• Entretiens RACHID BOUCHAREB. Cinéaste algérien

    RACHID BOUCHAREB. Cinéaste algérien

    «Je veux aller vers des endroits qui m’ont raconté une histoire»

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    le 15.02.14 | 10h00 Réagissez

    zoom | © Photo : B. Souhil
     

     

    Le cinéaste algérien, Rachid Bouchareb, était à Alger la semaine écoulée avec l’équipe du film Enemy Way (La voie de l’ennemi) pour la projection en avant-première. Il était accompagné des célèbres comédiens Forest Whitaker et Luis Guzman. Etaient du voyage également la Britannique Brenda Blethyn et la Mexicaine Dolores Heredia. L’équipe était présente lors de la projection du film à la salle El Mougar, à Alger. Le film, en compétitition officielle au Festival de Berlin, raconte l’histoire de William Garnett (Forest Whitaker) qui sort de prison après 18 ans de détention. Converti à l’islam, il tente de «refaire» sa vie, mais rencontre une hostilité du shérif Bill Agati (Harvey Keitel) et le soutien de l’agent de probation Emily Smith (Brenda Blethyn). La filmographie de Rachid Bouchareb est riche de plusieurs films marquants comme Bâton rouge (1985), Poussières de vie (1995), Little Senegal (2001), Indigènes (2006) et Hors-la-loi (2010).

    - Comment est né ce projet de Enemy Way dont le récit est quelque peu inattendu ?
     

    J’ai rencontré Forest Whitaker il y a quelques années. Il y a eu l’idée de faire un film, et j’avais également envie de faire un deuxième long métrage aux Etats-Unis avec un acteur connu. Dans mon travail avec le scénariste Olivier Lorelle, j’aime bien enquêter aux Etats-Unis et voir ce qui se passe sur le terrain. Certains thèmes m’intéressent. D’où l’installation du film Enemy Way  aux frontières américano-mexicaines.

     

    - Justement, pourquoi ce choix borderline, la frontière, l’entre-deux  ?
     

    C’est ce que j’ai fait entre l’Algérie et la France pour évoquer l’immigration, sauf que la Méditerranée séparait les deux pays ! Les Américains bâtissent actuellement un mur entre eux et le Mexique. Ils veulent couper physiquement la frontière pour qu’elle devienne de plus en plus infranchissable.

     

    - La thématique de la migration est souvent présente dans votre travail cinématographique…
     

    Dans Enemy Way, l’immigration mexicaine et sud-américaine. Des Péruviens, des Boliviens et d’autres vivent aux Etats-Unis. Ils font un long trajet pour y arriver…

     

    - Enemy Way est inspiré librement du film de Joe Giovanni, Deux hommes dans la ville  (1973). Pourquoi le choix de ce film ?
     

    Il y a peut-être vingt ans, j’ai vu  Deux hommes dans la ville. Un film qui m’a beaucoup marqué. Il s’agit d’un film politique qui dénonçait la peine de mort. Le rôle du prisonnier a été interprété par Alain Delon. Un prisonnier qui n’avait pas le droit à une seconde chance après avoir purgé sa peine. Cette histoire m’est restée. J’ai pris cette base pour l’écriture du scénario. Après un long travail, il ne restait pas grand-chose de l’histoire initiale.

     

    - Avez-vous pensé à Forest Whitaker pour le premier rôle dès le début  ? Est-ce lié à sa manière de jouer ?
     

    Oui, parce que Forest Whitaker est un acteur du silence. C’est un acteur de l’intérieur. J’ai toujours aimé le travail qu’il a fait dans de nombreux longs métrages. Un travail étonnant. Il est pour moi l’un des grands acteurs américains actuellement. Forest travaille beaucoup sur la préparation. Par exemple, pour la conversion à l’islam dans le film, il a rencontré et travaillé avec deux imams. Il a essayé pendant quelques mois de «rentrer» dans la religion musulmane. Beaucoup d’acteurs américains travaillent comme cela… Je voulais aborder la question de musulmans afro-américains dans le film.

     

    - Et pourquoi le choix de Harvey Keitel ?
     

    Comme Forest Whitaker ou Brenda Blethyn, Harvey Keitel a une histoire importante avec le cinéma. Il fait partie de ces acteurs qui à chaque fois veulent faire des choses différentes. Harvey Keitel n’a jamais interprété le rôle d’un shérif du Sud américain. Il voulait tenter l’expérience.

     

    - Pour vous, il fallait d’abord faire un film sans se limiter au scénario...
     

    Il y a peu d’intérêt à se limiter à raconter les scènes écrites du film les unes après les autres. Il faut inventer et réinventer le film à chaque fois. Il faut éviter de raconter l’histoire d’une manière mécanique, mais essayer de construire un film, avec le jeu des acteurs, un film au-dessus du scénario.

     

    - Enemy Way est planté dans des espaces ouverts, le Sud américain. Vous avez beaucoup insisté sur l’éclatement, les maisons sont éloignées, la ville est peu présente…
     

    Même si elle existe, je ne voulais pas d’une ville. Dans le film, la ville est petite, les personnages vivent tout autour. Les paysages montrés sont ceux des Etats américains du Sud. Les villes y sont petites. On habite donc à dix, quinze kilomètres de la cité. C’est tellement grand ce pays. D’où l’idée de personnages habitant à peu près à ces distances dans le film. Et pourtant, ils arrivent à vivre comme s’ils étaient dans une petite ville !

     

    - Vous avez travaillé avec Yasmina Khadra pour le scénario de Enemy Way ; comment s’est faite la rencontre ?
     

    C’est la première fois que je travaille avec lui. Nous avions envie de travailler sur des sujets. Il vient de m’écrire le scénario d’un film qui se passe à Cuba. On préfère attendre un peu avant d’en dire plus.

     

    - Etes-vous intéressé par l’adaptation des romans de Yasmina Khadra ? deux l’ont été déjà, L’Attentat et Ce que le jour doit à la nuit  ?
     

    J’ai tellement d’idées de films que j’aimerais faire. Et, pourquoi pas, adapter un roman de Yasmina Khadra au grand écran. Là, je m’oriente vers de nouvelles idées. Par exemple, aller à Cuba réaliser un film, évoquer la Révolution cubaine. Je veux aller vers des endroits qui m’ont raconté une histoire, qui m’ont marqué. Cela me donnera de l’énergie pour faire un  film.

     

    - Vous avez dit que vous voulez faire rencontrer des comédiens algériens et américains dans un film. Qu’en est-il ?
     

    Oui, oui, j’aimerais bien concrétiser ce projet ! Les acteurs qui sont venus à Alger partagent la même idée que moi. Leur envie de se déplacer en Algérie était très grande. Ils ont aimé le pays, la chaleur des gens. Je veux bien voir Forest Whitaker, Harvey Keitel  et Luis Guzman avec un casting algérien. Il suffit de trouver une belle histoire à raconter. De tout façon, je ferai un film avec cette idée… Il y a eu une rencontre ici à Alger, par exemple, entre Fawzi Saïchi et Forest Whitaker et Luis Guzman. D’autres acteurs du film Hors-la-loi sont également venus. J’ai trouvé cette rencontre formidable.

     

    - Comparé à vos précédents films, Enemy Way nous fait découvrir un autre Rachid Bouchareb, une autre manière de voir le monde... Ou s’agit-il d’une simple impression ?
     

    Il faut que je trouve à chaque fois un challenge. J’ai envie de grandir dans le cinéma. Je vais vers des enjeux plus importants, je tourne aux Etats-Unis en langue anglaise avec des acteurs de grande envergure. Je veux aller vers d’autres terrains vierges, vers du nouveau… Cela me permet d’avoir un souffle. Je ne suis pas usé parce qu’à chaque fois je vais dans des mondes différents, avec des gens et des talents différents, cela me secoue.

     

    - A peine achevé, Enemy way est en sélection officielle au festival de Berlin…
     

    Je suis ravi que le Festival de Berlin ait retenu le film au milieu de toute la production mondiale. Je viens juste de finir le film comme vous le dites. Je suis ravi que le film soit projeté en Algérie aussi. A Berlin, le public a très bien accueilli le film. Pas mal de questions intéressantes nous ont été posées lors de la conférence de presse d’après la projection. La presse internationale s’est intéressée aussi au film. Nous avons passé une journée à répondre aux demandes d’interviews.

     

    - Après l’épisode Hors-la-loi, vous ne tournez plus en France. Allez vous y revenir ?
     

    Je vais tourner partout. J’ai des projets de films en  France. Quand le moment viendra, je vais lancer le tournage. Je n’ai aucun problème. Produit par l’Algérie et les Etats-Unis, Enemy way a bénéficié également d’une contribution française et belge. Tous les partenaires qui étaient avec moi dans Hors-la-loi sont également présents dans Enemy way. Sur le plan économique, il n’y a pas eu de coupure.


     

    - L’épisode Hors-la-loi a-t-il été oublié ?
     

    Hors-la-loi a été un film qui a bousculé des gens en France, qui a suscité des réactions au moment du Festival de Cannes. Je ne pense pas que ce soit oublié… Le film a été vu ailleurs dans le monde. Les réactions à Cannes lui ont fait une très bonne publicité !

     

    - La guerre de Libération nationale vous inspire-t-elle toujours pour d’autres longs métrages ?
     

    J’aimerais bien faire un autre film sur cette guerre. J’ai quelques idées. Il reste encore des choses à raconter. Il n’y a pas eu beaucoup de films sur ce thème-là. Je ne me censure jamais, ne me pose jamais de questions : est-ce que je vais attaquer un tabou ou pas, dire ou pas dire ? Non, ce n’est pas comme cela que je fonctionne. Je mène mon enquête, élabore mon histoire sans me limiter.

     

    - Revenons à l’idée de l’ennemi. Dans Enemy Way, on ne sait pas si le shérif Agati est raciste et islamophobe. Mais, disons que la méfiance à l’égard des musulmans est présente dans l’Amérique post 11 septembre...
     

    J’ai discuté longuement avec Harvey Keitel  sur la complexité du shérif, le montrer ému lorsqu’il trouve des migrants morts en plein désert après avoir été trahis par les passeurs. Le shérif a donc cette humanité parce qu’il est un père de famille.
    Garnett se convertit à l’islam, il suscite donc la méfiance. Double méfiance même  : préparait-il un mauvais coup ? Est-il crédible dans sa conversion ou pas ? Il y a tout cela dedans. Aux Etats-Unis, dans les Etats reculés, il y a une méconnaissance de l’islam, une peur des musulmans. Le shérif, fils de chrétien, est quelque peu dans cette situation, déstabilisé. Il se pose des questions sur la conversion de Garnett qui, lui, est allé en prison pour avoir commis un crime. Avant qu’il ne soit musulman, Garnett est pour le shérif un criminel qui a tué un de ses hommes. Dans les milieux de la police, on déteste les assassins des agents. Il y a donc une pression supplémentaire au sein de la corporation.

     

    - Existe-t-il un lien entre Enemy  Way et votre précédent film Just like a woman ?
     

    Just like a woman s’intéressait à une famille algérienne installée à Chicago. Je voulais aller dans le sens de la comédie dramatique avec cette idée de Billy dance (danse orientale), de jeunes femmes qui fuguent, l’une quitte son mari, l’autre sa famille. Elles fuguent pour avoir une autre vie, engagées sur les routes d’Amérique. Elles gagnent leur vie en dansant dans les restaurants et bars avec de la musique arabe. C’est une manière d’aborder la question du racisme.

     

    - Y aura-t-il une suite à ces deux films ?
     

    J’ai déjà un scénario. C’est l’histoire d’un policier musulman qui débarque aux Etats-Unis pour mener une enquête avec un policier américain. Il s’agit d’un film de tandem sur le modèle de  Rush hour (de Brett Ratner avec Jackie chan) et de 48 heures (de Walter Hill). D’ailleurs, mon scénario a été écrit avec un des scénaristes américains de 48 heures.

    C’est donc une comédie où l’on voit l’affrontement entre deux policiers venant d’univers différents. C’est classique comme sujet, mais au fil de l’histoire, beaucoup de choses seront découvertes. Je ne vais pas commencer le tournage tout de suite. Mais ce prochain film, un policier avec un peu plus de sourire, sera le troisième volet de Just like a woman et Enemy Way. J’ai déjà rencontré une actrice pour interpréter un rôle de son film, c’est Queen Latifah (actrice et chanteuse américaine).

     

    Fayçal Métaoui
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