• ENTRETIEN AVEC LE REALISATEUR ALGERIEN MOHAMED HAMIDI

     ENTRETIEN AVEC LE REALISATEUR ALGERIEN MOHAMED HAMIDI  
     "L'Algérie est une partie de moi et je l'assume pleinement"
     

    Entretien réalisé à Cannes par Salim AGGAR

    Alors que l'Algérie n'avait pas de film à présenter sur la Croisette, nous avons rencontré le seul cinéaste algérien sélectionné au Festival de Cannes avec son film français Né quelque part. Présenté en séance spéciale en sélection officielle, c'est la première expérience cinématographique de Mohamed Hamidi, un cinéaste au parcours rempli, qui a décidé de prendre la caméra et raconter l'histoire de son père et de son retour en Algérie. Entretien avec un cinéaste en colère qui espère un jour tourner en Algérie.

    Né quelque part est un film sur l'identité et l'intégration. Pourquoi ce film aujourd'hui?
    Mohamed Hamidi: Parce qu'en fait, c'est une histoire que je voulais raconter, il y a longtemps, c'est l'histoire de mon père et sur les rapports avec l'Algérie. C'est un pays que je connaissais très peu, que j'ai recommencé à découvrir vers l'âge de 28-29 ans, quand mon père était malade. J'ai compris que ce pays était important pour lui et important pour moi. Pour moi, c'est surtout des images d'adolescent, je ne suis pas allé en Algérie, parce que c'était les années noires. Quand j'avais 18 ans, il y avait une histoire de service militaire et une histoire de terrorisme et c'est vrai que l'ado que j'étais, j'avais plus envie de passer des vacances en France. Mais avec l'âge, j'ai découvert que c'est mon pays et j'avais envie de le redécouvrir, donc je suis retourné en Algérie, j'ai pris possession des lieux de la maison de mon père et de la petite terre de ma famille, c'est mes racines quoi! Aujourd'hui, ça prend son sens. J'ai des enfants et je m'aperçois que la transmission est importante et je n'ai pas envie de couper cet héritage, j'avais envie de le porter avec moi. L'Algérie, c'est une partie de moi et j'ai envie de l'assumer pleinement.

    Le titre du film c'est Né quelque part, vous pensez que la question de l'identité se pose toujours?
    En fait, moi je suis né en France et c'est vrai qu'il y a des tiraillements, moi et mes parents qui sont nés en Algérie. Dans ma famille, on est neuf enfants, seul ma grande soeur est née en Algérie en 1954. Ma mère a rejoint mon père en 1960 et on est tous nés en France.
    Le pays où on est né et le pays où on a grandi nous conditionne; je suis persuadé que si j'étais né en Algérie dans le village d'où je viens, Mzaourou à côté de Nedroma, je n'aurais pas eu l'accès à l'éducation et à la culture; j'aurais eu une vie rurale, mes cousins qui sont de la même souche ont tous commencé à bosser à 13 ans parce qu'il fallait aider la maison!
    Les années 1990, c'était les années dures en Algérie! Je sais que le fait d'être né en France ça m'a apporté autre chose et le fait de grandir en Algérie, je n'aurais pas été le même homme.

    Votre film est présent à Cannes. Qu'est-ce qui fait que votre film soit sélectionné à la dernière minute?
    Je pense que Thierry Frémaux a aimé le film, il nous a sélectionnés hors compétition parce qu'il voit plus de 3000 films et qu'il n'y avait plus de place dans les autres sélections. Il a tout de même voulu qu'on soit là parce qu'il aime le sujet et il nous a proposé d'être en «sélection officielle» en séance spéciale, c'est une bonne exposition pour le film, pour parler du sujet, pour nous c'est une grande joie, puisque ça nous donne une visibilité qui nous permette de faire connaître ce film et de le montrer à plus de gens, notamment à la presse internationale.

    Vous êtes en sélection officielle hors compétition, mais vous concourez pour la Caméra d'or.
    Effectivement, on concourt pour quelque chose, on n'est pas totalement hors compétition.

    Alors Hamidi, vous ne venez pas du monde du cinéma, vous êtes venu du monde de l'Internet, de la vie associative, est-ce que vous aviez envie de faire du cinéma avant?
    Moi, je fais des choses comme elles arrivent, j'ai eu une vie remplie, j'ai fait des études, j'ai enseigné, j'ai toujours été militant et artiste, depuis l'âge de 12 ans je fais de la musique, j'ai travaillé avec Jamel Debbouze (Ndlr). J'ai composé pour ses spectacles et dans la famille on est un peu comme ça, c'est notre père qui nous a transmis ça.
    Mon frère est auteur dans les Guignols durant plus de 12 ans, il s'appelle Ahmed Hamidi. J'ai eu envie d'écrire et de raconter cette histoire.
    Ça pouvait peut-être devenir un roman ou un récit, après j'ai rencontré Jamel et j'ai commencé à travailler avec lui, avec des artistes avec Malik Bentallah, avec Abdelkader Secteur, puis cette histoire s'est développée petit à petit et on m'a demandé de l'adapter au cinéma. J'ai toujours été une attirance pour le cinéma, je suis cinéphile. J'adore les films.

    C'est votre premier film donc, mais pour réussir il vous faut du soutien et vous avez deux parties importantes qui ont porté votre projet, Jamel Debbouze et les producteurs du film Intouchables, mais qui a été réellement le plus important soutien dans votre aventure cinématographique?
    Franchement, les deux. Jamel c'est celui qui a porté l'histoire au début et le premier qui a cru en cette histoire. Par contre, ont avait besoin d'avoir des producteurs expérimentés qui avait déjà fait de grands films, donc on a trouvé les producteurs de Intouchables pour le rôle de producteur exécutif et Jamal a tenu le rôle artistique. Il a été dans toutes les étapes dans le choix du casting, le choix du décor. Ce sont deux maisons totalement différentes mais c'était vraiment une collaboration pleine.

    Votre film a été tourné entièrement au Maroc. Pourquoi ce choix pour un lieu et un espace pour une histoire qui est totalement algérienne?
    Parce qu'en fait, quand j'ai voulu tourner en Algérie j'ai commencé à faire mes démarches, je suis allé voir Merzak Allouache, je suis allé voir un producteur algérien. J'avais peu de moyens pour tourner le film, Merzak Alouache m'a dit: «En Algérie, ça peut très bien se passer j'ai fait des films avec des équipes locales et on a eu toutes les autorisations possibles, mais parfois j'ai galéré, parfois j'ai attendu une autorisation pendant deux semaines, parfois je n'ai pas eu les équipes sur place.» Moi je n'avais pas les moyens ni les capacités de travailler comme ça, parce que c'était mon premier film et comme c'est un film qui se passe dans la campagne algérienne, pour moi et par souci d'efficacité j'ai préféré le situer dans un endroit où il y avait des structures de production et de cinéma un peu plus élaborées. Je rêvais de tourner en Algérie vraiment.
    Il y a tout de même une image tournée en Algérie c'était l'atterrissage à l'aéroport de Zenata, c'était une galère. Il y a une image qui a duré 12 secondes et cela grâce à Air Algérie et grâce à l'aéroport, il a fallu intervenir on l'a eue. Je suis très fier d'avoir une image algérienne dans le film. C'est important. Moi, j'encourage le gouvernement algérien, les producteurs algériens et le nombre de réalisateurs français qui veulent tourner en Algérie et qui ont peur d'y aller! Le Maroc a une expérience depuis 30 ans, ils ont tourné des films américains, il y a des structures d'accueil, il y a même des encouragements pour revenir tourner au Maroc. Moi, j'encourage vraiment d'aller tourner en Algérie. Moi, je rêvais de tourner dans mon village, dans la maison de mon père à Mzaourou et Nedroma mais franchement je n'aurait pas eu l'aide et les structures nécessaires sur place! Il n'y a pas les techniciens sur place, j'ai enquêté j'ai essayé! Je n'étais pas assez implanté en Algérie pour pouvoir le faire. Je sais que quelques films se font en Algérie, Djamel Bensalah a tourné en Algérie ça été difficile, il a dû terminer le tournage au Maroc, ça a coûté plus cher, je ne voulais pas prendre ce risque! Pour moi, l'important, c'est ce que je raconte, pas le lieu où j'ai tourné!

    Il n'y a pas de frontières entre les pays du Maghreb quoi?
    Moi j'habite à 40 km du Maroc et Jamel à 50 km de l'Algérie, on parle pareil, par contre, j'ai fait attention pour le dialecte, ça parle algérien dans le film. J'ai écrit moi-même les dialogues en algérien, je les écris en phonétique j'ai fait des CD avec l'accent authentique, je ne voulais pas qu'il y ait un «wakha» dans le film. Seulement, voilà, c'est un film sur l'Algérie qui a été tourné au Maroc comme un film sur le Vietnam qui est tourné en République dominicaine. C'est un problème technique, mais en tous cas il y a le coeur en Algérie.

    Quel est votre rapport avec le cinéma algérien aujourd'hui?L'Algérie a un stand même s'il n'y a pas de films en compétition, vous êtes malgré vous le seul cinéaste algérien présenté à Cannes! Je suis fier de représenter l'Algérie et la France, je ne connais pas beaucoup les cinéastes algériens, je les suis en tant que spectateur, Je suis Merzak Allouache depuis longtemps, Nadir Moknache, Rachid Djaïdani...

    Qui est venu en Algérie à l'occasion du Festival du film engagé!
    Oui, j'aimerais bien faire une projection en Algérie, j'en ai parlé lors des spectacles de Jamel Debbouze à Alger et Oran. Je suis le cinéma algérien, je sais qu'il est en croissance, je sais qu'il n'est pas forcément aidé, encore j'espère qu'il soit développé parce qu'il y a des talents. Il faut aider les gens. En France, il y a le CNC, au Maroc il y a le CCM qui aide les cinéastes à faire leur film. En Algérie, il faut des instances comme ça qui aident les cinéastes algériens à faire des courts métrages....

    Mais il y a des instances d'aide au cinéma en Algérie!
    Oui, mais est-ce qu'elles sont suffisamment démocratiques, suffisamment accessibles au peuple, est-ce que ces subventions vont vers les bons artistes, est-ce qu'ils recherchent les vrais talents, moi je suis prêt à faire plein de choses, mais je pense qu'il faut lâcher les chiens, il faut regarder vers l'avenir. On est fier de notre passé, de notre histoire, il faut arrêter d'être dans l'esprit revanchard, l'esprit hargneux. Il faut être positif, on a un beau pays, une belle jeunesse, une fierté et une histoire formidable, il faut la tourner en notre faveur, il faut vraiment qu'on s'ouvre un peu!

    Pour revenir au film, vous avez décrit une Algérie profonde qui n'est pas celle d'aujourd'hui?
    Franchement, le décor est construit sur la base des photos prises dans mon village, c'est une zone rurale dans une petit bled, mais on a voulu faire la comédie en créant cet arbre phone; Mais à l'heure de la téléphonie mobile, cela offre une image d'un pays sous-développé!
    Eh ben, l'Algérie est un pays en voie de développement, comme le Maroc, il ne faut pas avoir peur de le dire! Ces pays qui ont de grandes richesses, mais ne sont pas partagées avec le peuple! L'Algérie est un pays riche, mais les gens ne le sont pas encore assez. Il ne faut pas avoir peur de dire des choses, moi j'aime mon pays, mais j'aimerais que dans mon bled, il y ait plus de taxis plus d'accès à Internet, plus de routes goudronnées. J'aimerais que dans mon bled, je fasse le plein d'essence sans attendre 12 heures pour que les trafiquants remplissent leur camion, j'aimerais que dans mon bled, qu'il y ait un hôtel à Nedroma! C'est une ville qui n'a pas d'hôtel... il faut aller à Tlemcen.

    Pour finir, qu'est-ce que vous avez à dire aujourd'hui en tant que cinéaste algérien installé en France?
    Je souhaite qu'on encourage tous les gens qui ont des choses à raconter sur l'Algérie et raconter de manière ouverte et intelligente leur histoire, je pense qu'il faut leur donner les moyens. Je pense qu'il y a une vraie force en Algérie, des comédiens des humoristes. Abdelkader Secteur par exemple, il était là, personne ne le regardait. Il était de mon village, je le connais depuis longtemps, il était de Ghazaouet et moi de Nedroma, mais qui faisait marrer les Algériens, des copains, des mecs qui travaillaient à la Télévision algérienne. Ça s'est terminé aujourd'hui! Parce qu'il y a Internet, YouTube... Il faut révéler les vrais talents, pas parce que c'est le copain des copains des gens qui tiennent les clés de la télé algérienne ou du ministère de la Culture. Il faut mettre en avant les bons et pas les mieux placés. Il faut arrêter avec cette politique du piston, du cousin, du machin... Il faut prendre les bons, les plus sérieux et leur donner leur chance.

           
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