• Les Français d?Algérie de Pierre Nora : le retour du refoulé algérien (2

    Les Français d’Algérie de Pierre Nora : le retour du refoulé algérien (2)

    A l'heure où Albert Camus est devenu un héros intouchable en France (les insultes les plus violentes reçues par l'auteur de ces lignes concernent sa critique de L'étranger par Visconti) de Michel Onfray au centre-droit, quelle surprise de lire dans la réédition de l'ouvrage de Pierre Nora,Les Français d'Algérie,paru pour la première fois en 1961, une lecture adulte du roman le plus ampoulé de la littérature française, décrit ici comme la réalisation fantasmatique d'un désir inconscient des Français d'Algérie (le roman raconte le meurtre d'un Arabe par un pied-noir qui le descend sur une plage alors que le second veut se venger de l'ami du meurtrier, un souteneur qui frappait la soeur de l'Arabe).

    Les plaisirs sont nombreux  à la lecture de cet ouvrage hétéroclite, essai sociologique sur la situation de l'Algérie à la fin de la guerre, et pamphlet contre la violence et l'obstination des Français d'Algérie dont le racisme et la haine de l'élite métropolitaine croisés de l'esprit revanchard de l'armée française humiliée en Indochine les ont rendus particulièrement perméables au fascisme.

    Le premier plaisir est procuré par la lecture de la passionnante introduction du plus grand historien de la colonisation, Charles-André Julien, dont les livres ne sont malheureusement plus édités sans doute parce que l'histoire de la période est devenue principalement partisane (à l'exception des ouvrages de Raphaëlle Branche) et que l'anecdote et le raccourci y disputent la place à l'histoire.  Le Professeur de la Sorbonne voit dans l'esclavage les prémisses du racisme qui allait culminer dans la période coloniale, durant laquelle, des massacres de la conquête à la spoliation des terres des Arabes (loi Warnier de 1873) en trahisons permanentes des promesses de la métropole par les fonctionnaires coloniaux ("le gouvernement fédéral : un réceptacle de putridité"), du Royaume arabe rêvé par Napoléon III au projet Blum-Viollette, le pire prenait une option irréversible.

    La démonstration de Pierre Nora est d'une grande violence pour un homme de gauche de son époque qui n'a fait le choix de soutenir ni le FLN ni le communisme. Il s'attache à la description d'un monde enfermé sur lui-même, construit à défaut d'unité culturelle ou linguistique (les colons venant de toute l'Europe méditerranéenne) sur le mépris de l'Arabe ("qui ne comprend que la force") et de la métropole représentée par les élites forcément haïes, ce qui allait donner libre cours au déchaînement envers les juifs associés aux riches entre la fin du XIXe siècle et la seconde guerre mondiale (la série populaire des Cagayous comprend un Cagayous antijuif, et Edouard Drumont auteur de l'essai antisémite La France juive était député d'Alger) et bien sûr envers les populations musulmanes (chez les Français d'Algérie éclairés décrits par Nora, loin de l'idée selon laquelle toute information sur la torture était tenue secrète, elle est jugée comme un "le prix à payer").

    La dernière partie de l'ouvrage consacrée aux libéraux est la plus surprenante car la définition du terme a changé depuis l'époque pour évoquer aujourd'hui surtout les obsédés de la liberté d'entreprendre. Pierre Nora englobe dans cette catégorie Albert Camus, Germaine Tillion, plus généralement les intellectuels qui ont réclamé une colonisation plus juste (il n'est pas rare dans les débats contemporains sur l'Algérie d'entendre à la lumière des horreurs connues par l'Algérie durant les années 90 que la France aurait dû y rester), et qui "hier gauche inutile de l'Algérie française, seront demain la droite inutile d'une Algérie arabe".

    Pierre Nora se donne à la fin de l'ouvrage des allures de Roosevelt ronflant (l'auteur le reconnaît en introduction où il se reproche de ne pas avoir été au bout de son intuition initiale prévoyant le retour de la plupart des FDA en France) avec son "New Deal pour l'Algérie", mais le tout est merveilleusement emballé par la lecture de l'ouvrage par Germaine Tillion pour L'Express, éreintée par l'auteur dans son livre, mais en grande dame qu'était cette résistante, anthropologue, créatrice des centres sociaux en Algérie, résume les qualités (et les défauts) du livre qui décrit somme toute le seul avenir possible de la France, l'indépendance de l'Algérie : "Tout dépend de la nature de nos relations avec les Algériens. Je voudrais pouvoir en dire autant des relations franco-françaises, mais j'ai grand peur qu'elles n'aient été aigries pour longtemps par les poisons algériens."

    Les Français d'Algérie de Pierre Nora, Christian Bourgois Editeur, 340 p. Introduction de Charles-André Julien, réponse de Jacques Derrida à l'envoi du livre par son auteur.

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