• Juste un mot : Un cinéaste libre

    Juste un mot : Un cinéaste libre

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    le 06.02.14 | 10h00 Réagissez

     

    C’est en regardant l’un des derniers films de Godard intitulé Notre musique que nous nous sommes souvenus de l’un de ses courts métrages peu connu. Il s’agit d’une œuvre de commande, produite par la ville de Lausanne. Jean Luc Godard avait été sollicité par le maire de cette ville, bourgmestre comme on dit là-bas, pour réaliser un film de huit minutes à peine, louant les charmes de la ville. La proposition intéressa notre cinéaste qui s’y consacra pleinement. Pour faire ses repérages, il se promena seul, durant quelques jours, grimpant et descendant des côtes et des escaliers, arpentant les rues et les quartiers de la cité suisse qu’il retrouvait après un long séjour parisien. Ces balades qui l’enchantaient lui permirent aussi de redécouvrir les Lausannois et leurs façons de vivre. C’est d’ailleurs à l’issue de l’une d’elles qu’il fit cette déclaration péremptoire : «Les plus belles filles du monde habitent Lausanne !»

    L’idée du film germa dans son esprit pendant qu’il observait une fontaine située en haut d’un escalier du centre-ville, et dont l’eau coulait sans interruption. Il décida alors que le canevas du film reposerait sur trois axes.  Une seule journée de tournage : du lever au coucher du soleil - Un seul lieu de tournage : la fontaine - Une seule action : l’eau qui coule. Ces axes correspondaient aux trois règles fondamentales de la tragédie classique : unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Cela étant établi, Godard acheta un bidon en plastique de couleur vert clair, légèrement translucide, puis il fit appel à une équipe technique très professionnelle, munie de trois caméras. Celles-ci furent installées à droite, au centre et à gauche de la fontaine. Elles n’avaient qu’un point de mire : le bidon qui recueillait l’eau. Le seul artifice utilisé par le cinéaste était de réduire ou d’augmenter parfois le débit de l’eau. Le tournage commença à l’aube.

    La caméra de droite entra la première en action, relayée par celle du centre puis celle de gauche. Les caméras étaient déplacées verticalement ou horizontalement, en fonction de la position du soleil. L’essentiel pour Godard était de rendre à l’image les couleurs nombreuses et changeantes de l’eau dans le bidon qu’il vidait régulièrement, ainsi que la longueur et la forme des ombres projetées du bidon et de la fontaine. Pour les sons, il enregistra celui de l’eau coulant dans le bidon et celui du bruissement des feuillages soumis à la légère brise permanente de la ville. Il retint aussi le pépiement d’oiseaux de passage, le bruit confus de quelques voix et celui plus sourd de pas lointains.

    Au montage, qu’il fit en solitaire, comme d’habitude, le réalisateur donna libre cours à ses envies et à ses émotions. La musique, proche du classique, qu’il commanda à un jeune auteur audacieux, contribua à l’expression de son amour pour cette ville, un amour flamboyant et discret à la fois. Lorsque le maire de Lausanne visionna le film pour la première fois en compagnie de Godard, la fin de la projection fut marquée par un silence pesant, entrecoupé seulement par deux phrases. Celle du maire qui dit : «Je ne comprends rien.» et celle de Godard qui répliqua : «C’est comme cela que je vois notre ville.»

    Heureusement que le commanditaire n’alla pas devant la justice pour réclamer des dédommagements, malgré la pression de ses conseillers, technocrates ignares. Le cinéaste se contentait de répéter, preuves à l’appui, qu’il avait mis tout l’argent reçu, jusqu’au dernier centime, dans le film et pour le film. L’histoire de ce court métrage a cependant une belle fin. Quelques années plus tard, suite à sa réélection, le bourgmestre de Lausanne, qui avait revu plusieurs fois le film, seul ou en compagnie de quelques amis, se hasarda à le montrer à des hôtes étrangers. Ceux-ci furent ébranlés par l’atmosphère de cette œuvre digne d’un authentique impressionniste. A partir de là, et comme l’avait prévu l’artiste, son film fut de plus en plus compris et apprécié jusqu’à devenir l’une des pièces maîtresses des collections d’art de la ville.


    P.S. : Les rcb ne doivent pas mourir. Nous tenons associer notre voix à celles déjà nombreuses qui s’élèvent pour défendre les rencontres cinématographiques de Béjaïa, leur indépendance et leur liberté.
     

    Boudjemaâ Karèche
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