• Dossier

    Regard(s) sur le cinéma Algérien

    La France, ses droits de l'homme et ses Lumières, ses fromages et ses révolutions, son appel du 18 juin et son mai 68, sa gastronomie et sa littérature, sa protection sociale et ses vignobles, mais aussi son exception culturelle : le cinéma. Celui-ci, lorsqu'on y regarde d'un peu plus près, semble aujourd'hui se faner, au moins autant que les autres traits de caractère cités. Parce qu'Un prophète, de Jacques Audiard, même s'il n'est pas dénué d'intérêt, loin s'en faut, grand vainqueur des Césars 2010, c'est un peu léger. Parce que Logorama, du collectif tricolore H5, un quart d'heure de fusillade et de course-poursuite dans un décor de logos commerciaux, pas étonnant finalement que les américains l'aient adoubé du dernier Oscar du meilleur court-métrage d'animation.

    inlandAlors, plutôt que de se gargariser  de la vitalité de la production hexagonale, nous devrions plutôt lever la tête, et regarder par-delà la méditerranée, du côté de l'Algérie. Car production n'est pas synonyme de créativité. Et sur ce plan-là, il semble bien que l'on ait actuellement quelques leçons à prendre chez nos voisins d'en-face. Un exemple parmi tant d'autres,  Inland (Gabbla), de Tariq Teguia, sorti en 2009. Ici, l'histoire d'une chronique sociale toute en poésie, mélange de beauté et de souffrance, multitude de visages et de mots, paysages désertiques qui portent le poids du monde, révèle allègrement la folie et l'errance face à des sujets politiques plus graves. Le tout dans une mise en scène fluide mais tranchante, qui se refuse aux attentes convenues. En somme, un film de lumière et de pierre, à la fois vif et contemplatif, dont la bande-son est une leçon.

     À défaut de création forte, la France pourra toujours se consoler en se disant qu'elle n'est pas totalement étrangère à ce cinéma algérien : Inland a ainsi été co-financé avec une production française. Mais surtout, la France peut s'enorgueillir de donner à voir ce cinéma, ce qui n'est pas rien. C'est le cas du Festival "Regards sur le Cinéma Algérien", du 19 janvier au 30 mars  2010, dans toute la région du Languedoc-Roussillon, comme nous l'explique l'une de ses programmatrices, Noémie Dumas, au micro de Laure Méravillès pour Radio Clapas.

    Extrait : Regards sur le cinéma algérien 2010

    Laure Méravillès - Radio Clapas (2010)

     

    Regards sur le cinéma algérienCe festival est organisé par un groupe d’associations de la région du Languedoc-Roussillon, et en partenariat notamment avec l'Acsé (Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances). Son but est donc de favoriser la diffusion du 7ème art algérien, trop souvent méconnu. Pour cette deuxième édition, nombre de  réalisateurs et d'acteurs sont venus débattre de ce cinéma contemporain algérien, autour de fictions comme Inland donc, mais aussi Harragas de Merzak Allouache, le voyage à Alger de Abdelkrim Bahloul ou encore Sektou (ils se sont tus) de Khaled Benaissa, ainsi que de documentaires comme Lettre à ma sœur de Habiba Djahnine, La Chine est encore loin de Malek Bensmaïl ou Mouloud Feraoun de Ali Mouzaoui.

    Et d'après Jacques Choukroun, autre responsable de la programmation du festival, qu'ont rencontré Simon-Jacques Trigano et Yannick Monti (FM plus), la vitalité créatrice du cinéma algérien est tout simplement inhérente à son peuple, à l'âpreté de son histoire et du temps présent, ainsi qu'à sa soif de connaissance.

    Extrait : Jacques Choukroun, programmateur du Festival Regards sur le cinéma algérien

    Simon-Jacques Trigano & Yannick Monti - FM Plus (2010)

     

    Souhaitons donc longue vie au "jeune" festival "Regards sur le Cinéma Algérien"et puissent certains réalisateurs français assister à l'édition 2011...

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  • « Yves Saint Laurent » : juste quelques effluves

    LE MONDE | <time datetime="2014-01-07T08:45:20+01:00" itemprop="datePublished" style="box-sizing: border-box;">07.01.2014 à 08h45</time> • Mis à jour le <time datetime="2014-01-08T10:45:56+01:00" itemprop="dateModified" style="box-sizing: border-box;">08.01.2014 à 10h45</time> |Par 

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    <figure class="illustration_haut" style="box-sizing: border-box; margin: 0px; position: relative;">Pierre Niney et Charlotte Le Bon dans le film français de Jalil Lespert, "Yves Saint Laurent", sorti en salles mercredi 8 janvier 2014.</figure>

     

    Lorsqu'il naît, le 1er août 1936 à Oran, personne ne se doute que le petit Yves Henri Donat Mathieu-Saint-Laurent va marquer le siècle du sceau de son génie. Comment imaginer que ce jeune homme fragile et doux transfigurera les rues du monde entier par la seule grâce de son trait de crayon. Dans cette Algérie encore française dont on ne sait pas qu'elle est en passe de devenir « la chemise sale de la France », une mère aimante et coquette le couve de son regard. Déjà, dans sa petite chambre, il dessine des vêtements comme d'autres respirent. Naissance d'une légende.

    Le sait-on à présent ? Mesure-t-on à quel point cet homme, Yves Saint Laurent, fait partie de notre vie ? La femme en caban ou en tailleur-pantalon ? C'est lui. Et c'est toute l'esthétique urbaine qui s'en est trouvée bouleversée. Cette révolution aussi bien artistique que sociologique, Yves Saint Laurent, le film de Jalil Lespert, ne parvient malheureusement pas à en rendre compte, se contentant de ramenerla vie du couturier à une simple histoire, un album que l'on feuillette, qui plus est inachevé et dont on ne sait pas très bien pourquoi il s'interrompt en 1976.

    A artiste de génie, cinéaste de grand talent : ainsi aurait-il fallu sans doute poserles termes de l'équation. En sachant de surcroît que le comédien choisi pourinterpréter Saint Laurent, Pierre Niney, l'est, lui, formidable. Mais, pour cela, il lui aurait fallu un metteur en scène qui, par-delà les images, aille au plus près de la folie créatrice de cet artiste torturé.

     

    <figure class="illustration_haut" style="box-sizing: border-box; margin: 0px; position: relative;">Guillaume Gallienne et Pierre Niney dans le film français de Jalil Lespert, "Yves Saint Laurent".</figure>

     

    D'Oran, voici le jeune Yves qui « monte » à Paris. 1955-1957 : assistant deChristian Dior, avant de devenir directeur artistique de cette même maison à la mort de son fondateur. Interrogé dans Arts, Saint Laurent confie avoir alors« éprouvé un vide ». « Ce n'était pas le vide de la peur, ajoutait-il, mais le vide du rien. J'avais tellement confiance en lui , confiance dans tout ce qu'il disait, ce qu'il faisait… Personne n'était là désormais pour dire : cela est bien, cela est mal. »

    GUILLAUME GALLIENNE EN PIERRE BERGÉ

    Personne ? Un type curieux, mi-homme d'affaires, mi-esthète, jouera dès lors ce rôle auprès d'Yves Saint Laurent. D'emblée ou presque, il dit à celui dont il vient detomber amoureux : « Yves, je suis là. Le talent, tu l'as. Le reste, je m'en occupe. Je serai toujours là pour toi. » Cet homme, c'est évidemment Pierre Bergé (aujourd'hui actionnaire du Monde). Dans le film, c'est Guillaume Gallienne qui l'interprète. Ou plutôt essaie, tant on devine ses difficultés à forcer sa personnalité. Ne parvenant pas vraiment à incarner ce Pygmalion dur et autoritaire, Gallienne se réfugie, en bon comédien qu'il est, dans la gestuelle et les tics de comportement. L'apparence de Bergé en quelque sorte.

    Réforme du service militaire, éviction de chez Dior, les épisodes s'égrènent. « Je veux pouvoir dessiner et créer en toute indépendance. Il faut ouvrir notre propre maison de couture », lance Saint Laurent à Bergé. Aussitôt dit, aussitôt fait (ou presque). Premier défilé, premier triomphe. Le Figaro note : « Il n'apporte rien de vraiment neuf. L'avenir nous dira s'il s'agit d'un feu de paille. »

     

    <figure class="illustration_haut" style="box-sizing: border-box; margin: 0px; position: relative;">Pierre Niney dans le film français de Jalil Lespert, "Yves Saint Laurent", sorti en salles mercredi 8 janvier 2014.</figure>

     

    L'avenir a répondu : ce fut une révolution. Et l'homme qui l'orchestra, un révolutionnaire à sa façon. Françoise Giroud a bien résumé l'affaire : « Le secret qui a rendu Yves Saint Laurent souverain de son époque, c'est qu'il hait la mode. La mode telle qu'on l'entend, métronome stupide qui bat l'année à deux temps – été-hiver, hiver-été – et qui voudrait croire qu'il donne le la. » Comme en écho, Pierre Bergé a écrit ceci : « Quiconque a vu une collection d'Yves Saint Laurent sait bien qu'il ne s'agit pas que de mode. C'est tout un univers qui s'exprime, c'est toute une culture faite de peinture, de musique, de littérature, de cinéma. »

    PIERRE NINEY EST SAINT LAURENT

    De tout cela, qui fait que Saint Laurent est un artiste aussi intemporel que le sont ses vêtements, le film, qui s'est fait pourtant avec l'accord de Pierre Bergé, ne suggère en définitive pas grand-chose. On entraperçoit bien Andy Warhol ou Zizi Jeanmaire, mais c'est à croire qu'ils ne sont là que pour faire tapisserie. Du créateur dont l'unique regret fut de ne pas avoir inventé le jean, de l'artiste dont l'obsession était l'adhésion à la rue, il ne reste que quelques bribes noyées dans un personnage cantonné en créateur toxico-maniaco-dépressif.

    Alors, puisque l'on n'a guère le choix, on regarde. La collection Mondrian (sublime), la découverte du Maroc et du jardin Majorelle (ratée), les femmes qui entouraient Saint Laurent – Victoire (Charotte Le Bon, formidable), Loulou de la Falaise (Laura Smet), Betty Catroux (Marie de Villepin). Histoires d'amours, histoires de baises, déluge de coke, des morceaux épars de la vie du couple Saint Laurent-Bergé défilent sous nos yeux. En voix off, Pierre Bergé-Guillaume Gallienne se souvient. 1976 : « Tu es entré en maladie comme on entre en religion. Tu n'étais plus heureux que deux fois par an, au printemps et à l'automne. »

    Il faudra attendre début 2002 pour qu'Yves Saint Laurent et Pierre Bergé décident de mettre fin à l'aventure de leur légendaire maison de couture. « Création et marketing ne font pas bon ménage. Cette époque n'est plus la nôtre », expliquait alors Pierre Bergé en une magnifique pirouette, clé manquante, parmi d'autres, de ce film décevant.

    Reste Pierre Niney. Plus qu'il ne le joue, il est Saint Laurent. Epoustouflant.

    LA BANDE-ANNONCE

     

     


    Film français de Jalil Lespert avec Pierre Niney, Guillaume Gallienne, Charlotte Le Bon, Laura Smet (1 h 40).

    Sur le Web : www.facebook.com/YvesSaintLaurentFilm et www.snd-films.com

     
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  • L'incontournable dimension politique dans le cinéma arabe

    par Ziad Salah

    Dans une conférence de presse, Bouziane Benachour, le chargé de communication du FOFA a déclaré que cette manifestation essaye de rester en dehors des pesanteurs politiques. Probablement, notre confrère voulait dire que les considérations politiques n'ont pas présidé la sélection des films en compétition. Cependant, les films qui ont été projetés ont, chacun à leur manière, abordé cette dimension, démontrant que l'art, notamment le plus populaire de tous, ne peut pas demeurer en dehors des préoccupations des sociétés dans lesquelles il évolue. C'est justement le cas de «Parfums d'Alger» de Rachid Benhadj, où la préoccupation esthétique n'a pas été sacrifiée sur l'autel de l'engagement politique. Le film revient sur une période charnière de l'Algérie actuelle: la décennie noire. Mieux, le film se permet de bousculer certaines constantes puisqu'il accuse «le moujahid» de traitrise en usant de la symbolique. En effet, le père (rôle assumé par Sidi Ahmed Agoumi) va violer la fille de son compagnon de lutte qu'il a adopté. Et du coup, il va provoquer la dislocation de sa famille puisque sa fille va s'exiler en France et son enfant rejoindra les hordes terroristes. Une lecture des causes de la crise algérienne par Benhadj. On retrouvera ce thème d'éclatement familial mais cette fois ci à cause du terrorisme dans le film algérien «Yemma» de Djamila Sahraoui. Au sein de la même famille, un garçon va rejoindre les terroristes et l'autre s'enrôlera dans l'armée. Mais heureusement que la mère, endeuillée suite au meurtre de son fils par les terroristes et l'autre frère se rangent du côté de l'ordre et renient l'enfant terroriste. 

    Nous retrouverons la dimension politique dans les deux films syriens, les plus attendus de ce festival en raison de l'actualité dans ce pays. «My last friend» de Joud Said, montre la montée en puissance d'une autre génération d'éléments des services secrets sans scrupules. Comparativement à l'ancienne génération, ils sont formés dans des écoles étrangères, notamment russe. C'est cette génération qui va s'illustrer par sa cruauté durant la guerre qui ensanglante ce pays. Quant au film libanais «33 jours» de Jamal Shoorje, il est produit par et pour les besoins de propagande du Hizboallah et de l'Iran coproducteur de cette œuvre. D'ailleurs on attribue les prouesses techniques de ce film à la contribution iranienne. Le film jordanien «When I saw you» de Anne Marie Jacir est lui aussi à mettre sur le compte du cinéma engagé. Ce film revient sur les conditions de vie des Palestiniens dans un camp en Jordanie et sur les conditions difficiles de la naissance de la résistance armée palestinienne dans ce pays. Au-delà, le film montre cette préoccupation de retour au pays natal très ancrée chez les Palestiniens à commencer par les enfants. Même le film marocain «la cinquième corde», le plus plaisant de tous puisqu'il s'attaque visiblement au patrimoine musical dans ce pays peut s'apprêter à une lecture politique. Au-delà du patrimoine musical, c'est la transition vers la modernité qui est traitée dans ce film. Conflictuelle, cette transition est réussie sans grands heurts. Selma Bergach, encore jeune, fait preuve de beaucoup d'optimisme dans son premier film. En tout cas, ce festival, malgré les écueils de l'organisation, a montré un cinéma arabe digne d'intérêt. 
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  • Le FOFA AN VII : L'urgence de passer à la vitesse supérieure

    par Mohamed Bensalah



    Bon gré, mal gré, Wahran El Bahia est en voie d'être consacrée cité mondiale du film arabe. Certes, les défis sont nombreux et les couacs impardonnables, mais les solutions sont évidentes si l'on veut ne pas faire mentir la légende naissante de la ville. 

    Il faut absolument que les améliorations promises (surtout au niveau organisationnel et sur la qualité des projections) se traduisent le plus rapidement possible dans les faits pour la prochaine édition, nous susurrait à l'oreille un jeune cinéphile. Ce sera chose faite, nous a-t-on assuré au niveau de la direction de la culture, la main sur le cœur, Inch'Allah ! Comme dans toutes les manifestations de ce genre, c'est dans les coulisses, entre les projections et lors des repas, que les échanges les plus fructueux voient le jour. Les festivals et autres rencontres cinématographiques connaissent ces derniers temps, dans notre pays, un taux de natalité galopant. Certains commencent à se faire une réputation internationale. D'autres recherchent leur vitesse de croisière. D'autres encore essaient de survivre face aux mille et une difficultés qui les guettent. Mais, de toutes ces rencontres : FCNAFA (Tizi-Ouzou), JJA (Alger), RCB (Bejaïa), RCM (Mostaganem) Films engagés (Alger)Â… le FOFA est sans doute celle qui porte le défi le plus absolu. Chercher un dénominateur commun à toute la production arabe n'est plus un leurre. Certes, l'œuvre de chaque cinéaste est unique. Chaque auteur ayant une origine sociale, une formation spécifique et des motivations personnelles. Certes, les films produits sporadiquement ne sont pas en nombre suffisant pour que nous puissions parler d'un mouvement ou d'une école ayant ses propres particularités. Mais, les traits distinctifs de ce cinéma dit arabe ne peuvent se dessinent en filigrane à partir de la diversité des imaginaires et de l'originalité des productions, malgré les influences diverses, les pesanteurs sociales, les mentalités et les contextes politiques, économiques, culturels et commerciales propre à chaque contrée. Comme partout dans le monde, du Machrek au Maghreb, les valeurs intrinsèques de la production filmique, ne peuvent en aucun cas, refléter un même état d'esprit et ne peuvent être mise sous dominateur commun. 

    Pour qui se souviennent des années 70, un cinéma arabe qui se voulait critique et qui cherchait à contribuer aux transformations que le sous-développement exigeait, avait commencé à se développer. Un cinéma qui s'efforçait de refléter la réalité du quotidien. Mais très vite, en raison d'une chape de plomb politique pesante et d'un contrôle tatillon de la bureaucratie, les réalisateurs engagés dans la création, ont baissé les bras, bien malgré eux et se mirent à réaliser des films en apparence progressistes, mais qui se révélaient être, en réalité, des films de dénonciation superficielle, sans orientation politique définie, confus, paternalistes pour ne pas dire populistes. Depuis lors, la cinématographie arabe a évolué au rythme des mutations de la société. Si nous nous félicitons de ce que des œuvres de qualité aient été produites durant cette dernière décade, nous déplorons malheureusement l'absence de solidarité et de cohésion entre pays que rien ne distingue, sinon des régimes politiques très différents et parfois aux antipodes les uns des autres. 

    DU MACHREK AU MAGHREB, LA PASSERELLE CINEPHILIQUE 

    Balbutiantes et fragiles, en comparaison à celles des voisins du Nord, les structures cinématographiques du monde arabe n'existent, pour ainsi dire, quasiment pas. Tout autant que la production, la distribution et l'exploitation se trouvent dans une situation des plus précaires. Comment pardonner cette négligence, disons plutôt cette absence totale de préoccupation des dirigeants à l'égard d'un secteur dont l'importance pour le développement, culturel, social, économique et politique est considérée comme étant stratégique ? Comment est-il possible que des cinéastes de talent qui ont réalisé des films de haute facture technique, esthétique et thématique soient réduits à l'inactivité ? La culture arabe serait-elle plus à craindre que la production parachutée qui charrie pêle-mêle, des « love stories » insipides et des dramatiques stéréotypées où se succèdent des scènes de sexe et de violence ? Loin d'être considéré comme un champ d'activité prioritaire, le cinéma dans le monde arabe est encore et toujours appréhendé comme un fardeau à risques pour les responsables politiques qui s'en délestent avec empressement. La réduction des libertés et des capacités de manœuvre des professionnels du 7ème art a grandement contribué à restreindre l'exercice du métier. Combien de cinéastes ont fini par laisser leurs ambitions se dégrader ? Combien d'autres ont opté pour l'exil intérieur ou extérieur, alors qu'ils avaient tant à dire, tant à exprimer ? Combien de Fellini, de Jancso, de Bunuel et de Bergman maghrébins ont été sacrifiés sur l'autel de la bêtise ? Microcosme des pays en voie de développement, le Maghreb, qui affronte des défis de toutes natures, politiques, économiques, culturels et sécuritaires, ne manque, ni de créateurs de talent, ni de compétences, ni de savoir faire technique. Mais, malgré tous ces atouts, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne brille pas par sa cinématographie. Faut-il pour autant s'interdire de réunir des cinéastes arabes et d'entrevoir des solutions au marasme ? 

    L'autre aspect, non moins négligeable est celui de l'accès aux films. Si nous prenons le seul cas de l'Algérie, il est frappant d'observer que ce pays, qui disposait de 450 salles en 1962, en plus du cinéma itinérant très actif, se retrouve en fin 2012 avec un parc réduit à sa portion congrue. Quelques salles, plus ou moins correctes, alors que la population a plus que triplé entre temps. Ajoutons à ces considérations le fait que, très souvent, les films du Maghreb, comme ceux du Machreq, qui ne bénéficient d'aucune campagne publicitaire, et qui ne circulent pour ainsi dire pas d'une ville à l'autre, sont mal connus et même méconnus par ceux là même à qui ils se destinent. Par ailleurs, la jeunesse, qui constitue le public privilégié des salles, et dont le goût a été façonné par des années de consommation de navets, boude les films arabes, et leur préfère le monde de simulacre et de leurres que lui procurent les films d'évasion occidentaux. Enfin, à constater, l'absence de véritables structures cinématographiques, la rareté des institutions de formation de professionnels aux métiers des arts du spectacle, et enfin l'absence d'investissements financiers conséquents, il n'y a pas lieu de s'étonner, outre mesure, du sous développement endémique qui gangrène tout l'espace cinématographique arabe. Une industrie cinématographique ne peut résoudre à elle seule. Sans le concours des Etats, aucune solution n'est envisageable. Mais ce concours ne doit pas être synonyme d'allégeance, de muselage de l'inspiration et de contrôle de la production des œuvres. 

    L'émergence stupéfiante du cinéma au Maroc ces dernières années, après une longue période de silence, redonne de l'espoir. Nous a permis d'apprécier les œuvres nouvelles et de grande qualité. En Tunisie, par contre, nous assistons au phénomène inverse. Les cinéastes pugnaces se sont faits rares sous le régime Bénali. Le cinéma libanais émerge à son tour au grand jour, alors que l'Egyptien cherche encore ses repères. Nous ne ferons pas ici l'inventaire de toute cette production filmique, pour éviter de frustrer le public qui n'a quasiment aucune chance de voir et d'apprécier ses films sur grand écran. Ce que nous pouvons globalement constater au vu de la production actuelle, c'est qu'après un bon départ la cinématographie arabe semble accuser un net ralentissement en quantité et aussi en qualité : ostracisme bureaucratique ? Pressions des politiques ? Eclipse des pourvoyeurs de capitaux ? Ou tout simplement essoufflement des créateurs ? Quel que soit le handicap, il n'est pas facile à surmonter, sans l'implication totale et le concours direct et effectif des institutions. Sans le soutien financier des Etats (réaffectation d'une partie des taxes sur l'exploitation cinématographique, incitation à la constitution de structures industriellesÂ…), rien ne sera possible. En l'absence d'un état d'esprit favorable au développement de la création en général et cinématographique en particulier, et sans la coopération interarabe, toute entreprise demeure vaine. 

    Convaincu de ce que la vitalité d'un cinéma ne dépend pas exclusivement des créateurs et de l'esprit d'initiative des producteurs, mais aussi et surtout des pouvoirs publics, le Fofa en organisant sa 6e édition, unique en son genre dans le monde arabe, lance le défi qui en fait est double : reconnaissance et promotion du film arabe et, tout en évitant les mondanités et les paillettes, privilégier la jeune génération qui a du mal à se placer sous les feux de la rampe. Excepté quelques invités-vedettes et quelques cinéastes confirmés, le Fofa a, cette année, si l'on en juge par le flux massif de cinéastes, l'imposante couverture médiatique, la qualité des œuvres programmées et par la fidélité du public qui a suivi avec un débordement d'enthousiasme les projections, on peut d'ores et déjà dire, que même en absence de tambour et de trompette, l'entreprise n'a pas été vaine. Il faut bien sur renforcer la création et la production de biens et services culturels dans chaque pays. Il faut enfin renforcer les capacités des professionnels des secteurs de la culture et améliorer l'environnement réglementaire au sein de chaque pays. Que la passerelle cinéphilique devienne un véritable pont qui relie les créateurs des pays arabe ! 
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  • PROJECTION AU MOUGGAR DU DOCUMENTAIRE, “LE MARTYRE DES SEPT MOINES DE TIBHIRINE”, DE MALIK AÏT AOUDIA ET SÉVERINE LABAT

    Le devoir de vérité

    Par : Sara Kharfi

    Le propos des deux réalisateurs, qui signent avec ce documentaire une excellente enquête étayée par des témoignages inédits, est — en plus de mettre la lumière sur un douloureux épisode de la décennie noire — de raconter une histoire humaine, celle d’hommes qui ont choisi en leur âme et conscience de rester en Algérie malgré les menaces et le danger.

    Beaucoup d’encre a coulé sur le meurtre des sept moines trappistes de Tibhirine (wilaya de Médéa), enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, séquestrés puis sauvagement assassinés le 21 mai 1996 par un groupe du GIA (Groupe islamique armé). 
    De nombreuses thèses, bien souvent improbables, ont été avancées, sans jamais éclairer l’opinion ou faire sortir de l’ombre et de la polémique un épisode douloureux de l’histoire de l’Algérie contemporaine. En 77 minutes, Malik Aït Aoudia et Séverine Labat, coréalisateurs du documentaire, le Martyre des sept moines de Tibhirine, projeté mardi dernier à la salle El-Mouggar dans le cadre de la compétition du Festival international du cinéma d’Alger dédié au Film engagé (en présence de Malik Aït Aoudia et d’un public nombreux), réussissent à raconter une histoire crédible, qui s’éloigne des polémiques pour dire la vérité sur ce triste drame, le tout authentifiée par des témoignages de rescapés, de responsables du GIA, d’officiers supérieurs de l’armée algérienne et de membres du gouvernement français de l’époque. Les réalisateurs donnent la parole à, notamment, Mohamed Benali, gardien du monastère ; frère Amédée, moine rescapé de Tibhirine ; l’archevêque d’Alger, Henri Tessier ; Charles Pasqua, ancien ministre français de l’Intérieur ; Jean-Charles Marchiani, ancien préfet du Var (et négociateur pour la libération des moines) ; Hassan Hattab et Sid-Ali Benhadjar, anciens dirigeants du GIA ; ou encore Omar Chikhi, membre fondateur du GIA. Les réalisateurs nous entraînent dans les lieux de cet événement tragique, le monastère Notre Dame de l’Atlas, où les moines vivaient en parfaite harmonie avec la population, travaillant la terre, et prodiguant des soins à ceux qui en avaient le besoin. Mohamed Benali, gardien du monastère, se souvient ensuite de la première visite des terroristes chez les moines, puis de leur enlèvement, survenu dans la nuit du 26 au 27 mars. Le gardien mentira aux terroristes, au péril de sa vie, leur affirmant qu’ils n’étaient que sept, alors que ce soir-là, ils étaient neuf moines dans le monastère, ainsi que quinze religieuses. Frère Amédée se souviendra, avec une grande émotion, de cette nuit-là qui a tout changé. Les documentaristes s’intéresseront ensuite aux négociations secrètes entamées entre Jean-Charles Marchiani et le terroriste Djamel Zitouni, qui seront interrompues brusquement sur ordre du Chef du gouvernement français de l’époque, Alain Juppé. En plus de ce focus sur les négociations et l’itinéraire des sept moines en Algérie, le documentaire raconte la détention des moines, leur martyre, les conditions de leur assassinat. Le Martyre des sept moines de Tibhirine – qui a remporté le prix du meilleur reportage au Primed 2013 – nous réinstalle dans le contexte des années 1990, à travers notamment des images qui témoignent de l’horreur et des attentats perpétrés par le GIA –qui avait menacé de mort, dès 1993, tous les ressortissants étrangers qui choisiraient de rester en Algérie– contre des étrangers. 
    Les moines ont refusé de quitter l’Algérie et d’abandonner leurs amis algériens. Ils ont décidé de rester et de guetter les premières lueurs du jour, le retour à la paix. L’histoire de ces moines méritait et devait être connue. Malik Aït Aoudia et Séverine Labat l’ont racontée. Voilà le plus bel hommage qu’on pouvait leur rendre. Celui de la vérité.

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