie pour ce premier voyage ?J’adore ce pays. J’ai été frappé par l’accueil chaleureux des Algériens et par leur ouverture d’esprit. Hier (dimanche), nous avions eu un dîner à Alger, où j’ai été entouré par plusieurs Algériens. Cela m’a beaucoup ému de voir autant de personnes chaleureuses et amicales. Il y a un dialogue et un vrai échange. J’ai visité La Casbah d’Alger (lundi matin) et j’ai discuté avec les gens dans la rue. Certains m’ont pris dans leurs bras. Cela m’a beaucoup touché. Je dois dire que c’est extraordinaire !
-Comptez vous revenir en Algérie ?Oui, c’est sûr (rires). Les Algériens sont très généreux dans leur manière d’aborder autrui et de dialoguer. Déjà le fait de me retrouver ici en Algérie, est une très belle expérience pour moi.
Forest Whitaker a quitté Berlin où le film Enemy Way (Two Men In Town, titre international) est en compétition à la 64e Berlinale pour fouler Alger pour la première fois. Le comédien américain est venu avec l’équipe du film menée par le cinéaste algérien Rachid Bouchareb. Avec lui, les acteurs Luis Guzman, Brenda Blesthyn (qui a déjà visité Alger pour la présentation de London River du même cinéaste) et Dolores Heredia ont fait le déplacement pour l’avant-première du film Enemy Way à Alger.
Le nouveau long métrage de Rachid, élaboré à partir d’un scénario de Yasmina Khadra, Olivier Lorelle et Rachid Bouchareb, a été projeté hier soir à la salle El Mouggar. Un film coproduit par l’Algérie (Agence algérienne pour le rayonnement culturel, AARC), les Etats-Unis et la France et qui sortira dans les salles en mai prochain. Forest Whitaker, qui est ravi de découvrir l’Algérie, lui qui a l’habitude des terres africaines où il active avec ses fondations, revient dans cet entretien sur sa participation à un film de Rachid Bouchareb, sur l’esclavagisme, l’islam et l’Algérie.
Dans Enemy Way, Forest Whitaker interprète le rôle de William Garnett, un détenu converti à l’islam, qui bénéficie d’une liberté conditionnelle dans le New Mexico (sud des Etats-Unis) et qui tente de retrouver une nouvelle vie dans un univers hostile. Forest Whitaker, 52 ans, a débuté sa carrière à la télévision avec des séries telles que L’Homme qui tombe à pic, avant de se lancer dans une riche et dense carrière cinématographique avec des films comme The Assassination Game, La Couleur de l’argent, Platoon, Good morning Vietnam, Bird (qui lui a valu le prix d’interprétation à Cannes en 1988), Panic room, Phone Game, Le Dernier roi d’Ecosse , Zulu, Angles d’attaque et Le Majordome.
Fayçal Métaoui
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Par hechache2 le 1 Février 2014 à 13:04
RACHID TIGHILT, ARTISTE
«Je participe à la sauvegarde de ma langue maternelle»
Par : Mohamed Mouloudj
Cet artiste de talent qui sait manier le pinceau et le mot. Depuis quelques années, il s’est distingué par des adaptations de films et de dessins animés qui ont émerveillé plus d’un. Après «Dda Spillu», «Icawraren», il a adapté en kabyle le célèbre film d’animation Shrek. Le succès de Shrek 1 l’a poussé à adapter la seconde partie qui vient juste d’être commercialisée. Dans cet entretien, il dévoile son secret, celui de réussir ces adaptations.
Liberté : Vous venez d’éditer la deuxième adaptation du célèbre dessin animé Shrek. Quels sont les échos chez le public ?
- Rachid Tighilt : Disons que les échos sont très positifs pour l’instant. Je parle du feedback qui nous parvient (à moi ou aux participants ayant contribué au doublage de ce film chez Nova « Sound Studio » du producteur et ami Hacene Ait Iften) via les réseaux sociaux (Internet) ou par la voie classique du « bouche à oreille ». Ceci dit, en l’absence de véritables outils d’évaluation crédible, nous n’avons aucun moyen de sondage digne de ce nom afin de vérifier l’impact réel d’un tel travail. Même notre éditeur « Galaxie Pro Edition » et ses distributeurs ne sauront vous dire le nombre exact d’unités (DVD) parvenues au public à cause du marché informel, et encore moins, mesurer le degré de satisfaction du public. (Permettez-moi une petite précision au passage: Ce film «Shrek», comme « Dda Spillu » ou « Icawraren », n’est pas un dessin animée destiné aux enfants seulement mais « un film d’animation » conçu pour le grand public).
Vous avez mis beaucoup de temps pour finaliser cette seconde partie, peut-on connaître les raisons ?
- Les raisons sont nombreuses et certaines ne sont pas réjouissantes pour les divulguer publiquement. J’en suis navré. Néanmoins, cet ajournement m’a permis, entre autres activités, de monter en les contant quelques contes des frères Grimm que mon ami, le prolifique poète et écrivain kabyle,
- Essaid Ait Mâammar avait adaptés dans la langue de Mammeri en les traduisant directement de l’allemand. J’ai pu aussi écrire quelques poèmes et un recueil de nouvelles que je projette de publier bientôt.
Vous vous êtes spécialisé depuis quelque temps dans les adaptations en kabyles de films, pour quel objectif vous le faites ?
- «Daborement» comme dirait Cnunnu, j’éprouve beaucoup de plaisir à le faire. Et puis, comme dit un proverbe de chez nous: « Yal wa ad inadi É£ef wayla-s, akka i d taqbaylit
- ». 2- En tant qu’artiste, je me dois de justifier un tant soit peu ce statut qui me responsabilise quelque part vis-à-vis de mes semblables en contribuant d’une certaine manière à l’épanouissement ou à la sauvegarde de notre patrimoine culturel en essayant d’apporter un plus à ma langue à l’ère d’une mondialisation (qui tend à phagocyter les cultures minoritaires, telle que la nôtre),
- où le dominé n’a de place que sur la liste des consommateurs abonnés aux produits que le dominant impose à l’humanité. Et puis notre langue mérite bien sa place parmi les autres au même titre que ses enfants et ses filles qui prouvent qu’ils n’ont rien à envier aux autres dès lors qu’on leur offre la chance d’exprimer leurs potentialités dès qu’ils s’exilent aux quatre coins du monde.
- 3- Comme je l’ai déjà exprimé (en août 2011), il est navrant de constater qu’à l’ère où l’on évoque à tout bout de champ les « droits de l’hommes et ceux de l’enfance »,
- que des peuples puissent accéder aux productions cinématographiques universelles et en tirer profit dans leurs langues grâce aux doublages, alors que nous et surtout nos enfants (Berbérophones) en sommes terriblement frustrés? Même Chaplin et Disney auraient dit : « Non ! C’est plus qu’anormal, c’est injuste!
- 4- Chacun ouvre droit à une identité ; et celle-ci est indissociable de la langue. Même les animaux se distinguent les uns des autres par leurs langages propres. J’essaie donc de participer modestement à la sauvegarde et à l’embellissement de ma langue maternelle pour qu’on l’adopte avec fierté et se la réapproprier davantage pour qu’elle puisse survivre encore longtemps. Oui pour la mondialisation mais avec nos spécificités culturelles et nos valeurs historiques.
Vous êtes aussi sur un autre projet, qui est l’adaptation de la Guerre de Troy. Un film très célèbre. De quelle manière procédez-vous pour, d’abord, choisir un film ou un dessin animé pour l’adapter, et ensuite, comment vous faites pour sa réalisation ?
- Merci pour cette question à double tranchant et qui mérite le développement de certains points. « A vaincre sans péril, c’est triompher sans gloire.» Comme dit l’adage.
- Ma tentation de doubler Troy, est née depuis que j’ai vu ce chef d’œuvre juste après sa sortie en 2004. J’aurai aimé voir, à sa place, un film de cette facture retraçant notre histoire et voir Jugurtha à la place d’Achille…
- Bref ! Sans prétention, aucune, j’adore relever quelques défis ne serait-ce qu’à travers cette opportunité du doublage: - Prouver que « taqbaylit tezmer
- ». Que notre langue est aussi capable d’accéder à la culture universelle et aux civilisations anciennes telles que celle de la Grèce antique. - Montrer qu’on a les capacités requises pour doubler un tel film de légende en respectant les règles du doublage comme cela se fait sous d’autres cieux tout en sachant que ce n’est pas chose aisée. Quant au choix des films à doubler, je tiens compte de quelques critères objectifs, à savoir :
- 1- « Le critère de pertinence », en me demandant :
- « Est-ce que tel ou tel film apportera un plus au public tout en contribuant à l’épanouissement de notre culture, à l’enrichissement de ma langue maternelle, à l’éducation de nos enfants?... »
- 2- « Le critère de cohérence » en me posant la question: Est-ce qu’il convient au système de référence de notre public et de ses attentes ? 3- « Le critère de faisabilité » : Est-ce que les objectifs recherchés à travers un tel doublage sont concrètement réalisables avec nos ressources matérielles et immatérielles disponibles et mobilisables? …
- Une fois toutes ces questions réglées, le film choisi, j’aborde la phase cruciale de « la traduction/adaptation » qui passe par plusieurs étapes: -
- « La détection » du fichier audio vidéo pour repérer notamment les silences ainsi que tous les éléments audibles et leurs caractéristiques. -
- « L’adaptation » qui consiste, après la traduction de la version originale du film, à naviguer en puisant dans la langue cible (dans notre cas, le tamazight) les mots ou expressions de mots à substituer aux dialogues de la langue source (l’anglais). -
- « L’évaluation » Une fois toutes les répliques écrites, on procède (en présence d’autres partenaires) à la vérification de la version finale (du texte) pour rectifier les éventuelles maladresses qu’elles soient d’ordre technique (telle que la synchronisation) ou de langage sous ses différents aspects. Précisons que la seconde phase, celle relative à l’adaptation, requière un minimum de savoir faire puisqu’elle entraîne indéniablement toute une gymnastique cérébrale et langagière pour trouver les bonnes répliques de substitution en tenant compte à la fois de :
- * la « synchronisation phonétique » (lip-sync) c'est-à-dire donner au spectateur l’illusion que les personnages parlent en kabyle en opérant des choix de phonèmes en mode synchrone,
- c'est-à-dire trouver les mots ou unités de langage qui doivent concorder avec le mouvement variable des lèvres (faire correspondre certains sons comme les consonnes bilabiales, les affriquées, les apico-labiales, les voyelles fermées, ouverte ou arrondies etc…). Le gros de la difficulté pour réussir un bon doublage réside à ce niveau là.
M. M
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